Stéphane Guerreagrégé d’histoire et docteur en Histoire moderne, s’est lancé, avec cette nouvelle biographie sur Louis XIV, un défi compliqué : parler du roi soleil en 250 000 signes. Pari réussi, avec cette biographie fluide mais d’un niveau scientifique soutenu. Louis XIV, personnage « continent », gagne à être raconté avec un petit format. En effet, cet ouvrage permet d’aller à l’essentiel, de faire exister le personnage sans que son règne prenne le dessus, tout en dressant un panorama de l’ensemble du règne, et notamment de sa fin qui est moins connue.
Au début de sa biographie, Stéphane Guerre dresse le constat suivant : Louis XIV, malgré les nombreux ouvrages à son sujet, reste un homme méconnu et mystérieux. Effectivement, c’est un personnage très problématique, les notions de monarchies absolue et administrative et d’absolutisme étant sources de questions et de débats. De plus, Stéphane Guerre prend le parti de se poser la question de l’homme et de sa psychologie car, au final, Louis XIV est un personnage relativement mal connu. Ce roi, en représentation permanente, reste opaque, d’autant que ses contemporains nous ont laissé des avis contradictoires sur sa personnalité, son intelligence, sa morale. Malgré la thèse du roi absolu, le roi est au centre d’une techno-structure et ne décide pas seul. Il est souvent hésitant, doute et prend en compte les conseils de son entourage. Dès le XVIIe siècle, Saint-Simon dresse la thèse d’un roi faible dominé par ses ministres. Entre les thèses du roi absolu et du roi « faible », la question de l’homme prend tout son sens.
L’ouvrage, divisé en quatre gros chapitres, se distingue des autres biographies du roi par un découpage chronologique original :
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L’apprentissage du pouvoir de 1638 à 1661 », sur la jeunesse de Louis XIV ;
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Le printemps louis-quatorzien de 1661 à 1679, avec les débuts de son règne personnel ;
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Le temps des ruptures de 1680 à 1700, qui revient sur les grandes années de son règne et la mise en place de nouvelles pratiques du pouvoir ;
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Le roi crépusculaire de 1701 à 1715, qui se heurte à de nombreuses difficultés à la fin de son règne.
Avec les ruptures choisies, Stéphane Guerre propose de rééquilibrer des différents moments du règne de Louis XIV, partant du principe que, si les années Colbert sont centrales, elles ne doivent pas surdéterminer le règne de Louis XIV. Après sa mort, le règne continue et évolue, avec une mutation des structures étatiques et de l’art de gouverner tout au long du règne. Le corps du roi et l’homme vieillissent. L’âge fait qu’il est moins dynamique dans sa manière de gouverner. Les ruptures choisies par Stéphane Guerre permettent de questionner les évolutions du règne et de la manière dont Louis XIV conçoit son pouvoir, s’ajustant à la réalité de son temps. De plus, les chapitres sont habillement découpés par des références historiographiques incontournables, comme le célèbre « roi de guerre » de Joël Cornette, ou aux grands tournants du règnes.
L’apprentissage du pouvoir (1638-1661)
Cette première partie s’attarde sur l’apprentissage du pouvoir par Louis XIV, jusqu’au début de son règne personnel en 1661. Dès son enfance, l’éducation du jeune Louis Dieudonné (héritier si désiré qu’il est nommé don de Dieu), lui apprend à donner, en toutes circonstances et avec la complicité des domestiques, l’image d’un souverain, d’un maître. Dès son plus jeune âge, ses serviteurs lui répètent qu’il est le maître. Le jeune roi, en perpétuelle représentation, doit apprendre à maîtriser son corps et ses émotions afin de se parer d’une majesté qui doit apparaître comme naturelle à ses sujets. Tout son être doit se plier aux rythmes de l’Etat. Avant de régner sur les autres, Louis Dieudonné doit régner sur lui-même. En définitive, le premier que le roi soumet à sa volonté absolue demeure lui-même. Son mentor et parrain Mazarin lui apprend à ne « jamais rien céder qui prouverait que l’homme prime sur le souverain », quitte à créer « un trop-plein d’incarnation en se proclamant sans cesse maître de l’État ». Il est très intéressant de suivre le roi enfant quand, projeté dans un monde d’adultes sans concessions, il doit éviter de s’égarer dans les méandres de la Fronde et s’initier à l’art de la conduite des hommes.
Le printemps louis-quatorzien (1661-1679)
Les nombreuses réformes opérées et les réussites politiques des premières années du règne personnel de Louis XIV constituent une sorte de « printemps louis-quatorzien », pour reprendre l’expression de Joël Cornette. Ces années sont très importantes car elles conditionnent, excessivement selon Stéphane Guerre, notre vision du règne de Louis XIV, en donnant une place excessive aux années Colbert et Louvois, qui ne sauraient résumer le long règne du Roi Soleil.
Une place importante est accordée, dans ce chapitre, au roi de guerre, d’après les travaux de Joël Cornette. La guerre joue, en effet, un rôle essentiel dans la construction de l’absolutisme. Elle permet de construire et de faire l’Etat, Stéphane Guerre reprenant le concept anglo-saxon d’Etat militaro-fiscal. Mais la guerre peut aussi défaire l’Etat, l’emprunt finançant la guerre et l’impôt permettant de relancer cycle de l’emprunt. Ce système montrera ses limites à la fin du règne de Louis XIV. De plus, la guerre change tout au long du règne du roi. S’impose une conception d’une monarchie absolue de la guerre, dirigée depuis Versailles. Cette implication du roi dans les affaires de la guerre, et de l’Etat de manière générale, permet d’afficher une extrême personnalisation du pouvoir qui persuade ses contemporains que Louis XIV se distingue de ses prédécesseurs. Néanmoins, jamais ses contemporains ne parviendront à savoir s’il prend lui-même ses résolutions ou si elles sont prises en son nom. En effet, le roi demeure, tout au long de son règne, silencieux, imposant à tous le secret d’Etat. Malgré une personnalisation de plus en plus extrême du pouvoir, il demeure impossible pour ses contemporains de connaître les pensées ou les émotions du roi.
