Jean-Michel Crépu et Jean-Pierre Boris proposent avec ce documentaire une analyse des inégalités et des dysfonctionnements de l’économie mondiale au travers d’un produit : le riz. Ce travail a reçu le Fipa d’or 2010. Sans artifice, le film se suit pourtant comme une vraie enquête. Ce qui est particulièrement appréciable, c’est que les auteurs enchevêtrent, mais de façon très claire, le jeu des acteurs. Loin de se livrer à une dénonciation stérile, ils décortiquent les tenants et aboutissants du marché du riz. Le film est centré sur la crise de l’été 2008.
Jean-Pierre Boris est spécialisé sur les questions de développement et a déjà écrit un livre sur les matières premières où un chapitre était d’ailleurs consacré au riz. Jean Crépu a déjà réalisé plusieurs documentaires primés dont « Enfant de collabo, la mémoire d’un père ». Pour ceux qui le souhaitent, Jean-Pierre Boris reprend l’argumentaire du film dans un livre intitulé de la même façon. Il y a des compléments qui consistent en quatre entretiens, dont l’un avec Philippe Chalmain, autre spécialiste de la question des matières premières.

Le riz, un enjeu de la mondialisation

Le riz est la céréale la plus consommée au monde et elle nourrit environ trois milliards d’êtres humains. C’est un produit qui peut permettre d’aborder la mondialisation, car il provient de nombreux endroits de la planète comme la Thaïlande, les Philippines, la Chine ou encore le Sénégal. On aborde aussi l’Etat, les intermédiaires et la question des transports. Le produit circule donc sur la planète et il existe des qualités très différentes. On retrouve ainsi 109 000 variétés de riz différentes et la recherche scientifique s’est emparée de cette question avec notamment l’IRRI, l’institut de recherche philippin, véritable conservatoire de la diversité. La mondialisation possède également une dimension historique que l’on retrouve dans le fait de consommer du riz aujourd’hui en Afrique. Cette situation s’explique par la période coloniale puisque, selon la logique d’alors, il faut spécialiser chacune des colonies : ainsi le Sénégal fera de l’arachide et consommera le riz venant des colonies françaises d’Asie. Enfin, on rencontre les acteurs internationaux comme le FMI qui a poussé l’Afrique à importer du riz selon un principe qui visait elle aussi à spécialiser chacun des pays en lui disant qu’il trouverait à s’approvisionner à meilleur marché sur le marché mondial.

Démonter les mécanismes à partir de la crise de 2008

Que se passe-t-il à l’été 2008 ? En quelques mois, le prix des produits alimentaires explose : celui du riz est multiplié par 6. On lit alors dans les journaux et on entend dans les médias des discours avec le mot famine, laissant à penser que le problème est la quantité. Or, comme on l’enseigne aux élèves de seconde, la problématique essentielle de la nourriture est la mauvaise répartition. Les premiers signes de la crise apparaissent en août 2007 : la récolte thaïlandaise est en retard et les autres pays ont en plus des récoltes moins bonnes cette année-là. La météo s’en mêle et finalement certains exportateurs décident d’arrêter d’exporter en prévision. Aux Philippines, la question du riz est particulièrement cruciale. S’il vient à manquer, c’est la révolte qui gronde. Le résultat c’est l’emballement, car les Philippines veulent importer encore plus que d’habitude !

Qui est coupable ? une question pas facile à trancher

On pourrait croire naïvement que chaque gouvernement anticipe pour que sa population ne manque pas : évidemment la réponse est plus cynique : quand le prix du riz augmente, les commissions touchées par les importateurs augmentent également, et encore plus à un certain niveau de prix du riz. En 2008, le mari de la présidente des Philippines pousse donc à l’importation. La Thaïlande, quant à elle, joue le jeu dangereux de la spéculation car les récoltes ne se révèlent pas si mauvaises finalement. Face à une telle situation, le gouvernement du Sénégal décide de subventionner le riz importé pour limiter l’impact de la hausse des prix sur sa population. Les importateurs ne jouent pas le jeu et cherchent le profit. Les importateurs accusent les traders et ces derniers reconnaissent avoir un peu spéculé : bref tout le monde participe au processus et chacun pense que l’autre est davantage coupable.

Le circuit court : une solution ?

Le président Wade improvise alors une politique d’autosuffisance alimentaire : il subventionne avec des tracteurs, des engrais. Les résultats sont encourageants a priori, mais le problème ensuite est d’acheminer la production locale jusqu’aux marchés de Dakar. Finalement la production sénégalaise est vendue en Mauritanie. Le Mali choisit également de limiter ses importations. Cela peut fonctionner avec une volonté gouvernementale prolongée. Les petits paysans qu’ils soient du Mali ou du Sénégal, aimeraient bien exploiter la taille de la superficie de leur exploitation. On retrouve ce même genre de discours dans la bouche des paysans philippins.

Et demain ?

Pour demain les questions sont nombreuses et les implications importantes. On retrouve la Chine qui prend position au Mali et puis surtout on retrouve le phénomène du landgrabbing, c’est-à-dire l’achat de terres d’un pays par un pays extérieur. Les clauses de l’accord restent secrètes. La Libye est ainsi en train d’aménager 100 000 hectares de terres. Pour la mise en place, elle s’appuie sur des entreprises chinoises. Tout ceci aboutit parfois à un « choc des cultures », car parmi les aménagements prévus, il y a un canal mais celui-ci passe sur un ancien cimetière.

C’est donc un documentaire passionnant. Encore une fois, l’entrée par l’objet ou la matière se révèle particulièrement efficace. On songe ici à d’autres documentaires comme celui sur les fleurs, autre clé de lecture possible de la mondialisation. Mais ici, en plus, l’entrée par un moment de crise permet de marier le structurel et le conjoncturel.

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