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Formidable invitation au voyage au long cours, ce documentaire de deux fois 52 mn, permet de découvrir et aussi de faire découvrir un aspect un peu méconnu de la navigation. Si les portes conteneurs et les super tankers sont bien présents, et occupent parfois l’actualité, à la fois comme instruments de la mondialisation et vecteurs de catastrophes écologiques, on oublie trop souvent que ces derniers ont été précédés sur les routes maritimes par ces liberty ships, nés de seconde guerre mondiale.
Conçus pendant la bataille de l’Atlantique à partir de la fin 1941, destinés à approvisionner les îles britanniques à partir des Etats-Unis, ces cargos de 10000 tonnes ont sillonné les océans jusque dans les années 90. C’est à ce titre que l’auteur de ces lignes a voyagé en cabine, sur un liberty appelé Anzio, sur la ligne Tunis – Trapani jusqu’en 1968.
Véritables bêtes de somme du transport maritime, ces navires ont été les premiers acteurs de la mondialisation actuelle. Ils sillonnaient les océans, pour le compte d’armateurs aux origines opaques et aux pavillons de complaisance. Des compagnies d’armement d’origine grecque, de droit libérien, domiciliées en Suisse, aux équipages philippins ont fait naviguer ces cargos jusqu’au dernier souffle des pistons de leurs machines avant de les livrer aux chalumeaux des ferrailleurs indiens.
La destinée de ces bâtiments et la construction du film s’articulent autour de trois parties.

Les origines de ce projet et la bataille de l’Atlantique

La contribution des transports aux contre offensives alliées

Leur rôle dans la reconstruction et durant les trente glorieuses

La construction des liberty a été le fruit d’une décision politique conjointe de Winston Churchill, ex-premier Lord de l’Amirauté et de Franklin Roosevelt, Président des Etats-Unis. Ils sont la conséquence de la Loi du leasing, permettant à l’occupant de la Maison Blanche, de fournir en matériel tout pays qui contribuerait directement ou indirectement à la sécurité des Etats-Unis. Pour acheminer les vivres et le matériel, permettant au Royaume Uni de résister à l’offensive allemande, Churchill demande aux Etats-Unis 60 cargos. Les chantiers navals construits pour l’occasion en fourniront 2710 au rythme de deux par jour pendant toute la guerre entre septembre 1941 et août 1945.
Face à ces navires, ayant comme mission essentielle d’affamer la Grande Bretagne, des sous marins U-Boote commandés par l’Amiral Doenitz. Hitler qui croyait à la capacité de la Luftwaffe pour contraindre l’Angleterre à capituler a été amené à changer de stratégie, peut-être trop tard. Lancés dans une course à la production contre la machine industrielle étasunienne, les allemands ont aussi perdu cette bataille. Les chantiers navals dispersés sur le littoral des Etats-Unis produisaient plus de liberty que les sous-marins ne pouvaient en couler.

De ce fait, grâce aux progrès en matière de détection, à l’organisation de convois et à l’extension du rayon d’action des avions, les U-Boote étaient contraints à des missions suicide à la fin de la guerre. Le flux continu de transports vers les îles britanniques, mais aussi vers les ports soviétiques d’Arkhangelsk et de Mourmansk permettent aux alliés de repousser les allemands et d’organiser les deux débarquements en Europe, en Normandie et en Provence.
Ces navires de 10000 tonnes de charge étaient pourtant conçus dans l’urgence. Mais c’est cette nécessité qui a été sans doute à l’origine de leur succès et de leurs qualités. Assemblées de façon peu orthodoxes, sans rivetage mais soudées, les coques des liberty étaient pourtant structurellement faibles. En même temps, la conception d’ensemble, la rationalité de la disposition des cales et des mats de charge, la fiabilité de la machine qui entrainait le navire à 11 nœuds, les rendait particulièrement aptes à leurs missions. Trois cales et le pont étaient remplies marchandises de toutes sortes. Les équipages étaient formés en trois mois, des capitaines de 21 ans les commandaient, mais ils n’étaient guère plus âgés que leurs hommes et les ouvriers qui les avaient construits.

Dans les chantiers navals, ce sont des hommes et des femmes, des blancs et des noirs qui se sont aussi rassemblés pour construire parfois en moins de huit jours, ces instruments de la victoire. Ils étaient pourtant donnés pour une durée de vie de cinq ans, eu égard à leur conception. Ils ont servi à la mer pendant 35 ans !
Aux lendemains de la guerre, ils ont été cédés par les Etats-Unis aux pays à reconstruire, la France, l’Italie, le Royaume-Uni, mais aussi l’URSS ont eu dans leurs flotte de commerce ces étranges bateaux de 100 m de long, à la ligne de coque épurée surmontée d’une petite cheminée. Ils ont tout transporté, entre les métropoles et les colonies, y compris le matériel des guerres coloniales entre Marseille et Hanoï, ou des rapatriés en 1962 entre Oran et Marseille, le port d’accueil des victimes de l’histoire.

Cette histoire, justement se termine en 1999. Quelque part en Chine, dans l’indifférence la plus complète, le Zhan Dou 43 a achevé sa très longue carrière sous les chalumeaux des démolisseurs. Le Zhan Dou 43 avait été lancé en décembre 1943 à Baltimore et il était le dernier des Liberty Ships naviguant encore au commerce.

L’exploitation pédagogique de ce film est évidente eu égard à la richesse des thèmes qu’il développe. On pourra ainsi traiter de la seconde guerre mondiale sous l’aspect de la logistique, pour illustrer le concept de guerre totale. On sera sans doute enclin aussi à évoquer les évolutions de la société américaine du fait du brassage ethnique que le développement de la construction navale à entraîné. Enfin, pour les trente glorieuses qui ont jeté les bases de la mondialisation actuelle, on pourra sans doute tirer de ces images de multiples séquences sur les échanges dans le monde et leur nature.

Ce documentaire devrait sans problème enrichir les collections des cabinets d’histoire et faire sentir dans les classes cette inimitable odeur de mer et de mazout je vous assure que ce n’est pas une légende, ces navires ont une odeur à part qui est restée dans ma mémoire de façon indélébile… qui reste ancrée dans la mémoire de ceux qui ont approchés ces navires. Fruits de la volonté et du travail des hommes, les liberty ont eu une âme et s’inscrivent ainsi dans le patrimoine industriel, au même titre que la 2CV ou la DS 19 et bien d’autres produits manufacturés qui ont accompagné l’humanité sur la voie du progrès. Il n’est pas sûr que les écrans plats et autres I pod soient également porteurs de cette charge affective, comme ces liberty ships porteurs, sur les plages d’Utah et d’Omaha, de libération.

Bruno Modica