C’est à un homme politique oublié de la IIIe République Joseph Paul-Boncour que Matthieu Boisdron consacre son étude, issue de sa thèse.
L’auteur est docteur en histoire contemporaine de Sorbonne-UniversitéIl a soutenu, en novembre 2020, une thèse consacrée à Joseph Paul-Boncour (1873-19872), sous la direction conjointe d’Olivier Dard et de Christine Manigand. On lui doit entre autres : 1977, Nantes bascule à gauche (Éditions midi-pyrénéennes, 2022), Diplomate en Lettonie. Carnets de Jean de Beausse, premier secrétaire d’ambassade de France à Riga (1938-1940) (Mens Sana, 2011), La Roumanie des années trente. De l’avènement de Carol II au démembrement du Royaume (1930-1940) (Éditions midi-pyrénéennes, 2022)., ses travaux portent sur l’histoire politique de la France et sur l’histoire des relations internationales contemporaines de la France avec l’Europe centrale, orientale et balkanique au XXe siècle. Il est par ailleurs chargé d’enseignement à Nantes Université.
La jeunesse de Joseph Paul-Boncour (1873-1914)
Dans cette première partie, Matthieu Boisdron nous plonge dans l’univers familial du jeune Joseph Paul-Boncour, ces notables saint-aignanais appartiennent à l’élite conservatrice locale. Fils d’un médecin converti au républicanisme et d’une mère catholique et légitimiste, le jeune homme poursuit des études secondaires au sein d’un collège catholique accueillant les fils de la noblesse et de la haute bourgeoisie locale.
Ambitionnant de devenir marin, ses difficultés en mathématiques lui ferment les portes de l’École navale, mais ses aptitudes pour les lettres lui permettent, une fois son baccalauréat obtenu, de s’inscrire à la Faculté de droit de Paris. Licencié en droit, le jeune homme soutient sa thèse de doctorat en droit sous le titre : Les rapports de l’individu et des groupements professionnels.
Dans le même temps s’affirme son tropisme vers les idées socialistes. Par ailleurs, le jeune étudiant en droit s’associe aux travaux de la Revue internationale de sociologie, puis à ceux de la Société de sociologie de Paris.
Jeune avocat prometteur — premier secrétaire de la prestigieuse Conférence du stage des avocats — intellectuel et favorable aux groupements professionnels qu’il considère comme les plus importants des groupes sociaux, Joseph Paul-Boncour est remarqué par le président du Conseil, Pierre Waldeck-Rousseau le recrute au sein de son cabinet d’avocat et lui fait l’honneur de préfacer sa thèse. Dès lors, dans l’antichambre du pouvoir, le jeune homme voit s’ouvrir devant lui les portes de la presse quotidienne nationale.
Conseiller municipal de Saint-Aignan et par ailleurs, directeur de cabinet du ministre du Travail et de l’Hygiène, René Vivani, Paul-Boncour devient député à l’occasion d’une élection législative partielle, sur ses terres du Loire-et-Cher. Réélu aux élections générales de 1910, il siège avec les « républicains socialistes ». Ce mouvement sinistrogyre lui coûtera son siège de député quatre ans plus tard.
Figure émergente sur la scène politique nationale, Paul-Boncour devient ministre du Travail dans le cabinet radical-socialiste présidé par Ernest Monis (1911). La tâche du nouveau ministre est ardue, car il lui revient de faire appliquer la loi sur les retraites ouvrières et paysannes (ROP). Il ne pourra mener à bien sa mission. Mis en minorité, le gouvernement est renversé et Paul-Boncour non reconduit dans ses fonctions.
La seconde crise marocaine (1911) pousse Paul-Boncour à s’intéresser davantage aux affaires extérieures de la France. Il est d’ailleurs membre du groupe parlementaire en charge de l’arbitrage international de cette crise militaro-diplomatique franco-allemande.
La carrière politique (1914-1928)
Les prises de position de Paul-Boncour font de lui un parlementaire respecté de ses pairs. Nonobstant, son orientation politique lui vaut d’échouer aux élections de 1914. Ne se reconnaissant pas dans les prises de décisions de son député, son électorat se désolidarise de lui. Dès lors, démuni de tout mandat parlementaire, celui qui demeure conseiller général du canton de Saint-Aignan doit agir hors de l’hémicycle.
Alors que l’Allemagne vient de déclarer la guerre à la France le 3 août 1914, Paul-Boncour regagne Paris comme officier de réserve. Jouant de ses réseaux, le voici nommé à l’état-major du commandant supérieur des défenses du camp retranché de Paris, aux côtés du nouveau gouverneur militaire de Paris, sous les ordres du général Gallieni.
