Jean-Michel Dasque : Géopolitique du crime international – Éditions ellipses 2008

Cet ouvrage a été rédigé par un acteur qui a eu accès à l’essentiel des dossiers internationaux consacrés aux organisations criminelles transnationales. Jean-Michel Dasqu un et représentant permanent de la France auprès de l’Office national des États-Unis de lutte contre la drogue et la criminalité et conseiller diplomatique du président de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.
Cette présentation de la grande criminalité est très proche d’un rapport synthétique qui permet au lecteur de faire le tour de la question sans doute sous tous ses aspects.
L’ensemble des questions que pose, dans le cadre de la mondialisation, le développement des organisations criminelles transnationales est évoqué. De ce point de vue, l’ouvrage répond parfaitement à l’objectif que l’auteur s’était fixé. On sera par contre beaucoup plus réservé sur la vision géopolitique de cet ouvrage. On aurait aimé par exemple voir quelques descriptions plus précises des réseaux criminels sur leur terrain d’élection.

Les méthodes

On pense par exemple à l’Asie orientale et l’usage que les triades font des circuits commerciaux intra régionaux que l’on connaît bien dans le domaine du commerce des biens durables et semi durables.
La première partie propose un historique des organisations criminelles transnationales ainsi que de leurs méthodes. L’ensemble de ces organisations, qu’elles soient issues de la vieille Europe ou d’Asie s’est développé au XIXe siècle et pendant tout le XXe siècle, même si on peut leur trouver des origines plus les anciennes. Dans le cas de la mafia sicilienne par exemple certains auteurs font remonter son origine à la présence arabe et à la résistance contre les Normands. Pour les triades de Chine on peut également trouver des origines dans les mouvements de résistance populaire contre les dysfonctionnements du régime impérial.
Mais ces références historiques sont surtout destinées, d’après l’auteur, à donner une allure romantique à ce que relève bel et bien d’une criminalité crapuleuse.
Ce qui différencie une organisation criminelle transnationale d’un groupe délinquant traditionnel se situe à la fois dans l’enracinement territorial et dans la capacité de projection au-delà du territoire d’origine. De ce point de vue, le milieu marseillais ou corse, même s’il a entretenu et entretient encore des liens avec les groupes criminels de la péninsule italienne, mafia, camorra, ne relève pas de cette classification.
La stratégie des mafias, si on veut utiliser ce terme générique, n’est pas tellement différenciée quelle que soit l’organisation en cause. Les moyens d’action sont toujours les mêmes : ils associent la violence, intimidations et corruption. Cela les amène à entretenir des liens troubles avec un personnel politique en quête de moyens de financements et à jouer un rôle de stabilisateur social en se substituant parfois au service de l’État.

Les mafias au service du capitalisme

Sans la Camorra une partie non négligeable de la population napolitaine serait dans une position d’extrême pauvreté. De la même façon en Colombie, les cartels ont pu prendre en charge des projets d’aménagement voire même des constructions d’écoles à la place des services de l’État. Ce sans doute ce qui explique la capacité de ces organisations à organiser des réseaux de complicité au sein de la population. Par ailleurs, le recyclage des profits du crime organisé suppose également des complicités au sein des réseaux bancaires et financiers qui finissent au bout du compte par irriguer le tissu économique local et régional dans les régions où il se situe. On sait par exemple que dans la région située aux confins du Paraguay, du Brésil et de l’Argentine les cartels colombiens, les gangs syriens et libanais recyclent des sommes astronomiques dans les banques régionales. La faiblesse des structures administratives et judiciaires du Paraguay par exemple empêche toute action concertée contre le blanchiment d’argent de la drogue.
Les relations entre les organisations criminelles et le monde économique ne se limitent pas seulement à l’extorsion de fonds. En Italie du Sud, les relations entre les entreprises et les mafias relèvent davantage de l’échange de services que du simple racket. La mafia est une industrie qui produit, promeut et vend de la protection privée. Cela n’est pas nouveau, la mafia a exercé une forte pression contre les travailleurs agricoles qui essayaient d’obtenir une amélioration de leur situation de la part des grands propriétaires terriens. En Colombie les groupes d’autodéfenses liées au cartel ont défendu les haciendas des grands propriétaires contre les jacqueries suspectées à tort ou à raison de marxisme.
Particulièrement intéressant dans cet ouvrage la présentation sans doute un petit peu rapide des liens avec les organisations terroristes ou subversives. Si les buts des organisations criminelles et terroristes sont fondamentalement divergents, certaines méthodes sont assez proches. Le goût du secret, l’adhésion aveugle des membres des organisations à la cause, l’extrême violence pratiquée font partie des traits communs.

