Cette bande dessinée a été élaborée par Luc Truntzler, passionné d’intelligence artificielle (IA), qui a pris en charge le scénario et les détails techniques, et par Thomas Rajeau, dessinateur. Les auteurs tentent, avec des fortunes diverses, de transmettre et de vulgariser auprès d’un large public les modes de fonctionnement des IA ainsi que leurs évolutions successives.

L’entreprise est audacieuse : il s’agit à la fois d’entrer dans la complexité de ces systèmes informatiques et de les rendre attrayants graphiquement. La trouvaille narrative des auteurs consiste à faire dialoguer trois personnages : un grand-père ancien informaticien à la retraite, passionné d’IA ; sa petite-fille, qui travaille dans ce même domaine au sein du département IA de Meta à Paris ; et son frère, ingénieur agronome, sensible à l’écologie et plutôt réticent face à l’évolution numérique du monde contemporain.

Tout au long de l’ouvrage, le lecteur découvre de manière relativement détaillée les débuts de l’IA, depuis l’invention du terme en 1956 par John McCarthy lors de la conférence de Dartmouth. Le grand-père souligne d’ailleurs l’ambiguïté marketing liée à cette appellation. On apprend ainsi à distinguer les IA génératives, le fonctionnement des « réseaux de neurones artificiels », des « machines apprenantes » et du « deep learning ». Des figures clés de ces développements, comme Alan Turing ou Yann LeCun, sont évoquées. L’une des premières applications du deep learning, rappelons-le, a été mise au point par Yann Le Cun pour aider les services postaux américains à trier automatiquement le courrier en reconnaissant les chiffres manuscrits des codes postaux dès les années 1980.

La critique des IA est incarnée par le petit-fils, fraîchement diplômé en agronomie, passionné de permaculture et soucieux de renouveler les pratiques agricoles. Ce personnage permet d’introduire une distance critique face à l’enthousiasme technophile des deux autres protagonistes.

Les auteurs expliquent comment l’évolution conjointe des logiciels et du matériel informatique a permis, depuis 2010, de multiplier par deux tous les deux ans la quantité de données produites depuis la naissance de l’humanité. Nous sommes entrés dans une dynamique exponentielle où la quantité de données et la puissance de calcul s’accroissent sans cesse, conformément à la loi de Moore, désormais actualisée : la puissance de calcul double tous les dix-huit mois. Cependant, l’usage intensif des GPU (Graphic Processor Unit), qui permettent aux IA dites « génératives » de fonctionner, pose un problème majeur de consommation d’eau pour refroidir ces processeurs.

Les auteurs distinguent plusieurs types d’IA (déterministes, génératives, prédictives) et expliquent avec précision leurs objectifs, leurs modes de fonctionnement et leurs productions. Ils soulignent également les biais des IA, liés notamment aux bases de données d’entraînement. Par exemple, OpenAI a aspiré l’équivalent de tout le web pour entraîner son IA ChatGPT ; à titre de comparaison, Wikipédia ne représente que 3 % de cette masse colossale de données. Cinq grandes limites des IA génératives sont identifiées : les biais, l’inexplicabilité, les hallucinations, les problèmes liés à la propriété intellectuelle et l’impact environnemental.

On perçoit cependant un parti pris technophile, notamment chez les deux personnages principaux, le grand-père et la petite-fille. La page 70 illustre cette « idéologie », cette croyance selon laquelle le progrès technique saura résoudre les problèmes qu’il engendre : « Si beaucoup de personnes l’utilisent, elle va s’améliorer. »

 

 

L’exemple cité page 73, celui d’une IA for green optimisant la consommation de kérosène des avions, peut prêter à sourire, mais il reflète bien cette « foi dans le progrès », partagée par de nombreux acteurs du numérique.

 

 

Le ton reste très didactique, ce qui peut rendre la lecture ardue pour certains publics (un twist narratif intervient heureusement aux deux tiers de l’ouvrage). Le sujet, difficile à représenter graphiquement, a poussé le dessinateur à recourir à une tablette graphique, ce qui confère un côté futuriste aux dessins et aux couleurs.

Les auteurs évoquent aussi les pistes de recherche futures : la multimodalité (l’IA pourra traiter simultanément texte, images, vidéos et son), le raisonnement et l’IA agentique (capable d’effectuer des tâches de manière autonome, comme acheter un billet de train). L’impact sur l’emploi est abordé, mais la réponse du grand-père – « c’est une transformation des métiers et non une destruction des emplois » – semble quelque peu optimiste. Les exemples historiques (train, automobile, électricité) ont certes transformé de nombreux métiers, mais les nouveaux emplois créés n’ont pas toujours compensé les pertes, comme le montre la mécanisation de l’agriculture. Surtout, les transformations induites par les IA se comptent en mois, là où les révolutions industrielles précédentes s’étalaient sur des décennies.

Cette bande dessinée, accessible à tous, peut être mise entre les mains des enseignants et des élèves pour une « mise à jour » sur une question d’actualité et de débat. (Petite question bonus : l’auteur de cette chronique a-t-il eu recours à l’IA ?)