L’ouvrage s’organise autour de trois thèmes qui ont constitué les trois grands centres d’intérêt de J.-F Labourdette : le Portugal et les Portugais, les Habsbourg et le Saint Empire, et la noblesse et la monarchie francaises à l’époque moderne.
Huit articles traitent du Portugal, de ses colonies et des relations que cet empire a entretenues avec ses voisins. Michel Vergé-Franceschi offre une synthèse de son livre consacré à Henri le Navigateur (1394-1460), infant du Portugal, grand découvreur qui permit « le décloisonnement des mondes », selon l’expression de Pierre Chaunu. Il fut surtout l’initiateur de l’empire lusitanien, même si le contexte intellectuel demeurait celui des croisades. Son œuvre permit au Portugal d’accéder au rang de puissance internationale, non seulement d’un point de vue religieux (la Reconquista) et économique (en concurrence avec Gênes et Venise grâce aux îles à sucre), mais aussi d’un point de vue scientifique par l’apport aux connaissances botaniques, hydrographiques et cartographiques. Le temps des colonies commence à intéresser les principautés européennes, et la tante du Navigateur, mère de Charles le Téméraire, la duchesse Isabelle de Bourgogne (1397-1471), obtient du Portugal la concession des îles Pico et Faial aux Açores afin de les peupler de 2 000 Flamands ! Jean-Pierre Duteil complète ce tableau du dynamisme portugais en étudiant la production des relations de voyages portugaises et leur diffusion au cours des deux siècles suivants. Il suit l’évolution chronologique et mesure l’impact des avancées réalisées par le royaume portugais. Les premières relations offrent des perspectives bouleversantes, depuis le Canarien de 1405, la Chronique de Guinée de Gomes Eanes de Zurara (v. 1453), en passant par les récits des expéditions de Vasco de Gama (1497-99 et 1502-1503) et la narration de la découverte du Brésil par Pedro Alvares Cabral, en 1500. Cette dernière « contribue au mythe de l’innocence naturelle des Indiens » (p.33) par la diffusion de la lettre de Pêro Vaz de Cominha. Avec le Livre de Duarte Barbosa, on entre dans un registre différent de relations car il est comparé parfois à l’œuvre de Marco Polo pour l’importance de ses descriptions de l’Asie. Cependant, l’élargissement de l’impact portugais n’intervient qu’avec Fernao Mendes Pinto († v.1583), dont la Peregrinaçao est certainement l’ouvrage portugais de géographie le plus traduit au XVIIe siècle. Progressivement, les chroniques de religieux, missionnaires principalement, occupent une place grandissante (description de la Chine, du Japon et du Tibet), et touchent un public croissant. Cette projection portugaise en Europe et dans le Nouveau Monde n’est pas sans inconvénient, et Guy Saupin décrit un mouvement xénophobe anti-portugais à Nantes dans les années 1630 (p.49-60), dans le contexte de la guerre franco-espagnole de 1635-1659 qui permet de désigner ces commerçants à la vindicte. L’opposition hispano-portugaise constitue un des axes majeurs de la géopolitique européenne : Jean-Paul Le Flem utilise les Commentaires du Marquis de San Felipe, rédigés au début du XVIIIe siècle, pour décrire ce limes qui sépare les deux couronnes adverses pendant la guerre de succession d’Espagne.
Le comptoir de Goa, situé sur la côte des Malabars, musulmane depuis 1327, chrétienne après sa prise par Albuquerque en 1527, fut longtemps un carrefour commercial dans les mondes asiatiques. Les Hollandais échouent à l’arracher à l’empire portugais, tout comme les Marathes en 1683, pendant que le Français Charles Dellon, dans sa Relation de l’Inquisition de Goa, prétend qu’il s’agit de la plus belle ville de toute l’Inde. Un document de vingt-huit pages daté de 1745 – une lettre pastorale de l’archevêque commentée par Philippe Loupès – nuance l’image de Goa comme « Rome de l’Orient », puisqu’il en montre les travers et les échecs religieux. Andrée Manuy-Diniz Silva étudie la reproduction sociale au sein de l’aristocratie lusitanienne de la fin du XVIIIe siècle et en montre les moyens de transmission des patrimoines (majorats, alliances matrimoniales). Jean Martin s’arrête sur un intéressant conflit diplomatique dans la deuxième moitié du XIXe siècle ; il oppose les autorités portugaises du Mozambique aux Français à la suite d’un incident causé par un vieux rafiot transportant des esclaves en un temps où la traite est interdite ; ce conflit dégénère en une véritable crise quand la flotte française investit la rade de Lisbonne, en 1858, afin d’exiger, et d’obtenir, la libération du capitaine du navire esclavagiste, un nommé Roussel ! Plus lointaine, la communauté lusitanienne des îles Hawaï est examinée par Christian Huetz de Lemps. Issue des communautés portugaises des îles de l’Atlantique, elle s’est implantée dans les îles du Pacifique à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.
