L’Oubliée du radeau de la Méduse (éditions Marabulles/Marabout) de Thierry Soufflard et Jérôme Cazeau plonge  le lecteur au cœur du célèbre naufrage de la Méduse, raconté à travers le regard d’Henri Savigny, survivant et second chirurgien, et de Blanche, cantinière courageuse longtemps effacée des récits historiques. Entre souffrance, conflits et bravoure, cette bande dessinée restitue avec intensité la lutte pour la survie sur un radeau de fortune, tout en redonnant vie à ceux que l’Histoire a oubliés. À travers un récit mêlant témoignages et fiction, elle offre une immersion poignante dans l’horreur et l’humanité de cette tragédie maritime, éclairant d’un nouveau jour et avec originalité le chef-d’œuvre de Théodore Géricault et ses héros méconnus.

Survivre au cœur de la tragédie

La bande dessinée s’ouvre sur la présentation officielle du « Radeau de la Méduse » au Louvre, le 25 août 1819, où la haute société découvre pour la première fois le drame du naufrage mis en image par Théodore Géricault. L’œuvre provoque le scandale : la brutalité de la scène et la critique implicite de l’incompétence du vicomte de Chaumareys, capitaine de la Méduse, heurtent un public qui ne connaissait l’affaire que par les journaux. Parmi les invités se trouve Henri Savigny, second chirurgien et survivant du radeau, qui raconte les événements et met en lumière la présence oubliée de Blanche, cantinière et épouse d’un soldat. Le récit commence par les premiers jours de l’échouage, puis plonge le lecteur au cœur de l’abandon du navire : 150 privilégiés sont entassés dans six chaloupes insuffisantes, tandis que les 250 autres passagers se retrouvent sur un radeau de fortune de 240 m², fragile et surchargé.

Au milieu de ce chaos, Blanche choisit de quitter une chaloupe pour rejoindre son mari sur le radeau, défiant les insultes et les superstitions misogynes de certains rescapés. Sa détermination est soutenue par son mari, et elle devient un point de repère moral au milieu de la panique. La perte de la boussole par Léon, jeune protégé de Blanche, exacerbe les tensions déjà présentes entre les séditieux et les partisans du rationnement. La faim, la soif, les blessures et l’angoisse transforment rapidement le radeau en théâtre d’atrocités et de mutineries.

Malgré ce contexte, Blanche incarne une forme d’humanité et de révolte face à la barbarie : sa présence, son courage et sa solidarité apportent une lumière au sein d’un huis clos maritime où les limites de la morale et de l’humanité sont mises à l’épreuve. Le récit retrace ainsi la tragédie historique qui aurait inspiré Géricault, redonne une voix à cette femme effacée du tableau et rappelle l’horreur vécue par les naufragés au large des côtes de l’actuelle Mauritanie. À travers Henri Savigny et Blanche, le lecteur vit le drame de la Méduse à la fois par le témoignage des survivants et par le regard unique d’une femme qui affronta, contre tous, le désespoir et la folie des hommes.

Une plongée dans l’Histoire très réussie

La bande dessinée L’Oubliée du radeau de la Méduse de Thierry Soufflard et Jérôme Cazeau permet au lecteur de plonger à la fois dans l’Histoire avec un grand H et dans le célèbre tableau de Géricault, grâce à une approche mêlant faits historiques et éléments de fiction soigneusement choisis. Les auteurs réussissent à immerger le lecteur dans cette tragédie maritime, où la chronologie des événements, depuis le naufrage jusqu’au sauvetage, respecte les témoignages des rescapés tout en donnant une place centrale à Blanche, héroïne au cœur pur, symbole de l’humanité au milieu de la barbarie.

Le scénario de Thierry Soufflard, rythmé et intense, restitue la lutte pour la survie, la peur et l’épuisement, ainsi que l’ambiguïté des caractères, de l’altruiste Savigny à l’égoïste Corréard, sans tomber dans l’excès de l’horreur. Sur le plan graphique, Gilles Cazaux, assisté d’Alice Estève et Pablo Sanchez Cano pour les couleurs, propose un dessin nerveux et expressif qui traduit toutes les émotions, de l’effroi à la colère, et fait du lecteur un témoin direct de l’épopée. Les gros plans sur les visages et les détails réalistes du radeau renforcent l’immersion ainsi que la tension et donnent corps aux témoignages. Cette alchimie entre texte et image transforme L’Oubliée du radeau de la Méduse en lecture captivante, émouvante et saisissante, offrant une nouvelle lumière sur le tableau de Géricault et sur l’histoire des héros oubliés de cette tragédie.