La particularité tient dans la forme et dans la perspective: il s’agit d’un recueil d’articles variés dans leur nature et leur origine. On y trouve des textes écrits spécialement par des universitaires ou des acteurs de ce système éducatif (Inspecteurs généraux, responsables de l’Onisep etc.). Les philosophes et sociologues sont particulièrement présents . L’équipe des Cahiers, dirigée par Philippe Tronquoy y a associé des reproductions d’articles ayant fait date ou des extraits de rapports récents (notamment celui du HCE sur l’école primaire).
L’ensemble est découpé en trois grandes parties. La première, « enseignement et société » replace les débats sur le système dans toute une série de contextes: un contexte politique et social (les rapports avec la démocratie et la société françaises), un contexte international (la France jaugée par les classements internationaux concernant les universités et les performances scolaires), un contexte technique enfin avec les nouvelles technologies. La deuxième partie découpe le « système » en niveaux d’enseignement: primaire, secondaire (un sort particulier est fait au pauvre collège « unique ») et supérieur, même si les articles mettent souvent en perspective les articulations entre les niveaux. Au delà du rappel historique de leur évolution, c’est la partie du mitraillage en règle: à l’exception de l’enseignement professionnel et technologique, tous les niveaux sont décrits comme des maillons faibles, des espaces de production d’échec scolaire en cascade, dont la source serait le primaire. La troisième partie, « les enjeux », s’interroge sur les savoir-faire à transmettre aux jeunes enseignants, l’introuvable culture générale et civique à inculquer aux élèves futurs citoyens. Comme c’est la section qui évoque le plus les pratiques éducatives, un article y revient également sur l’échec scolaire en primaire, déjà abordé par le rapport du HCE en deuxième partie. Cette impression de répétition, sans doute toute pédagogique, ne concerne pas seulement le primaire: les articles se répondent souvent de l’un à l’autre, parfois en contrepoint. Il faut dire que dans ces textes d’analyse, les auteurs prennent parti de façon souvent assez vigoureuse, notamment quant aux pratiques pédagogiques qui ont accompagné les réformes de ce dernier demi siècle.
La situation actuelle du système est replacée dans le temps long, car elle est née de compromis concernant le sens et le but de l’éducation qui remontent parfois à la Révolution Française, en tout cas sur toute la durée de la Cinquième République qui a vu se multiplier les réformes fondamentales depuis sa naissance
Un système éducatif qui doute de ses principes et en quête de sens ?
Pour Marcel Gauchet , l’équilibre de l’école de l’après-guerre est rompu; cet équilibre où elle pouvait à la fois ouvrir à tous l’égalité des chances, la meilleure éducation possible mais une éducation individuelle et libre a été brisé par la tendance à l’individualisation qui a accompagné la démocratisation massive. Du coup, le but social et politique de l’école de la République de favoriser l’égalité est remis en cause.
L’équilibre, devenu apparemment impossible, entre méritocratie et démocratisation massive de l’école est également abordé dans les autres articles. Lors de leur création, les différentes institutions qui composent le système éducatif avaient un rôle bien défini, soit pour l’instruction de la masse des citoyens soit pour dégager l’élite. Aujourd’hui, alors que les différents niveaux se succèdent dans ce long fleuve plus ou moins tranquille, le sens de leur place dans le système est parfois plus difficile à cerner: le collège et le lycée approfondissent-ils les savoirs des niveaux précédents ou préparent-ils les niveaux suivants ? Le supérieur est-il le moyen de dégager l’élite, d’assurer la formation professionnelle, ou un simple « passage » marquant l’entrée progressive dans l’âge adulte ?
Un système éducatif peu performant au regard des efforts consentis
Le cahier use d’une référence récurrente: les classements PISA (OCDE) et PIRLS ( Boston College) qui ont établi les médiocres performances des élèves français en lecture. Même si les évaluations internes à l’Education Nationale sont évoquéesL’ensemble des évaluations concernant le système éducatif français, y compris les enquêtes internationales PISA et PIRLS sont en ligne sur un site du ministère: http://www.educ-eval.education.fr/, ce sont ces classements qui donnent le « la » et les pays nordiques en haut des podiums qui vont servir de modèles. Aussi beaucoup d’articles des cahiers s’appuient-ils sur la double constatation de ces études: une certaine dégradation des résultats et surtout la dichotomie durable entre la moitié des élèves qui s’en sortent fort bien, parfois mieux qu’ailleurs, et les élèves en difficulté en grand nombre. On nous rappelle alors «que les conditions d’enseignement se sont progressivement améliorées (…) sans pour autant que le niveau d’acquisition des élèves connaisse une progression notable ».
D’où vient donc le manque de « rentabilité » du système éducatif français ? La pratique du redoublement, surtout précoce, est pointée du doigt; le non respect des cycles, notamment celui qui lie la grande section et les deux premières années du primaire est aussi particulièrement critiqué. Mais plus généralement, le système d’orientation , ou plutôt la gestion des parcours scolaires et des flux d’élèves et d’étudiants entre les différentes filières est mise sur la sellette; cela va jusqu’à l’université ou se pratique selon A. Renaut une « sélection par l’échec ». A l’échelle des établissements, le refus des classes hétérogènes est vue comme contre- productive. De même l’évaluation des élèves telle qu’elle est pratiquée semble contestable: Roger-François Gauthier (I.G.A.E.N.R) dénonce les « moyennes » et l’absence d’une véritable évaluation par compétence. Cela mène aussi à la critique des méthodes pédagogiques qui ont accompagné la démocratisation: l’abandon de la transmission des savoirs organisés, savants, au dépens d’un apprentissage plus concret et intuitif selon la sociologue Nathalie Bulle.
Les remèdes proposés ne vont donc pas franchement à contre-courant de la tendance idéologique et politique qui s’applique à l’école depuis quelques années : retour de la sélection à l’université, au moins avant le master, application des méthodes, venues de l’étranger anglo-saxon, d’évaluation des acteurs du système, retour des savoirs savants. Dans le combat entre « pédagogues » et « républicains » qui est évoqué dans ce numéro des Cahiers, la balance penche souvent du coté des seconds. Toutefois, les auteurs ont parfois des orientations diverses et l’on pourra également trouver sous la plume d’Alain-Marie Bassy (I.G.A.E.N.R) une défense des TICE comme un levier de la transformation des pratiques pédagogiques, des relations maître-élève , mais aussi un facteur de réussite des élèves, notamment ceux en difficulté.
Au total, ce numéro des cahiers n’est pas un portrait, même synthétique, du système éducatif : celui-ci est trop mouvant, surtout ces derniers temps, pour permettre cet exercice . Il n’est pas davantage un programme de réforme du système éducatif : les propositions prennent une place assez restreinte par rapport à l’analyse. Mais il est un assez bon miroir des débats qui entourent l’école depuis le début de la démocratisation accélérée dans les années 70 et surtout des tendances qui veulent mettre en ordre cette école depuis quelques années.
CR par Marc Lohez