Pour autant, Paul-Boncour poursuit ses activités politiques. Aussi prend-il sa carte à la SFIO (1915). D’ailleurs, les dirigeants du parti le sollicitent pour assurer la défense de la partie civile lors du procès de Raoul Villain, l’assassin de Jean Jaurès. Le verdict — malgré l’acquittement — a le mérite de ressouder, pour un temps, le parti socialiste.
Le bruit des armes enfin tu, Paul-Boncour est désigné comme tête de liste dans le 2e secteur électoral du département de Paris pour les élections législatives de 1919, qui se déroulent au scrutin de liste à la proportionnelle. L’élu parisien ne tarde pas à s’opposer résolument à la politique menée par le Bloc national.
Durant cette législature, Paul-Boncour s’intéresse principalement aux questions militaires. Il dépose notamment une proposition de loi sur la réorganisation de l’armée et la durée du service militaire. En 1920, il imagine un « rideau de fer » destiné à empêcher toute incursion armée venant d’outre-Rhin. Son intérêt pour la chose militaire le conduit à prendre la tête de la Commission des études du Conseil supérieur de la défense nationale (CSDN).
Chef de file du groupe socialiste en matière de politique extérieure au moment où débute la ratification des traités de paix de Versailles et de Saint-Germain, Paul-Boncour s’intéresse tout particulièrement à celui du Trianon, dont il dénonce l’absurdité ainsi que l’iniquité de traitement par la France, des différents pays nés du démembrement de l’empire austro-hongrois.
Cependant, ses prises de position réformistes, patriotiques et ministérialistes, lui valent les foudres de la fédération SFIO de la Seine. Ce décalage avec les socialistes parisiens lui vaut son exfiltration en terres tarnaises, plus accueillantes, pour les élections législatives de 1924. S’il est facilement élu, Paul-Boncour a toujours la volonté de se démarquer de la ligne politique de la SFIO.
Le succès électoral du Cartel des gauches permet au député du Tarn de surgir sur la scène diplomatique internationale. Paul-Boncour se voit nommé au sein de la délégation française auprès de la SDN, à Genève. Membre de la commission préparatoire de la conférence du désarmement sur les questions militaires, navales et aériennes, il doit croiser le fer avec ses homologues britanniques dont les vues sont bien évidemment différentes de celles de la délégation française.
Cependant, en France, la SFIO désapprouve la politique étrangère défendue par Paul-Boncour et l’oblige à devoir rendre des comptes au parti. Pressé par la direction de la SFIO à se démettre de ses fonctions au sein de la SDN, c’est finalement la victoire de Poincaré aux élections législatives de 1928 qui contraignent Paul-Boncour à remettre sa démission au nouveau président du Conseil.
En marge de la SFIO (1928-1940)
Paul-Boncour poursuit son bras de fer avec la direction du parti. Aussi rend-il son départ de la SFIO inéluctable, à la veille des élections législatives de 1932, en appelant de ses vœux, la participation socialiste aux gouvernements, ou bien encore en se disant favorable à l’organisation d’une armée internationale au service de la SDN.
Socialiste iconoclaste, Paul-Boncour profite d’une élection sénatoriale sur ses terres natales en 1931, pour s’y présenter, s’y faire élire et ainsi se défaire de son mandat de député du Tarn. Il est cependant réélu conseiller général du canton de Valence-d’Albigeois peu après son entrée au Palais du Luxembourg.
Son élection au Sénat lui permet de retrouver ses fonctions de délégué de la France à Genève et de revenir aux responsabilités, comme ministre de la Guerre dans le gouvernement conduit par le radical Édouard Herriot.
Mis en minorité à la Chambre à l’occasion d’un débat sur les dettes interalliées, le cabinet Herriot démissionne. Appelé à former un gouvernement, Paul-Boncour voit les socialistes lui refuser leur soutien. Le nouveau chef du gouvernement a pour dessein de redresser les comptes publics, afin de juguler le déficit. Face à une majorité divisée, Paul-Boncour se voit refuser la question de confiance. Son gouvernement n’aura duré que 42 jours.
Malgré cet échec, il conserve quelques années le portefeuille des Affaires étrangères dans les cabinets Daladier, Sarraut et Chautemps. C’est alors qu’arrive le temps des scandales politico-financiers. Paul-Boncour est alors directement mis en cause par l’extrême droite, dans l’affaire Stavisky pour le simple fait d’avoir été l’avocat de l’épouse de l’escroc durant les années 1920.
