La jeunesse Vichyste de François Mitterrand.
13 ans après la parution du livre-enquête de Pierre Péan ce docu-fiction revient sur la jeunesse de François Mitterrand, entre 1940 et 1944.
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Depuis la parution du livre de Pierre Péan « Une jeunesse française » en 1994, le passé vichyste de François Mitterrand n’est plus un secret. Ce docu-fiction retrace le parcours personnel et politique de François Mitterrand entre son évasion réussie de 1941 et la Libération en 1944. Mais l’essentiel est la période 41 – 43, celle que François Mitterrand a toujours occulté et jamais renié.

Soyons tout d’abord clair : j’aime beaucoup Serge Moati, qui lui-même a été un proche de Mitterrand (rappelez-vous, c’est lui qui a filmé la cérémonie du Panthéon le 21 mai 1981, dont les images sont reprises par le docu-fiction en prélude puis lors de l’épilogue). Alors tâchons de rédiger un compte-rendu aussi objectif (aïe !) que possible.

L’histoire bien française d’un  » vichysto-résistant  » (Jp Azéma)

Ce concept de « vichysto-résistant » s’applique parfaitement à François Mitterrand, successivement maréchaliste et résistant. Ce concept élimine toute idée de double-jeu (comme une ancienne résistante l’avait affirmé en mars 2008) mais il repose sur une lente évolution personnelle puis un vrai basculement. Le docu-fiction de Serge Moati expose avec justesse et intérêt le parcours de ce jeune homme capturé en mai 40 (sans avoir combattu réellement), évadé (après 3 tentatives), fonctionnaire à Vichy, pétainiste, maréchaliste et admirateur de la Révolution Nationale… avant de basculer progressivement mais franchement dans le camp de la résistance.

Pourquoi « justesse » ? D’abord parce que historiquement le travail de Moati est « béton » : pas d’erreurs ni d’approximations. Mais surtout parce que le réalisateur s’est attaché d’abord à ancrer le jeune Mitterrand dans son Pétainisme pour ensuite tenter de saisir les ressorts de cette évolution personnelle, somme toute assez lente, qui le conduira à la résistance, en mettant l’accent sur certaines rencontres décisives ou certains temps forts qui permettent d’expliquer le basculement.

Il y a d’abord un homme jeune, amoureux, fougueux, impatient, courageux. Avec une « vague licence de droit » et 18 mois perdus en captivité, ce jeune homme est impatient d’agir et de servir : « je veux aller à Vichy pour servir la cause des prisonniers » affirme-t-il à son père fin 41. Ce jeune homme a une belle plume, c’est ce qui fera décoller sa carrière au sein du gouvernement de Vichy.

Un autre facteur déterminant est le traumatisme indélébile que la captivité a laissé chez lui, lequel se transforme en une véritable obsession pour le sort des 1,8 million de prisonniers de guerre. D’ailleurs, les premiers actes de résistance de Mitterrand seront de fabriquer et d’envoyer aux prisonniers des faux-papiers et des cartes géographiques afin de faciliter leur évasion. Signalons aussi que c’est en captivité que F. Mitterrand semble remettre en cause ses préjugés sociaux de classe.

Notons enfin cette ambition dévorante qui se manifeste à plusieurs reprises mais plus nettement lorsque, au retour de sa rencontre avec de Gaulle à Alger en 43, il bataille durement avec le propre neveu de de Gaulle, Michel Cailliau, en maniant habilement aplomb et mensonge, pour prendre la tête du mouvement unifié des 3 réseaux de résistance des prisonniers de guerre. Très belle scène de pure politique (préfigurant Epinay ?).

La jeunesse, l’obsession pour le sort des prisonniers, l’ambition… à ces facteurs il convient d’ajouter la déception. En effet le réalisateur n’occulte pas l’engagement profond de Mitterrand auprès du Maréchal Pétain en faveur de la Révolution Nationale. Il est persuadé que pour se libérer du joug nazi il faut reconstruire une France nouvelle. Ce sera cet espoir déçu qui déterminera son basculement. En fait Mitterrand incarne cette droite qui ne pardonnera pas l’inflexion pro-nazie de Vichy : invasion de la zone sud, retour de Laval, arrogance de la Milice, etc.

