Les lecteurs réguliers de la Cliothèque reconnaîtront parmi les rédacteurs des notes qui accompagnent le texte original un de nos rédacteurs parmi les plus prolifiques, surtout lorsqu’il s’agit de l’histoire de la seconde guerre mondiale, à savoir notre ami Joël Drogland.
Avec Claude Delasselle ; Michel Cordillot, Frédéric Gand, Thierry Roblin et Jean Rolley, sans oublier Bernard Dalle-Rive pour l’index, ces membres d’une association d’histoire locale de la Résistance ont permis la publication avec des images appartenant à l’auteur, un militant communiste fidèle jusqu’au bout à son engagement, de ce manuscrit qui s’achève en 1996 dans le village où Robert Loffroy a vu le jour.

Un militant communiste loyal

Ce manuscrit a été rédigé au début des années 80, sans doute au moment où la gauche arrivée au pouvoir en 1981, signifiait, pour le parti communiste, le début du déclin. L’ouvrage, s’il consacre une partie très importante à la période de la résistance, traite très largement de la période antérieure à l’occupation, dans les années 20 et dans les années 30 ainsi que la période postérieure. Ce témoignage précieux, ne devrait pas seulement intéresser les historiens de la résistance à l’occupation, mais également ceux de l’histoire du mouvement communiste Français après 1945. Robert Loffroy est un militant, depuis les années 30 jusqu’à aujourd’hui. Il a traversé, non seulement la période, cruciale, de la Résistance, celle des choix décisifs, mais également les convulsions, les réorientations et les changements de ligne du mouvement communiste international dans sa traduction française.

Soyons très clairs, Robert Loffroy a d’abord considéré les socialistes comme des sociaux traîtres, avant de leur tendre la main comme Maurice Thorez au moment du Front populaire. En 1939, mobilisé, à Montauban dans un régiment de hussards, il doit sans doute justifier le pacte germano soviétique, ce qu’il assume parfaitement page 84.

En 1941 il rentre au village, après avoir été démobilisé, et il est censé travaillé sur l’exploitation agricole de ses parents. En réalité il agit dans la résistance en structurant le parti communiste, les premiers groupes de sédentaires des francs-tireurs et partisans, fabrique de nombreux faux papiers d’identité et lutte contre les réquisitions agricoles.

Il rentre dans la clandestinité le 27 janvier 1944 avant de devenir à la fin du mois de juin le dirigeant départemental des francs-tireurs et partisans. Capitaine des forces françaises de l’intérieur au sein du quatrième régiment d’infanterie à la frontière Suisse il met un terme à sa carrière militaire à la fin de l’année 1945.

Un cadre local du parti communiste

De retour dans la ferme de ses parents, à nouveau agriculteur, il s’investit au sein du parti communiste et il apparaît comme un militant qui ne semble pas se poser de questions, malgré les turbulences de l’histoire. La question de savoir si le parti communiste « a vraiment loupé le coche en 1944 » comme le pensent les militants du Limousin ou de la région de Toulouse ne se pose pas pour lui. Pas plus que l’exclusion du parti communiste d’André Marty ou de Charles Tillon. Le tournant du parti communiste qui s’engage dans la confrontation avec les gouvernements de la quatrième République à partir de mai 1947, dans le cadre de la guerre froide, et avant la création du Kominform, ne semble pas l’interpeller non plus. Il est un militant local, investi dans le mouvement de défense des exploitations familiales, le MODEF, – ne pas confondre avec le Medef ! – qui est la structure paysanne influencée par le parti communiste Français.
La crise de Budapest le l’amène pas à se poser de questions, pas plus que le vote par le parti communiste des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet pendant la guerre d’Algérie. Il justifie la ligne du parti, avec loyauté, et en 1970 il apparaît comme un soutien local aux structures paysannes mise en place dans la république démocratique allemande de Érich Honeckher. Il raconte toutefois la crise de mai 68, page 419 sous l’angle de la dérive personnelle de l’un de ses camarades, un certain Guy Fernandez, permanent du parti, qui semble après une ascension rapide de militants avoir dérapé pour finir vendeur de voitures d’occasion.

Électeur de François Mitterrand par discipline

Mais il reste un militant loyal, même si, mais c’est peut-être a posteriori, il ne cache pas sa méfiance à l’égard des socialistes, notamment dans son département. La rupture lors des négociations du programme commun qui suit l’échec de François Mitterrand en 1974 et qui précède les élections législatives de 1978 est très mal vécu, sans doute parce que Robert Loffroy a vraiment cru dans la possibilité d’une transition démocratique vers le socialisme à partir du programme commun. C’est peut-être d’ailleurs sur cette question-là que Robert Loffroy fait preuve le plus d’esprit critique. Mais dans le même temps, le jour du 10 mai 1981 malgré de fortes réticences, il vote pour François Mitterrand mais considère que la participation des communistes au gouvernement est une erreur.

