A partir du témoignage brut d’un policier arrêté par la Gestapo en raison de l’implication d’un de ses indics, Laurent Joly brosse le tableau d’une partie de la section « recherches » des RG parisiens.

C’est une nouvelle édition de cet ouvrage, publié une première fois en 2009, que proposent les éditions du CNRS. Par rapport à la publication de 2009, le texte du témoignage de Louis Sadosky n’a bien sûr pas changé, mais Laurent Joly qui en fait la présentation a complété par de nouveaux éléments qui portent notamment sur la carrière de ce policier zélé.
En dehors du témoignage brut d’un homme ordinaire confronté à une situation qu’il ne comprend pas, l’intérêt du livre réside dans la préface et la postface qui éclairent un peu plus les rapports troubles qu’une partie de la police parisienne entretenait avec les autorités d’occupation.

Arrêté le 2 avril 1942, en compagnie d’un de ses anciens chefs, l’ex-commissaire Louit, alors fonctionnaire suspendu, Louis Sadosky ne comprend pas ce qui lui arrive, lui qui s’est appliqué à toujours suivre les ordres qu’on lui donnait et qui n’a pas d’antipathie pour l’Allemagne nazie. C’est une sombre histoire d’espionnage dans laquelle un de ses indics était soupçonné qui le conduit à Berlin, au siège de la section IV E 3 de la Gestapo. Mis en cellule, peu nourri et devant résister à un froid glacial, il supporte mal le changement de statut, de policier à prisonnier, il avoue dans son rapport avoir prié, avoir pleuré. Tout comme son ancien chef, il doit alors faire face à une série d’interrogatoires, où la pression est essentiellement psychologique. Les policiers l’interrogeant ont apporté de Paris de nombreuses pièces et essaient de le prendre en défaut.
Vers la fin de son séjour, la situation se détend par moments, il va, tout comme l’ex-commissaire Louit, pouvoir manger en extérieur, visiter Berlin sous la conduite d’officiers qui avaient participé aux interrogatoires. Les discussions avec l’un d’entre eux lui apprend, à lui qui croyait encore à la création d’un gigantesque ghetto pour rassembler les Juifs quelle est en fait leur destinée : l’élimination totale. Il l’écrit dans son rapport, remis à ses supérieurs peu de temps après son retour à Paris.

Enfin libérés, Louit et Sadosky rentrent à Paris , Louit qui était déjà suspect pour avoir été collaborateur de Mandel et soupçonné d’avoir dissimulé des pièces que l’occupant aurait pu utiliser ne rentre que pour peu de temps car il par la suite il est à nouveau arrêté, envoyé à nouveau en Allemagne, emprisonné, torturé.
Les relations entre les deux compagnons de ce séjour forcé à Berlin d‘avril 1942 à mai 1942 sont mauvaises : pendant les moments où ces deux personnages de tempérament très différents peuvent se parler, Louit reproche à son ancien subordonné de trop parler lors des interrogatoires et implicitement de manquer de discernement dans ses réponses. Sadosky qui, lui, n’a pas été suspendu réplique de plus à plus à son ancien chef.
Le rapport de Sadosky n’omet rien de ces querelles et il note de même tout, absolument tout, avec la précision de l’inspecteur des RG qu’il est : l’heure et la composition des repas, le nombre de cellules à son étage, ce qu’il voit par la fenêtre, ce qu’il découvre lors de ses promenades accompagnées dans Berlin, les restaurants qu’il a fréquenté, les blockhaus de DCA, les bâtiments, la foule dans les rues, etc.

En dehors de ce témoignage brut d’un fonctionnaire de police toujours appliqué à bien faire et à se justifier auprès de ses supérieurs, le plus intéressant du livre est le « décodage » dû à la plume de Laurent Joly, dans la préface et surtout dans la postface dans lesquelles ce spécialiste de l’antisémitisme dans les années 1940 décrypte le fonctionnement de la Préfecture de Police et de son service de renseignement. Ce fin connaisseur de la réalité policière de la période de l’occupation, auteur notamment de L’Antisémitisme de bureau. Enquête au cœur de la préfecture de police de Paris et du commissariat général aux questions juives (1940-1944), publié chez Grasset en 2011 indique quelle a été l’action de Louis Sadosky après sa période d’incarcération en Allemagne : ce policier, toujours zélé, finit par devenir responsable du « rayon juif » qui s’occupe des personnes en infractions et sa satisfaction est de faire du chiffre. On ne peut qu’être interpellé par ce personnage, au demeurant peu intéressant, qui continue son travail avec ardeur tout en sachant dès le printemps 1942 qu’une solution finale existe. Même pas collaborateur par idéologie, son ambition est de bien faire son travail, d’arrêter des gens, de les transférer aux autorités qui les réclament sans se préoccuper de leur sort futur, qu’il connaît pourtant. En somme un parfait exemple du redoutable fonctionnaire sans états d’âme, aussi dangereux dans cette période trouble que les collabos les plus engagés.

Le livre apporte quelques notations de détail sur la vie à Berlin en 1942, beaucoup sur Sadosky lui même et sur son chef et sur les techniques de la Gestapo, à partir de la sombre affaire Olpinski qui après avoir mené le rédacteur contre sa volonté en Allemagne le conduit à rédiger ce rapport, bien entendu destiné à ses chefs.
Mais ce n’est pas ce « témoignage brut » qui est le plus important. C’est tout le mérite de Laurent Joly de mettre en évidence le petit monde de la section de recherches des RG parisiens et le fonctionnement d’un policier exemplaire « qui fait simplement son travail ».

Complété par un tableau des grades dans la SS et dans la Gestapo, une impressionnante liste de sources , un index et plus d’une soixantaine de pages de notes, hélas toujours reportées en fin de volume, ce livre est donc particulièrement utile pour ceux qui s’intéressent à cette période et aux différents aspects de la collaboration.

compte rendu rédigé par Alain Ruggiero, chercheur associé au CMMC