N’oublions pas, pour finir, le rôle joué par quelques personnalités qui influenceront fortement Mitterrand : Maurice Pinot le directeur du commissariat aux prisonniers de guerre, pétainiste mais viscéralement anti-allemand ; Antoine Mauduit et son organisation « La Chaine » qui préfigure les futurs mouvements de résistance des prisonniers dans un surprenant syncrétisme (chrétiens, gaullistes, nationalistes, communistes) ; Pierre Frénay, dont le soutien sera inestimable, face à de Gaulle surtout.

Pourquoi « intérêt » ? Je vois 2 points forts dans le travail de Moati (et de Christophe Barbier, directeur de la rédaction de l’Express, co-scénariste). D’abord le jeu de Mathieu Bisson, comédien peu connu, qui, me semble-t-il, a réussi à nous faire oublier l’image omniprésente du sexagénaire puis septuagénaire Mitterrand, pour nous faire approcher ce jeune homme de 25 ans dont nous n’avons, de cette époque, que quelques récits et photographies. Ensuite, si la construction est classique pour une fiction documentaire, celle-ci est habilement maîtrisée et passe très bien. Des images d’archives et une voix off (Pierre Arditi) contextualisent et permettent la continuité du récit historique à coté de la trame fictionnelle (et romanesque par moment). Le réalisateur se permet une seule fois de mêler les 2, lorsque Mitterrand interrompt un discours de Masson, son chef au commissariat aux prisonniers de guerre, en dénonçant violemment la politique de la Relève. Ce moment est d’ailleurs assez  » limite  » en terme de crédibilité et il est heureux que Moati n’en ait pas abusé.

Par contre le docu-fiction pèche, à mon sens, sur les 2 grandes figures que sont Pétain et de Gaulle. Pétain est insignifiant (ha ! Jacques Dufilho) mais il n’y a qu’une seule vraie scène qui nous le montre, et c’est heureux. De Gaulle n’est pas non plus très crédible : il faut dire que la tâche n’est pas facile (Bernard Farcy dans « Le grand Charles » était très bon… mais c’est le de Gaulle de 60/70 ans et non celui de 50 ans).

Des ombres, toujours des ombres

Abordons maintenant les questions qui fâchent. Moati a-t-il trahi la mémoire de Mitterrand (comme le lui a reproché Danièle Mitterrand) ou a-t-il fait œuvre d’hagiographe ? Certainement ni l’un ni l’autre, mais, plus important que cette approche assez manichéenne, il est intéressant de voir comment ce téléfilm aborde quelques thèmes « qui fâchent » et ont pu faire polémique.

Quels étaient les fondements de la pensée de Mitterrand à cette époque ?

Sur ce point le téléfilm est une déception. Mais cela pouvait-il être autrement ? En effet ni Mitterrand lui-même (rappelons-nous la pathétique interview du président par Jean-Pierre Elkabach en 1994 après la sortie du livre « Une jeunesse française ») ni Pierre Péan n’ont donné les clefs de la pensée Mitterrandienne de l’époque. Certes, c’est un homme de la droite nationale, maréchaliste et croyant en la Révolution Nationale : mais quel est le contenu de cette Révolution Nationale pour lui ? Mystère… Nous reviendrons sur l’antisémitisme plus loin, mais nous ignorons tout de ce qu’il pensait de la démocratie, de l’autorité, des valeurs familiales, etc. Bref, j’avoue avoir éprouvé une réelle frustration et je pense que le téléfilm aurait pu creuser un peu plus. Par contre vers la fin du téléfilm, son anti-gaullisme est nettement mis en évidence, annonciateur de la suite de sa carrière.

Mitterrand était-il antisémite ?

Le film répond très clairement non (comme une grande partie de la communauté des historiens). Dès lors se pose ces questions : savait-il ? Pourquoi n’a-t-il rien fait ?