De plus, à la fin du « printemps » et au début du temps des ruptures, Versailles devient le sommet de la « propagande » royale : un ambassadeur reçu à Versailles est écrasé par la gloire du roi. Versailles, en elle-même, est une véritable performance, une représentation du pouvoir du roi et l’incarnation de la centralisation, toujours plus grandissante, du pouvoir royal :
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Le roi est capable de nourrir 5000 nobles ;
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Il est capable de faire venir l’eau à Versailles ;
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Il est capable de centraliser tous les messages…
Au final, la « prise de pouvoir » de Louis XIV, à partir de 1661, se traduit par un renforcement incontestable de son autorité. Plus que jamais, l’idée de toute-puissance du roi est portée à son comble et magnifiée par toute une série de représentations, de discours ou de rituels officiels. Ce roi se distingue des autres par une absolutisation de plus en plus importante de son pouvoir. Néanmoins, cette représentation du pouvoir absolu masque une techno-structure qui ne cesse de se renforcer, des acteurs importants qui ont œuvré à la pratique du pouvoir et des compromis plus ou moins tacites avec une partie des élites, nécessaires au roi pour se faire obéir. La personnalisation extrême du pouvoir n’aurait pu se faire sans la complicité et la participation d’une partie des élites.
Le temps des ruptures (1680-1700)
Ce chapitre décrit les évolutions de la personne du roi et de sa conception du pouvoir entre l’installation à Versailles dans les années 1680 et la mort de Louvois. La manière de gouverner change, avec un roi qui impose son rythme au pouvoir en permanence. Stéphane Guerre parle de roi qui danse. L’essentiel de son pouvoir est dans ce rythme. Entre la mort de Colbert en 1683 et celle de Louvois en 1691, le régime louis-quatorzien se transforme profondément, au point que plusieurs de ses fondements s’en retrouvent ébranlés : politique religieuse, situation des ministres au sein du gouvernement, implication du souverain dans la conduite de la guerre ou dans les affaires de l’Etat, place de la France en Europe, perception du territoire et de sa défense… L’installation définitive de la cour à Versailles, en 1682, constitue une rupture politique et symbolique forte.
Le roi se rigidifie, avec l’usage d’une politique de la force et l’emploi de moyens plus brutaux pour remplir ses objectifs. La mort de Louvois en 1691 est une césure importante de ce chapitre. Le fait de suivre, pendant quelques pages, cet historien qui connait parfaitement les rouages de l’Etat absolu et ses acteurs, permet de mieux comprendre pourquoi sa mort constitue une rupture majeure dans la pratique du pouvoir du roi.
Autre point important, la personne physique du roi change car il commence à avoir des problèmes de santé conséquents. La mort s’abat autour de lui. Sa femme, Colbert et Louvois meurent, dévoilant les failles d’un homme qui joue sans cesse le rôle de monarque absolu qu’il s’est lui-même imposé. En effet, le monarque gémit, pleure, hésite, souffre, mais accepte de repenser son autorité.
Le roi crépusculaire (1701-1715)
Au début du XVIIIe siècle, le poids conjugué de difficultés de toutes natures (dégradation de la puissance française qui n’impose plus la paix à ses adversaires et qui doit accepter de rendre une partie des conquêtes réalisées depuis 1679, déficit qui se creuse, notamment à cause des guerres que le roi a menées à crédit…) fait vaciller la monarchie. Le roi est désormais âgé et assiste, parfois médusé, à des bouleversements qui menacent l’œuvre de sa vie. S’ouvre ainsi une période d’échecs dans la dernière partie du règne. La monarchie louis-quatorzienne, dont le pouvoir n’a jamais été aussi fragilisé, tente de se réformer face à ces crises.
Conclusion
Pour conclure, je ne peux que conseiller la lecture de cette excellente biographie. Ecrire une biographie de Louis XIV d’environ 200 pages, fluide et scientifiquement solide, nous permettant de mieux comprendre l’homme, sa conception et sa pratique du pouvoir, était un grand défi. Comme les autres ouvrages de la collection biographie des éditions PUF, Louis XIV propose une synthèse agréable à lire qui s’appuie sur les dernières recherches historiographiques. Stéphane Guerre s’appuie judicieusement sur des sources administratives et des témoignages d’époque, nous permettant de mieux comprendre la personnalité d’un roi très complexe, ses réactions face aux nombreux défis qui ont jalonné son règne. Découvrir les failles d’un homme incarnant le monarque absolu en toutes circonstances a été un véritable plaisir.
De plus, Stéphane Guerre accorde une place importante à l’entourage du roi, notamment aux figures de Mazarin, de Colbert, le ministre des finances, de Louvois, le gestionnaire de la guerre, de Desmaretz, le technicien des finances… Il explique également, de manière claire et concise, les différentes crises et inflexions qui ont jalonnées le règne, de la Fronde à la Guerre de Succession d’Espagne, sans jamais oublier de laisser la figure du roi au centre de son propos. Les nombreuses métamorphoses d’une monarchie de plus en plus structurée et performante, la création d’une implacable machine administrative qui n’a cessé de se perfectionner, permettent au roi, sur son lit de mort, de déclarer : « Je m’en vais, mais l’État demeurera toujours », furent ses dernières paroles. Après lui, conclut Stéphane Guerre, l’État absolu peut se dispenser du roi absolu.