A ce panorama diachronique des enjeux propres au Portugal succède une série de neuf monographies ayant trait soit aux Habsbourg, soit au Saint Empire. Aline Goosens résume une problématique qu’elle a développée dans son Comte Lamoral d’Egmont, 1522-1568. Légendes et réalités, Mons, 2001. Egmont (1522-1568), célèbre par son exécution sur la Grand Place de Bruxelles le 5 juin 1568, en compagnie du comte d’Hornes, symbolise la résistance à Philippe II. Avec Hornes, il est devenu le symbole des libertés de la noblesse et de la nation flamande. Par une fine analyse, Aline Goosens nuance ce point de vue quelque peu schématique. Charles Giry-Deloison compare les narrations des rencontres entre Henri VIII et François I (le camp du drap d’or, du 7 au 24 juin 1520) et entre Henri VIII et Charles Quint. Si, du côté français, les conversations ne rencontrèrent qu’un écho limité, elles ont retenu l’attention des commentateurs, du côté impérial. C’est le cas d’un texte imprimé à Arras le 27 octobre 1520 sous le titre suivant Triumphe festifz fait par le roy d’Angleterre, publié en appendice à la contribution (p.187-196). Avec Monique Weis, nous retournons aux Pays-Bas par les descriptions des contacts entre les villes hanséatiques germaniques (Hambourg, Brême et Lubeck) et ces Pays-Bas espagnols au cours la seconde moitié du XVIe siècle. L’auteur utilise les fonds de la Secrétairerie d’Etat allemande, institution dépendante du gouvernement de Bruxelles pour ses relations avec les Allemagnes. De fait, la question religieuse se trouve en arrière-plan, à un moment où le commerce anversois se trouve entravé par les conflits. L’étude de l’échec du siège de Metz par les Impériaux en 1552, menée par Michael Wolfe met en scène les marges du monde germanique. L’édition du Journal du siège de Metz par Bertrand de Salignac, et le support des travaux classiques de Gaston Zeller permettent une solide réflexion. La question militaire est de nouveau évoquée avec le problème de la défense du détroit de Gibraltar au début du XVIIe siècle. La ville elle-même n’est qu’un bourg à la fin du XVIe siècle, ne comptant qu’à peine 3 000 habitants en 1561. Les changements des années 1580 lui procurent une importance accrue avec l’arrivée de commerçants et de pirates des pays du nord de l’Europe dans les eaux méditerranéennes. En outre, le traumatisme des mises à sac de Cadix en 1587 et en 1596 augmente l’attention portée à la défense du Détroit, ce dont témoignent des plans en faveur de l’établissement d’une base navale fortifiée et d’une création d’escadres de protection à Gibraltar. A cet égard, l’occupation espagnole de La Mamora en 1614 atteste la vitalité de la contre-attaque des Habsbourg. Pour sa part, Josette Pontet offre un portrait de cour de Marie-Anne de Neubourg, dernière épouse de Charles II d’Espagne, à partir de sa résidence en exil à Bayonne entre 1706 et 1738. La maison, le train de vie et l’impact de la présence de la reine dans la cité ont pu, un temps, remplacer l’absence de noblesse parlementaire dans la région. A l’opposé géographique, la Franche-Comté de Maurice Gresset illustre les particularités du gouvernement des Habsbourg. La démonstration de la latitude laissée aux diverses entités pour se gouverner au sein de l’empire espagnol conduit M. Gresset à introduire la question : « une province autonome ? » dans l’intitulé de sa communication. Klaus Malettke évoque les épisodes des relations franco-germaniques qui mènent de la trêve de Ratisbonne (1684) à la paix de Ryswick (1697) alors que Jean Bérenger détaille la composition de la maison de l’Empereur Léopold II dans les années 1670. Cette contribution constitue une transition avec la dernière partie consacrée à la noblesse et la monarchie françaises à l’époque moderne.
Douze auteurs éclairent ce thème par diverses notions, depuis celle de domaine naturel, que développe Yves Durand, de révoltes nobiliaires avec le cas du comte de Montrésor, analysé par Jean-Marie Constant, et à partir des convocations du ban et de l’arrière-ban, évoqué par Jean-Pierre Gutton. La période des guerres de Religion n’est pas délaissée. Denis Crouzet observe l’utilisation de la monarchie du XVIe siècle par des historiens du XVIIe siècle à des fins d’instrumentalisation de leurs discours, Jacqueline Boucher examine l’action du diplomate savoyard René de Lucinges auprès d’Henri III, quant à Anne-Marie Cocula, elle se penche sur un aspect moins étudié de la vie du futur Henri IV, ses relations avec la noblesse de Guyenne avant l’assassinat d’Henri III. Laurent Roussel, auteur d’une thèse sur les Orléans, s’attache à décrire la fonction politique des résidences qui leur sont attribuées après la Fronde, de 1658 à 1723, alors que Roger Baury réalise une longue étude sur une institution beaucoup moins connue que les Demoiselles de Saint-Cyr, mais dont les buts peuvent paraître proches : les Demoiselles de la Sainte et Noble Famille de Lille (1686-1793). Le XVIIIe siècle est à peine moins représenté, avec une intéressante réflexion de Philippe Haudrère autour de la pratique testamentaire des nobles d’Anjou, pratique qui permet de modifier les ordres de succession, tout en renseignant l’historien sur les convictions religieuses. Michel Figeac utilise le catalogue de la bibliothèque du maréchal de Richelieu à l’hôtel d’Antin, à la fin du XVIIe siècle pour rechercher des éléments sur sa composition (où l’histoire domine et le classicisme apparaît comme la valeur primordiale d’un esprit conservateur). Lucien Bély réalise une succession biographique des secrétaires d’Etat des affaires étrangères pendant le Grand Siècle, synthèse extraite en partie du Dictionnaire des ministres des affaires étrangères (Paris, 2005). Enfin, ce volume s’achève par une réflexion de Jean-Pierre Poussou sur la notion de révolution et son utilisation en histoire, à propos de laquelle on ne peut que renvoyer à l’article de R. Koselleck (« Critères historiques du concept de “révolution” des temps modernes », in Le futur passé, contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, 1990, pp.63-80).
Ces mélanges offrent donc aux lecteurs une grande variété d’approche, qui souligne la fécondité des domaines d’études proposés par les différents auteurs.
Alain HugonC.R.H.Q / Université de Caen