« Parce qu’il faut toujours aller du simple au complexe : c’est la première règle de l’enseignement au primaire. Ainsi, au CE1-CE2, les enfants apprennent la géographie de la France […]. Au CM1-CM2, ils seront bien armés pour étudier la géographie à l’échelle mondiale […] »

Sous l’apparence d’une véritable maxime pleine d’assurance mais hélas vide de fondement, cette phrase extraite d’une question posée à Jean Némo, directeur des éditions « La Librairie des Ecoles », a suscité la volonté de rédiger cette recension d’un ouvrage non reçu dans le cadre habituel de notre service de presse. Certes, l’auteur justifie son propos en y référant aux programmes officiels de 2008 mais rappelons que, tout aussi peu fondés, ces derniers ont été critiqués en divers endroitshttp://cybergeo.revues.org/20383, http://cybergeo.revues.org/25131 et http://aggiornamento.hypotheses.org/1132 essentiellement parce qu’ils ne daignent pas intégrer ce que nous savons de longue date: que le changement d’échelle est sans nul doute l’approche qui permet de mieux faire vivre les problématiques de la géographie contemporaine.

Après ce volume CE1-CE2 paru en 2010 (dont on peut toujours questionner l’association CE1-CE2 puisque les usages nous orientent depuis 20 ans vers une approche en cycles, ici 2 et 3 – quid du CP donc ?), la sortie sur cet automne 2012 de l’opus CM1-CM2 était l’occasion de découvrir cet éditeur et de décortiquer ses produits.

Parti pris clairement visible sur le site Internet, la Librairie des Ecoles assume une direction ancienne, basée sur la « transmission explicite des savoirs ». Premier hic, particulièrement pour notre discipline qui souffre encore beaucoup de cette méthode.

Côté maquette, ce choix se traduit par la présence d’une double page par leçon, toujours uniquement structurée autour de photographies et de cartes faisant la part belle aux repères naturels (des fleuves où personne – ou si peu – ne navigue, des frontières que personne ne traverse, des côtes sans ports…) laissant progresser l’overdose des coloris vert, jaune et marron. Cette pauvreté dans la diversité des documents amène l’ouvrage à ne proposer aucun graphique, tableau, schéma ou encore texte (à l’exception de la leçon en tant que telle, cela va sans dire).

Comme attendu, le contenu présente donc d’innombrables portraits de territoires, répétitifs et assommants à souhait, aux questionnements tirés par les cheveux (exemple d’une photographie d’un employé étiquetant des bouteilles de parfum à Manosque : Q1 : Au premier plan, les flacons sont-ils étiquetés ? R1 : Non. Q2 : Au second plan, les flacons sont-ils étiquetés ? R2 : Oui. Q3 : (moralité) Qu’en déduis tu sur le travail de l’employé ? R3 :…il met les étiquettes sur les flacons !) ou ne faisant pas avancer le débat (« Demande autour de toi si les gens savent si leur commune appartient à une communauté de communes, une communauté d’agglomération ou une communauté urbaine et tu verras que, la plupart du temps, ils l’ignorent » ! Que faire avec ça ?). La caricature s’invite aussi avec, par exemple, cette habituelle question des pays riches et des pays pauvres : les Allemands pour les uns, les Tchadiens pour les autres, les deux photographies signées Peter Menzel faisant par exemple partie d’un ensemble sur l’alimentation du CRDP de Lorraine récemment présenté plus complet et surtout bien plus pertinent.

Sur la forme, là aussi, toujours d’après les mêmes présentations de pages, l’élève n’est invité qu’à apprendre et à réciter ce qu’il a pu mémoriser en citant des lieux, en complétant des cartes vierges mais également à trancher sur des Vrai/Faux…et parfois, il n’est pas si évident de le faire…que répondre à la question posée « la géographie sert-elle à apprendre les départements » ? Il n’est pas certain du tout que nos auteurs attendent ici un « non » !

Ce qui demeure également gênant, c’est la pseudo « caution » scientifique apportée par la présence du nom de Gérard-François Dumont dans cette aventure ou de celle de Jean-Robert Pitte au travers de la préface du volume CE1-CE2 ou comment dire aux enfants « travaille en classe, tu découvriras le monde après »…comme faire trop de solfège avant de découvrir l’instrument…on peut démobiliser pas mal de troupes. A une époque tellement critique sur l’enseignement de la géographie où si peu d’ambassadeurs de la discipline regardent du côté de l’enseignement primaire, quel dommage d’aller ainsi s’égarer dans les eaux troubles du passéisme et de l’absence d’ambition scientifique.

Et à l’heure où la plupart de nos élèves rentreront des vacances de Noël avec des tablettes (des oreilles indiscrètes l’ont laissé entendre…Les miennes !), on ne pourra qu’être estomaqué de ce dernier exemple : la présence du langage morse dans la partie « télécommunications » du volume CE1-CE2 !

Enfin, on ne peut pas passer sous silence le lien de cet éditeur avec l’inquiétante association « Sos Education » faisant l’objet de constantes critiques dans son entreprise de démolition de l’école publique. Dans ces temps troubles d’instrumentalisation des contenus et des méthodesVoir notamment ces récents articles au sujet de l’histoire: , voici donc notre pierre apportée à l’édifice en ayant présenté ce genre d’ouvrages. Fuyez donc !