Parmi les ethnies qui peuplent la Casamance, les Baynounk sont aujourd’hui encore marqué par leur mythe fondateur qu’analyse Idrissa Mane, socio-anthropologue. Il propose une immersion dans la pensée mythique des Sénégalais et les conséquences pour la population contemporaine.

Le mythe baynounk

Après avoir rappelé la nature des mythes et l’évolution du concept de l’Antiquité à Claude Lévi-Strauss, l’auteur décrit les éléments essentiels du mythe baynounk. Il en présente les différentes variantes notamment en ce qui concerne la malédiction.

Partis d’Egypte pharaonique, les BaynounkSuivant le choix de l’auteur, je ne mets pas les noms de peuples au pluriel auraient fui vers l’Ouest, jusqu’à Tombouctou. Le roi Ngana Sira Banna Biaye ayant eu une révélation conduit son peuple vers la verte et riche Casamance, un territoire vierge. Un second songe l’amène à sacrifier 100 jeunes filles et 100 jeunes garçons initiés pour éviter l’arrivée par la mer d’hommes qui mettraient les Baynounk en esclavage. Révoltée, la population assassine le roi. Le roi, devant la trahison de son peuple, les maudit : puisque vous me trahissez, c’est la fin de l’empire baynounk, vous n’aurez plus de roi. Le fils baynounk refusera son identité ethnique. La prophétie se concrétise avec la fin de la royauté, la dispersion de l’ethnie et la traite négrière.

Les enjeux de l’étude du mythe

Il s’agit de voir les effets de la croyance sur les relations sociales en Casamance.

Les Baynounk et leur mythe ont peu été étudiés contrairement aux autres ethnies présentes dans la région, notamment les Diola et les Manding

Les Manding disposent de l’épopée de Soundiata Keita, fondateur de l’empire du Mali

Le récit du règne de Ngana Sira Banna Biaye est une cosmogonie du fait de la présence d’un esprit surnaturel qui guide le roi.

Le contexte historique

L’auteur recherche dans l’histoire les épisodes qui peuvent correspondre aux étapes du mythe. Cette histoire est connue grâce aux textes portugais, les premiers européens présents sur la côte, la tradition orale, recueillie par les administrateurs coloniaux français, mais aussi par la toponymie. Le royaume s’est étendue sur un vaste territoire, même si aujourd’hui les Baynounk ne sont plus présents, comme communauté, sua dans un trentaine de villages sur les bords du SoungrougrouUn affluent de la Casamance. – Carte p 59.

On sait peu de chose sur l’histoire du royaume. Son apogée se situe au XVe siècle, puis des groupes contestent son autoritéD’après une chronique du Sieur de la Courbe, 1685, ce qui favorise l’autonomisation des Diola aux XVII et XVIIIe siècles, selon les rapports des administrateurs coloniaux. Le déclin baynounk a aussi permis l’expansion des Manding, depuis le Gabou à l’Est, qui ont apporté l’islam.

Recyclage d’autres mythes et analyse

Le mythe est construit sur plusieurs entités :

La fabrique des origines : le patriarche baynounk, à l’image de Moïse, fuit pour empêcher l’asservissement de son peuple par pharaon, une origine prestigieuse justifiant la domination sur d’autres peuples.

Le roi fondateur et la migration vers des terres vierges que l’on peut rapprocher d’autres traditions africaines, comme Oumar Seydou Tall, le fondateur de l’empire peul du Fouta Toro.

Le sacrifice humain pour se protéger de l’arrivée des hommes blancs est l’innocence offerte.

L’assassinat du roi et la transgression de l’interdit qui amène à la malédiction.

L’auteur montre les analogies avec les mythes balante, soninké, koussa et plus largement indo-européens et amérindiens. L’histoire réelle, confrontation avec d’autres ethnies, colonisation, donne corps au mythe.

Statut du primo-habitant et revendications

L’Égypte et Tombouctou apportent une légitimation à l’image d’un peuple historiquement glorieux. Les Baynounk sont, en Casamance, un peuple civilisateur d’un espace fertile et forestier. Ils ont donc des droits fonciers et un rôle de communication avec les divinités chtoniennes au bois sacré. La principale divinité est le « Koumpo », gardien des mœurs et gendarme des champs.

koumpo
Masque du Koumpo, Bignoan 2005

Connaissance du mythe, stéréotypes et imaginaires sociaux

Les Baynounk, dans leur ensemble, connaissent le mythe, mais refusent d’en parler à cause de la malédiction.

Les diola, Balante ou Manding le connaissent et l’évoque sans gène. Ils considèrent souvent les Baynounk comme un peuple fétichiste dont il faut se méfier, en référence aux nombreux heurts historiques avec leurs voisins. Le nom de baynounk, est, pour les Manding, synonyme de « ceux qui ont été chassés ». Tous pensent qu’ils ont été maudits par leur dernier roi ce qui explique les oppositions aux mariages inter-ethniques.

Les Baynounk, eux-mêmes, évoquent la malédiction comme explication de la disparition progressives de leur langue.

L’auteur constate un effacement, une assimilation constatée par Paul PélissierDans sa thèse, Les paysans du Sénégal, parue en 1966 :

« Le souvenir de son passé prestigieux et la conscience de son effacement confèrent à cette ethnie un complexe d’infériorité très sensible qui rend discrète sa présence et la promet, semble-t-il, à une totale absorption par les groupes au milieu desquels elle est aujourd’hui dispersée. »Citation p. 135

 

Depuis les années 1980, on assiste à une renaissance de l’identité baynounk : réhabilitation, statut de premier habitant, recherche de la tombe royale pour un pèlerinage de réparation qui mettrait fin à la malédiction.

Mythe et histoire ont souvent été confondus. L’auteur « défend l’idée que l’existence de Ngana Sira Banna Biaye est plus mythique qu’historique. Cela ne veut pas dire que les Baynounk n’aient jamais eu de rois de sa dimension dans leur histoire.[…] La malédiction n’existe que par le fait d’y croire. »Citation p. 148

Elle permet, cependant, d’expliquer le déclin d’un peuple. Le mythe est alors une histoire sacrée.