Paul-Boncour sort affaibli de son séjour au Quai d’Orsay. Les modérés arrivés aux affaires, le sénateur du Loir-et-Cher est dorénavant plus isolé que jamais. Aussi décide-t-il de rejoindre les néo-socialistes, issus de la scission de l’aile droite de la SFIO. L’ancien chef du gouvernement met son influence au service de la création d’un intergroupe parlementaire (1935) rassemblant 70 députés et sénateurs du PRS, du PSF et du PsdF. Bientôt l’Union socialiste républicaine (USR) voit le jour.
Fruit de la fusion de ces trois partis, présidée par Paul-Boncour, l’USR devient la quatrième force politique du Front populaire. Certains de ses membres — à l’instar de leur président qui sera nommé ministre d’État — siégeront au sein du gouvernement Sarraut. Malgré cela, devant les tensions qui se font jour entre les tendances au sein de son mouvement, Paul-Boncour prend la décision de quitter l’USR (1937).
Bientôt les évènements s’accélèrent hors de nos frontières avec l’invasion de la Chine par le Japon et l’arrivée au pouvoir de Mussolini en Italie et de Hitler en Allemagne. Paul-Boncour s’interroge sur la politique diplomatique à adopter vis-à-vis de l’URSS devant le danger nazi, après la remilitarisation de la Rhénanie, puis l’Anschluss, et enfin la crise des Sudètes.
Fin de carrière (1940-1972)
Alors que la France subit de plein fouet la blitzkrieg, Paul-Boncour n’a d’autre choix, devant l’offensive allemande, que de quitter Paris pour rejoindre Tours, puis Bordeaux. C’est là qu’il apprend que Laval a pour projet d’aligner le régime politique de la France sur celui de vainqueur. Aussitôt, le sénateur du Loir-et-Cher tente de proposer au nouvel homme fort du pays, une proposition de révision constitutionnelle immédiatement balayée d’un revers de la main par Laval.
Finalement, députés et sénateurs sont convoqués à Vichy le 10 août 1940 à la demande du maréchal Pétain, nouveau président du Conseil. Finalement, 569 parlementaires se prononcent en faveur du projet de loi présenté par Laval. Seulement 80 représentants de la nation s’y opposent, dont Paul-Boncour.
Au lendemain de ce vote, Paul-Boncour prend le chemin de la retraite politique et s’installe dans sa propriété de Saint-Aignan. La question de sa participation à la résistance se pose sans que l’on puisse y apporter une réponse, faute de sources. Assurément, des rencontres ont eu lieu entre lui et Jean Moulin. C’est d’ailleurs grâce à Paul-Boncour que « Max » a pu passer en zone occupée afin de se rendre à Paris durant les premiers jours d’avril 1941.
Dès la Libération, Paul-Boncour revient à la politique active en siégeant au comité départemental de la Libération (CDL) du Loir-et-Cher. Il a le mérite de n’avoir pas voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Il ne tarde pas à retrouver un mandat à l’Assemblée consultative, comme socialiste. Ce retour sur la scène politique nationale lui est en partie possible grâce à l’estime que le général de Gaulle lui porte.
S’il renonce à l’élection de l’Assemblée nationale constituante d’octobre 1945 — faute d’avoir obtenu le soutien de la SFIO —, Paul-Boncour compte parmi les membres de la délégation française envoyée à San Francisco pour signer la Charte des Nations unies. La France devient membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Paul-Boncour y joue un rôle influent. Il contribue notamment à liquider et à transférer de nombreux avoirs de la SDN à l’ONU.
Cependant, Paul-Boncour ne profite pas de son succès diplomatique outre-Atlantique pour redevenir durablement parlementaire. Certes, s’il est élu en 1946 au Conseil de la République, il perd son mandat parlementaire deux ans plus tard et se retire alors de la vie politique active.
Homme de conviction, Paul-Boncour s’implique activement dans la défense des droits de l’homme. Il est ainsi désigné, dès 1948, pour prendre la présidence de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Soucieux de laisser une trace de son action, Paul-Boncour tente par trois fois d’obtenir le prix Nobel de la paix, en vain.
Pourtant arrivé à un âge avancé, ce « vieux sage de la République », comme le qualifie Matthieu Boisdron, sera en juillet 1958, l’initiateur et le premier signataire d’un appel dans lequel il affirme sa confiance dans la loyauté du général de Gaulle à l’égard des institutions républicaines.
Joseph Paul-Boncour s’éteint dans la nuit du 28 au 29 mars 1972, dans son domicile parisien, rue de Téhéran. L’annonce de son décès passe quasiment inaperçue, à l’instar de nombreux autres hommes politiques de la IIIe République, effacés de la mémoire collective au sortir du Second conflit mondial.