Cette bande dessinée de Maryse et Jean-François Charles est une nouvelle adaptation dans le 9 art du roman de Joseph Conrad, Au coeur des ténèbres, paru en 1899. Cette suite de nouvelles plongeait le lecteur dans l’Afrique subsaharienne et les vicissitudes les plus sombres de l’humanité. Ce livre a été adapté et/ou une source d’inspirations de multiples oeuvres ensuite: Apocalypse Now de Coppola, Ad Astra de James Gray ou Coeur de ténèbres de Jean-Pierre Pécau. La particularité de nombre de ces adaptations: le décalage de cadre, soit temporel (XIXe siècle, Révolution française, science-fiction futuriste…), soit géographique (France, Vietnam…).

Les époux Charles décident, quant à eux, de nous emmener aux Etats-Unis, juste après la guerre de Sécession. Le contexte est troublé: la guerre a marqué profondément la société américaine, les rancunes et les rancoeurs sont encore tenaces. Les derniers Amérindiens sont sur le sentier de la guerre, les routes vers l’Ouest peu sécurisées, l’autorité fédérale peu respectée et le rapport à l’esclavage et aux personnes noires toujours aussi délicat, malgré l’abolition de 1865.

Dans cette période confuse, le tout jeune lieutenant Norman Pyle se voit confier une mission importante: retrouver un colonel qui a fait désertion et qui mène une compagnie de pillards dans l’Ouest, le colonel Adam Pyle, son propre frère. Lassé de tous les crimes qu’il a commis au nom de l’armée fédérale américaine, fuyant ses souvenirs d’une enfant et d’une adolescence peu heureuses, touché surement par la folie et de le déséquilibre émotionnel, Adam Pyle en sait beaucoup trop et est devenu un homme à abattre.

Accompagnant des migrants vers l’Ouest, Norman et ses compagnons sont plongés dans un milieu hostile à plus d’un titre: risques naturels, pillages, crimes sexuels, misères humaine et sociale, insubordination de certaines villes et des tribus amérindiennes… autant d’éléments où il faut chercher positivité et enthousiasme: la violence et la noirceur de l’humain sont omniprésentes.

Tout ce récit est servi par les planches majestueuses de Jean-François Charles. Cette BD est un véritable petit bijou. Toutes les planches regorgent de couleurs, de détails, de vivacité mais aussi de dureté, de transpiration et de souffrances. L’alternance des rythmes de cases et les pleines pages soutiennent et renforcent le rythme de la narration. Les décors, gigantesques, renvoient en permanence à cette petitesse de l’Homme face à la Nature.

En résumé, une splendide adaptation et interprétation du roman de Joseph Conrad.