Les têtes d’affiche les plus connues de ce florilège ont pour nom Néron, Vlad l’Empaleur, César Borgia, Fouquier-Tinville, Fouché en duel feutré avec Talleyrand, Himmler confronté à Canaris, et Lavrenti Beria. Leur tiennent compagnie des personnages historiques secondaires tels Olivier Le Daim ou Le Père Joseph, auréolés d’une légende noire peut-être abusive mais devenus des héros maléfiques par le pouvoir de la littérature. Le Romain Crassus, archétype de l’ambitieux sans scrupules, l’empereur Julien l’Apostat, stigmatisé pour son reniement du christianisme, le cardinal de Retz, manipulateur brillant et ambitieux, et l’énigmatique prince de Palagonia, extravagant commanditaire d’un palais au décor monstrueux en Sicile (au profil malgré tout anodin en telle compagnie), complètent ce chapelet des maudits de l’histoire.
Les treize figures du petit théâtre de M. Tulard sont aussi célèbres que décriées. De l’Antiquité à la modernité, toutes arborent la même aura des maudits. Politiques, policiers, hommes de l’ombre, fanatiques, fonctionnaires de la mort, ils ont eu la duplicité ou la cruauté pour instrument d’action. Couronnant leur parcours par une fin à l’image de leur existence, la plupart ont péri de mort violente. Là est tout le paradoxe des indignes : la plate fadeur du bien attire moins le regard de la postérité que l’éclat fascinant du mal.
Pourtant on perçoit bien la tentation de Jean Tulard, entraîné par l’empathie de l’historien ou le tropisme de l’auteur de fiction, d’ébaucher la réhabilitation de plusieurs de ses héros, que l’on découvre moins néfastes que mal aimés. Humanisés, ils semblent moins haïssables. On en viendrait presque à plaindre Crassus et Fouquier-Tinville, admirer l’opaque Beria et même comprendre les atroces procédés de Vlad l’Empaleur ! Nul n’ayant jamais stigmatisé l’inoffensif prince de Palagonia, et l’indulgence de l’histoire étant désormais acquise à Fouché et Talleyrand, Julien l’Apostat, Retz, Olivier Le Daim et au Père Joseph, le cercle des abominables se restreint finalement au trio odieux constitué de Néron, Borgia (malgré tout admiré par Machiavel) et Himmler.
On commence la lecture de cet exercice léger et inattendu avec curiosité, on en sort assez charmé par la force de conviction d’un style oral élégant et limpide et d’un contenu puisé aux grands auteurs. L’agrément dégagé par cette forme savoureuse de vulgarisation est certain. Mais attention au pouvoir du mal : le diable ne se cache-t-il pas dans les détails ? À cet égard, le nombre des tableaux sélectionnés ne doit assurément rien au hasard. Ainsi placé sous le signe redoutable du chiffre treize, on ne peut guère douter de la malice luciférienne de l’auteur…
© Guillaume Lévêque