Les liens entre géographie et musique étant établis, il pouvait également être intéressant de se pencher sur la relation entre espace et sons de manière plus générale et ici, plus animale même s’il est aussi question de fleurs, de glaciers ou encore de vents. C’est ainsi qu’on définit, p 113, les paysages sonores naturels à l’aide de la biophonie (les sons produits par les êtres vivants non humains), l’anthropophonie (les sons, voix et musiques d’origine humaine) et la géophonie (les sons naturels mais abiotiques comme les rivières, les éclairs, la pluie…).
Cet ouvrage de Jérôme Sueur, enseignant-chercheur en écoacoustique et bioacoustique au muséum national d’histoire naturelle, regroupe les textes de sa chronique radio sur France Inter. Le plan suit un classement fonction des liens écologiques, physiques et comportementaux des espèces retenues.
Le contexte récent des confinements a lancé l’intérêt pour cette question des bruits de la nature et en a favorisé la perception. Mais de chants d’oiseaux plus nombreux ou plus puissants il ne s’agissait pas, juste de notre meilleure perception du fait de la réduction des bruits humains durant ces périodes.
La géographe y lira bien sûr des répartitions, incroyablement subtiles, encore plus dans le cadre endémique de l’insularité. Les animaux cherchent à se faire entendre loin, parfois très loin à l’image des orang-outans (p 108) dont les vocalises portent à plus d’un kilomètre. Ils ont parfois des accents permettant de bien les différencier (p 109 : les chardonnerets algériens et marocains ne chantent pas tout à fait de la même manière) et des cris différenciés selon les buts poursuivis comme, par exemple, les lémuriens de Madagascar (p 22 : défense du territoire, reproduction, cohésion de groupe). Quand cela est nécessaire, certaines espèces n’hésitent pas à faire usage d’objets tiers comme les grillons, pp 35-36, qui mobilisent des feuilles pour accroitre la portée de leur chant ou occupent des points précis de la ville pour chercher une meilleure réverbération du son. Et quand la localisation par la vue n’est pas opérante, le recours à une ouïe plus fine apparait la solution comme certaines chouettes (p 78) présentant une asymétrie haut-bas des oreilles pour mieux identifier la provenance des sons.
L’ouvrage permet de prendre un peu de hauteur théorique en rappelant les techniques géographiques d’observation (p 40 : l’observation directe à un poste fixe, le pistage par la recherche de traces, le prélèvement de poils laissés pour obtenir des données génétiques, le piégeage photographique avec appareils placés sur des lieux de passage, la télémétrie par GPS grâce à des colliers émetteurs placés sur les animaux) auxquelles s’ajoute donc une approche acoustique, écologique et économique, d’enregistrement du paysage global pour voir les arrivées/répartitions de meutes par exemple (comptage, comportements…). La technologie humaine n’est d’ailleurs pas sans s’inspirer des animaux à l’image de l’écholocalisation des chauve-souris, p 109, qui pourrait aider à parfaire les systèmes de navigation humains.
L’analyse passe toute seule car la plume de Jérôme Sueur est limpide et riche d’humour : des cavités crâniennes de ces punks de parasaurolophus (p 44, puisque l’ouvrage évoque aussi des « sons du passé ») à « Jean-Marc », p 116, le « pinson fort, musclé et open » en passant par certains singes hurleurs (p 74) qui trichent sur leurs capacités réelles, « comme de nombreux mâles titillés par la vue affriolante d’une âme à séduire, les motards, mais aussi les conducteurs de grosses voitures surélevées, veulent faire croire qu’ils sont plus grands et plus forts qu’ils ne le sont en faisant plus de bruit qu’ils ne pourraient le faire avec leur seule voix ».
Le genre d’ouvrage agréable à lire, téléphone à portée de main pour écouter les sons référencés par des QR Code au long de l’ouvrage et riche de pistes tant le sujet est peu défriché en dehors de la sphère des spécialistes et tant il reste, selon l’auteur, de « l’inconnu sonore ».