Les mutations des réseaux criminels

Depuis la fin de la guerre froide et l’interruption du soutien logistique que certains pays communistes pouvaient apporter à des groupes terroristes comme la bande à Baader ou les brigades rouges, des réseaux ont dû s’appuyer sur des liens avec les groupes criminels pour pouvoir se financer. Il est évident aujourd’hui que les talibans en Afghanistan ont des liens avec les trafiquants d’opium et assurent la protection des laboratoires de fabrication d’héroïne ainsi que le transit via la Turquie vers l’Europe.
La mutation des forces armées révolutionnaires colombiennes, les FARC, d’organisation de guérilla marxiste en groupe narcotrafiquant est un exemple tout à fait pertinent. Des groupes comme l‘ETA au Pays basque se financent par un impôt révolutionnaire qui relève bel et bien de l’extorsion de fonds auprès des entreprises.
Au niveau des méthodes, dans la partie que l’auteur consacre aux mutations récentes des organisations criminelles transnationales, on remarquera que la violence barbare semble se développer. Jusque dans les années 80 les mafias pratiquaient une violence ciblée, destinée davantage à régler les problèmes de territoires et de concurrence qu’à la volonté de terroriser les populations. Cette situation a complètement changé. Des attentats à l’explosif ont été commis, notamment contre les juges antimafia italiens, et les narcotrafiquants n’hésitent pas à faire subir des exactions aux populations civiles. La mafia russe et du Caucase se caractérise également par sa sauvagerie et son extrême brutalité.

Les mafias dissidentes

La deuxième partie de l’ouvrage fait un inventaire assez précis et même dans une certaine mesure exhaustif des différentes organisations criminelles. Elles sont classées par continent et même les plus petits groupes comme la Stidda sont évoqués. La Stidda a été fondé en 1985 par des dissidents de la mafia qui ne supportaient plus l’autorité des Capi de Corleone. Ce groupe qui est situé dans la région d’Agrigente semble s’être spécialisé dans les jeux de hasard, le trafic d’êtres humains et la prostitution. Ces mafieux font preuve également d’une extrême violence, et ils se situent très loin du « code d’honneur », de la mafia sicilienne traditionnelle. Ils recrutent des marginaux et des laissés-pour-compte du développement économique de l’Italie du Sud.
L’ouvrage reprend la plupart des informations qui sont assez connues sur les mafias d’Asie, comme les triades chinoises, les Yakusa au Japon et la mafia turque, en présentant d’ailleurs des cartes tout à fait précise sur les routes des principaux trafics ainsi que sur les zones de production de produits stupéfiants.
L’auteur évoque également les organisations criminelles transnationales africaines, notamment au Nigéria et en Afrique du Sud. Celles-ci se sont développées grâce à des gangs libanais mais il semblerait que les structures autonomes commencent à émerger. Il est clair que l’Afrique qui doit faire face au fléau de la corruption est particulièrement vulnérable devant ce type de développement. Au Nigéria, les gangs se sont constitués sur des bases ethniques et Lagos est devenu une plaque tournante du commerce de l’héroïne entre l’Asie et l’Amérique du Nord. Le trafic d’armes, les arnaques sur Internet trouvent également au Nigéria un terrain propice. Les conflits interethniques, les mouvements séparatistes permettent également d’alimenter un trafic d’armes qui vient compléter les revenus parfois considérables du braconnage d’espèces menacées qui trouvent leurs débouchés en Asie orientale. (Ivoire, cornes de rhinocéros ; etc.)

La troisième partie de cet ouvrage est consacrée aux moyens de lutte contre ce fléau. Force est de constater que les instances internationales sont désarmées. La mondialisation qui favorise les échanges de toute nature offre autant d’opportunité aux OCT pour leurs trafics divers.
Dans le même temps, la coopération internationale, la circulation des informations en temps réel peuvent largement favoriser les actions de police contre les organisations criminelles. Mais il ne semble pas évident que cela suffise. Les profits générés par les activités illicites sont tels qu’ils permettent d’acheter toutes les complicités quels que soient les états où les organisations criminelles transnationales cherchent à s’implanter. On n’y trouve tout de même ici aussi un inventaire tout à fait exhaustif des conventions et des accords d’application régionale qui permette de lutter contre ce fléau.
On conclura en faisant une comparaison entre les 140 millions de dollars de budget annuel de l’organisation des Nations unies contre la drogue et la criminalité et des 400 milliards de dollars générés uniquement par le trafic de stupéfiants. De plus, même si la lutte contre les paradis fiscaux qui favorisent le blanchiment de l’argent des réseaux criminels est à l’ordre du jour, il n’est pas évident que les micros états dans lesquels ces paradis fiscaux se situent soient en mesure de résister aux tentations de profits générés par ces activités.

Bruno Modica