Dans une scène intéressante (mais pas captivante, malheureusement) F. Mitterrand est reçu par ses meilleurs amis, le couple Dayan. Face à Georges, juif, qui lui expose le sort des juifs sous Vichy, il tente de s’expliquer : « je ne savais pas.. ou pas tellement » ; « à Vichy on ne voyait rien [les étoiles jaunes] » enfin « tout le monde souffrait à l’époque, pas uniquement les juifs ». Mais l’embarras est immense et laisse une sensation assez confuse : Vraie ignorance ? Culpabilité ? Malaise ?

On peut également souligner que René Bousquet est cité plusieurs fois, mais le téléfilm ne se penche pas sur les liens entre Mitterrand et lui… dommage ?

Après l’entrée en clandestinité Mitterrand était-il encore Pétainiste ?

La question a largement été posée après la parution du livre de Pierre Péan. Dans le téléfilm, début 43, Mitterrand avoue à ses amis Dayan, « j’ai cru en Pétain… une certain temps du moins », est-ce dire qu’il a coupé avec le Pétainisme ? Pas si sûr… Il semble indéniable que Mitterrand reste imprégné de maréchalisme Le maréchalisme désigne une confiance et une admiration accordées à la personne du Maréchal Pétain. Le Pétainisme désigne une adhésion aux pratiques et à l’idéologie de Vichy même après son entrée en clandestinité : à voir comment il se démarque des gaullistes (Mitterrand joue Giraud contre de Gaulle), à voir comment il évite toute attaque contre Pétain lui-même, à voir aussi comment il ne renie en rien sa francisque (obtenue en fin 43 et qu’il présente comme une très bonne couverture pour son action clandestine). Mais à ce moment là également le discours anti-allemand et anti-collaborationniste se renforce sans équivoque aucune : Mitterrand semble donc avoir abandonné ses illusions Pétainistes. Pour les historiens, le passé vichyste ne peut être effacé, mais pour certains (Denis Peschanski) ce passé laisse des traces indélébiles… pour d’autres (Azéma) la rupture est beaucoup plus profonde. Mitterrand serait plutôt à l’intersection des deux…

Un docu-fiction pour la classe ?

Peut-on utiliser ce téléfilm en classe, pour traiter de la France pendant la seconde guerre mondiale ? Pour le collège je dirais non : trop de choses difficiles, trop d’explications à donner, trop d’écueils à éviter. Par contre pour la classe de première je verrais parfaitement ce téléfilm utilisé pour traiter, dans son intégralité, la question de la France pendant la guerre. Tout y est : la défaite, Vichy, la collaboration et le collaborationnisme, la résistance, la libération… Peut-être que la vie quotidienne sous l’occupation n’est pas très bien montrée du fait que l’on évolue dans un milieu assez protégé. Bien sûr il faudra travailler finement sur le parcours individuel… mais ce sera une excellente occasion de confronter les élèves à la complexité de l’histoire !

Conclusion

Ce docu-fiction n’est pas un chef-d’œuvre mais c’est un travail d’une remarquable honnêteté, une sorte de mise en image du livre-enquête de Pierre Péan. Un excellent document pour la classe de première.

En savoir plus

– Se procurer le DVD

http://video.fnac.com/a2224945/Mitterrand-a-Vichy-DVD-Zone-2

– Se procurer le livre de Moati et Nancy « Mitterrand à Vichy, le choc d’une révélation » :


http://livre.fnac.com/a2217021/Serge-Moati-Mitterrand-a-Vichy-le-choc-d-une-revelation

– Le dossier sur le site de France 2

http://programmes.france2.fr/mitterrand-a-vichy/

– Le dossier sur le site de Télérama


http://television.telerama.fr/television/francois-mitterrand-a-vichy-une-jeunesse-controversee,27956.php,

– Un documentaire a suivi la projection du docu-fiction. Il s’agit de Mitterrand à Vichy, le choc d’une révélation » de Hugues Nancy

http://programmes.france2.fr/mitterrand-a-vichy/itv_nancy.php

– Le livre de Pierre Péan

http://livre.fnac.com/a1020785/P-Pean-Une-jeunesse-francaise

– Remarque : en bonus-Dvd une interview de Serge Moati et une autre de Hugues Nancy.