De ce point de vue Robert Loffroy peut être considéré comme un communiste orthodoxe, un militant honnête et intègre, mais en même temps, un homme qui au-delà de son engagement dans la résistance, a été un loyal serviteur de l’appareil local et départemental de son parti.

L’action pendant la résistance

Robert Loffroy tient au jour le jour le journal de son action dans la résistance à partir du moment où il peut quitter, le 3 mars 1941, la porte de l’hôpital mixte de Montauban. Dans un hôpital complémentaire de Montréjeau, où il passe un séjour en convalescence, après un pleurésie, il relate la montée de l’hostilité au maréchal Pétain. Le 17 avril 1941 il est « réformé définitif numéro deux », c’est-à-dire sans pension et peut ensuite rejoindre sa région d’origine. Il raconte la vie de son village Guerchy à l’heure allemande et l’organisation embryonnaire au départ des premières structures de la résistance avec la reparution du journal local du parti communiste, le travailleur de l’Yonne. Très clairement, et indépendamment de ces tentatives de la direction nationale du parti communiste Français de faire reparaître L’Humanité à Paris avec l’autorisation des autorités allemandes en application du pacte germano soviétique à partir de 1940, les militants locaux du parti communiste commencent à structurer une forme d’action de résistance embryonnaire à la fois à l’occupation allemande mais également au régime de Vichy.

Le passage, page 110, entre les premiers contacts de militants communistes qui reprennent leur activité dans le parti et le début de l’engagement après le 22 juin 1941 c’est-à-dire l’offensive allemande contre l’Union soviétique se fait par l’intermédiaire d’un intertitre, la guerre à l’est. Peut-être que sur cette question-là Robert Loffroy manifeste une certaine gêne. Cette résistance paye un tribut très lourd, notamment le 1er mai 1942 avec l’exécution de militants à Auxerre.

Militant de la jeunesse communiste Robert Loffroy cherche à structurer son mouvement malgré les arrestations notamment celle de Raymonde Salez, et son remplacement par un certain Maxime. Un premier dépôt d’armes est également constitué mais Robert Loffroy ne parvient pas à expliquer d’où ces six valises remplies de revolver, celle contenant huit pistolets-mitrailleurs et les 30 000 cartouches, pouvait bien venir. Sans doute d’un stock qui n’avait pu parvenir en Espagne pendant la guerre civile. Le récit est extrêmement précis, y compris lorsqu’il s’agit des imprimeries clandestines, la constitution de nouveaux réseaux à partir de 1943, en dehors du réseau d’influence du parti communiste et l’arrivée des armes par les premiers parachutages. Certains de ces parachutages finissent par profiter aux francs-tireurs et partisans alors qu’ils ne leur étaient pas destinés. Dans certains cas la question des agents doubles infiltrés par l’ennemi trouve une traduction tragique.

Un chef de réseau, un certain Roger Bardet, est d’ailleurs après la libération identifié comme un agent appointé de l’Abwehr, depuis avril 1943. L’action de résistance au quotidien c’est la lutte contre les réquisitions de paille et de fourrage pour les besoins de l’armée allemande. Ces parcs à fourrage sont régulièrement incendiés par la résistance, ce qui oblige l’armée allemande à mobiliser les effectifs importants pour lutter contre ces sabotages. Cela va beaucoup plus loin, toujours à une trentaine de kilomètres de Guerchy, avec l’explosion le 7 octobre 1943 d’un train de munitions composées de sept wagons. L’auteur de cet attentat réussi, Georges Vanneureux, se fait d’ailleurs bêtement arrêté lors d’un banal contrôle d’identité peu de temps après.

Entre action de guerre et organisation

Ces « Souvenirs de guerre » sont entrecoupés de références à l’organisation qui est ainsi constituée patiemment, sur fond de regroupement de réfractaires au service du travail obligatoire, avec la constitution de réseaux armés de plus en plus efficace. Même à la libération, dans le village de Guerchy, les combats continuent avec des groupes de sous-officiers allemands qui ouvrent le feu sur des francs-tireurs et partisans un peu trop confiants dans leur victoire.
La trajectoire de Robert Loffroy mérite évidemment très largement d’être examinée avec soin. Il y a une qualité d’écriture incontestable, et un certain sens du détail qui peut apparaître comme surprenant.
Très clairement, on peut considérer que pour Robert Loffroy, qui rappelons-le écrit ses mémoires au début des années 80, il a très largement bénéficié de la formation dispensée par l’école des cadres du parti communiste Français. Mais cela n’enlève rien à la valeur du témoignage, même si sa loyauté à l’égard des tournants du parti communiste le conduit parfois à quelques raccourcis historiques. En ce sens, Robert Loffroy est parfaitement représentatif de ces hommes et ces femmes qui se sont engagés par idéal, celui de l’espoir en une humanité radieuse. Cet espoir a été incontestablement dévoyé et même trahi mais cela n’enlève rien à la valeur de cet engagement totalement désintéressé, méprisant le risque et le confort personnel, au nom d’une cause pour laquelle on était prêt, pendant les années noires, a donner sa vie.

Bruno Modica