Longue comme l’histoire des hommes semble être l’existence des déplacements d’êtres humains et Gildas Simon, professeur émérite à Poitiers et fondateur de Migrinter, une équipe de recherche spécialisée dans l’étude des migrations internationales (http://www.mshs.univ-poitiers.fr/migrinter/), le confirme en replaçant son propos dans un temps long, voir très long (p19, carte des migrations de – 200 000 à –5 000) ; mais il s’agit aussi d’un phénomène dont l’extension spatiale n’a cessé de s’élargir accompagnant aujourd’hui la mondialisation. (P24-25, cartes des soldes migratoires et du système migratoire mondial).

De la diffusion de l’Homo Sapiens au départ forcé des esclaves, des grandes découvertes à l’époque coloniale, ce n’est pas d’aujourd’hui que les hommes se sont décidés pour une raison ou pour une autre à quitter le connu pour un ailleurs incertain mais quantitativement, les effectifs restaient relativement réduits. Il faut attendre le XIXème (p20-21, les Européens, migrants d’un long XIXème) puis le XXème siècle (p22-23, brassage et substitution des populations dans le Médoc) et les mutations dans le secteur des transports pour que les flots de migrants deviennent vagues.

Aujourd’hui, un état des lieux du système migratoire mondial amène l’auteur à identifier constantes et évolutions. Le nombre de personnes concernées continuent de croître en chiffres absolus et l’essentiel des flux restent Nord-Sud, bien que les pays du Golfe attirent comme un aimant les émigrés du sous-continent indien (p26-27, les travailleurs migrants au pays de l’or noir ; texte p60 ; l’exemple du Kérala), certains pays restant de cibles privilégiées. Dans le même temps, le nombre de ces pays-cibles tant à diminuer tandis que des flux migratoires nouveaux, quittant souvent leur aire « naturelle » émergent ; enfin, la partition pays de départ/pays d’arrivée ne convient plus à la situation ; des pays de transit, de rebond (comme la France) compliquent la compréhension des migrations.

Mutations donc des espaces de la migration mais pas aussi de la structure migratoire car à côté des migrants « habituels », des hommes dans la force l’âge en majorité, femmes (p42-43, des migrations féminines en pleine expansion), mineurs (p40-41, les mineurs isolés étrangers, des migrants en danger), étudiants, entrepreneurs (p44-45, entrepreneurs et entreprises transnationales), qualifiés, retraités (p50-51, les migrations résidentielles des retraités) forment les nouveaux bataillons des candidats au départ. Beaucoup partent pour un trouver un ailleurs meilleur, synonyme d’espoir, un espoir à portée de main ou plutôt de regard par le biais de la télé et de l’Internet qui rend plus sensible l’écart entre le vécu et l’eldorado mythifié qu’il soit européen, américain ou autre. Mais ceux qui partent volontairement sont rarement, contrairement à une idée reçue, les plus démunis car la migration nécessite moyens et réseaux, en l’espèce familles, diasporas (p46-47, les diasporas en question) ou encore réseaux de passeurs exigeant des sommes exorbitantes (p58-59, la marchandisation des champs migratoires). D’autres n’ont pas le choix, poussés qu’ils sont, par la peur à quitter leur pays (p38-39, déplacés, réfugiés et demandeurs d’asile).

Qu’il soit « choisi » ou subi, le départ n’est qu’une étape de la migration. Reste la réception et ce que l’auteur nomme l’ancrage. Or si l’on constate des divergences quant aux politiques migratoires des états récepteurs, toutes visent actuellement à durcir les conditions d’entrée sur les territoires par des dispositions légales (p52-53, trois politiques migratoires ; p54-55, espace Schengen : quelles politiques migratoires ?) ou/et des infrastructures en dur (p56-57, multiplication des contrôles et contagion des murs). Mais ces « murs » dressés face au gros troupeau des migrants, laissent passer, tel un barrage filtrant, les nouveaux arrivants qualifiés accueillis à bras ouvert comme l’illustre cette photo d’une sage-femme somalienne exerçant dans un hôpital norvégien, p12). Les uns et les autres, une fois entrés, n’oublient pas leur pays d’origine à tel point que les transferts vers ceux-ci représentent le second type de flux mondiaux et une part conséquente du PIB de nombreux pays (p60-61, transferts financiers et développement local) constituant une manne pour familles, villages, quartiers, pays. Dans le même temps, ces départs, même si souvent soutenus par la famille, n’en sont pas moins une perte de substance vitale pour les pays de départ mais une bouffée d’air démographique pour les pays en voie de vieillissement (p62-63, perspectives migratoires).

On le devine cette livraison de la Documentation photographique aborde un sujet à la fois d’actualité polémique et politique mais à fort ancrage géographique. La mise au point et les documents seront d’une grande aide pour l’enseignant tant en géographie qu’en histoire.
La carte des migrations à l’époque moderne (p19) pourrait être utilement introduite dans un cours de quatrième, celle intitulée « l’Europe un continent d’immigration au XIXème siècle » trouvera sa place plus loin dans l’année lors de l’étude de la colonisation, enfin la série de documents page 23 servirait d’exemple concret lors du bilan de la première guerre mondiale.
En géographie, les possibilités ne manquent pas ; ainsi on pourra par exemple aborder en 3ème l’UE à l’aide « l’espace Schengen : quelles politiques européennes », la place de la France dans le monde avec la double-page du même titre ou encore rassembler des documents de différentes double-page (sur les réfugiés, le système migratoire, l’érection de murs) pour traiter d’une partie du thème « organisation du monde d’aujourd’hui ». Les enseignants trouveront bien sûr et sans difficultés matière à alimenter leurs cours pour d’autres niveaux.

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