L’œil de Stockholm publié aux éditions Classiques Garnier en 2021 n’est pas un ouvrage ordinaire, mais un projet d’édition, « une aventure éditoriale au long cours » comme l’écrivent les responsables de cette édition. Le présent volume est un corpus de sources historiques, rassemblant plus de 300 lettres de longueurs inégales qui forment la correspondance de François Philippe Fölsch, consul de Suède à Marseille de sa prise de fonction en 1780 à 1807. La publication de cette correspondance a été rendue possible grâce au travail de transcription réalisé par des étudiants du Master Méditerranée Moderne et Contemporaine de l’Université Côte d’Azur, relu attentivement et corrigé par Pierre-Yves Beaurepaire et Silvia Marzagali, professeurs d’histoire moderne au sein de cette même université. Dans cette tâche, ils ont été accompagnés par Fredrik Thomasson, chercheur habilité au département histoire de l’université d’Uppsula (Suède), et Gustaf Fryksén, chercheur en histoire à l’université de Lund (Suède). L’ensemble de la publication est par conséquent une édition critique d’une partie des correspondances de Marseille conservées dans la série Diplomatica Gallica au Riksarkivet, les archives nationales de Suède à Stockholm.
Le consulat de Suède à Marseille a été créé en 1731. Il s’agit du troisième poste consulaire ouvert par la Suède en Méditerranée, après Livourne en 1720 et Alger en 1729. L’installation de ces postes consulaires se réalise au moment où la monarchie scandinave est en train de revoir ses ambitions internationales au lendemain de la Grande guerre du Nord (1700-1721). Au cours du second quart du XVIIIe siècle, le gouvernement suédois souhaite développer la navigation et le commerce des nationaux en Europe du Sud. Cette politique passe également par la ratification d’une série de traités de paix avec les régences barbaresques (Alger en 1729, Tunis en 1736 et Tripoli en 1741), permettant ainsi aux Suédois de naviguer en toute sécurité en Méditerranée. En 1780, au moment où François Philippe Fölsch prend ses fonctions à Marseille, la monarchie suédoise dispose d’un maillage consulaire d’une vingtaine de postes sur le pourtour de la Méditerranée. Ce réseau repose pour l’essentiel sur des consuls-négociants dont le rôle est d’apporter un soutien aux capitaines suédois et de promouvoir le commerce national. Cependant, la multiplication des postes consulaires n’implique pas la présence d’une « nation » suédoise en Méditerranée : à Marseille on ne trouve qu’une ou deux maisons de commerce suédoises, et celle du consul de Suède appartient davantage à un réseau de commerce hambourgeois.
François Philippe Fölsch est né à Marseille le 14 septembre 1755, il est par conséquent régnicole aux yeux du roi de France. Il est cependant issu d’une famille protestante : son père, Henri Jacques Fölsch est un négociant hambourgeois et sa mère, Anne Elisabeth Butini appartient à une famille de banquiers genevois, dont plusieurs membres occupent des postes de magistrats dans la cité helvétique. Son grand-père maternel, Jean-Antoine Butini, et son père, Henri Jacques Fölsch, ont tous deux été consuls de Suède à Marseille, formant ainsi une véritable dynastie consulaire. Si François Philippe Fölsch grandit à Marseille, il est rapidement envoyé au séminaire d’Haldenstein de 1769 à 1771 près de Coire en Suisse pour y apprendre la langue allemande et aussi très certainement pour y recevoir une éducation protestante. En 1777, il est envoyé par son père à Stockholm chez un négociant suédois pour y parfaire son apprentissage commercial. C’est au cours de ce séjour qu’il a appris à parler le suédois. Grâce à cette formation, il hérite des relations que son père a réussi à tisser avec ses protecteurs suédois, tels que le baron Frederik Sparre, Grand chancelier de Suède.
François Philippe Fölsch assure la fonction consulaire à partir de la mort de son père en 1780 jusqu’à son décès en 1832. Il obtient par ailleurs le titre âprement réclamé de consul général en 1782. Si le corpus des correspondances publié débute en avril 1780, au moment de la prise de fonction du consul, elle s’arrête en 1807 avec la rupture diplomatique entre l’Empire français et le Royaume de Suède. Pour autant, François Philippe Fölsch n’a cessé d’envoyer ses missives à la chancellerie suédoise à partir de 1811 jusqu’en 1832, mais cette deuxième partie de la correspondance est conservée dans une série différente de celle publiée dans cet ouvrage. La singularité du corpus publié est la langue utilisée dans les courriers. L’essentiel des lettres envoyées à Stockholm est rédigé en français. Seules quelques-unes envoyées au président ou au secrétaire du Conseil royal, au Cabinet royal des correspondances des affaires étrangères, au secrétaire du Cabinet du roi, voire au roi lui-même comme en 1804, sont écrites en suédois dans leur version d’origine.
La publication de ce volume s’inscrit dans une démarche historiographique récente qui cherche à présenter des figures intermédiaires et non plus seulement aborder des consuls à travers le seul filtre de l’exceptionnel. Ainsi, pour Pierre-Yves Beaurepaire et Silvia Marzagali, François Philippe Fölsch est à sa manière un consul « moyen » d’une puissance « moyenne » (comme le rappellent les directeurs de publication, dans cette acception, « moyen » ne signifie pas médiocre). Dans son ensemble, « la correspondance permet de mieux comprendre non seulement le fonctionnement d’un poste, mais aussi, en filigrane, son engagement concret en faveur de la défense et la promotion des intérêts commerciaux de la Couronne et de ceux qui les servent ».
La correspondance permet difficilement de se faire une idée de la personne privée de François Philippe Fölsch. En effet, bien qu’il s’exprime beaucoup au sujet de ses affaires commerciales, l’individu s’efface devant la figure du consul : « Le consul se met en scène, mais l’homme ne se donne pas beaucoup à voir ». Il apparaît pour ses interlocuteurs suédois comme le modèle du « parfait consul ». Il est par conséquent difficile de se prononcer sur ses opinions politiques alors même qu’il fait figure de témoin des évènements révolutionnaires. Il est néanmoins « un observateur attentif de l’histoire immédiate, et à Marseille joue régulièrement les premiers rôles en la matière, tant dans le champ du négoce que dans celui de l’agitation sociale et politique ». En rédigeant ses courriers, François Philippe Fölsch réalise une veille active des informations qui intéressent la chancellerie suédoise, particulièrement sur le risque sanitaire provenant des ports du Levant, car le souvenir de l’épidémie de peste reste vivace.
Concernant les lettres, Pierre-Yves Beaurepaire et Silvia Marzagali expliquent qu’elles ont été retranscrites le plus fidèlement possible. Les seules modifications réalisées correspondent aux normes d’usage actuelles édictées par l’Imprimerie nationale (abréviations, orthographe normalisée et majuscules).
Pour conclure, cet ouvrage s’inscrit à la fois dans le champ de l’histoire du commerce et de la navigation, mais également dans celui des réseaux des négociants et consulaires en Méditerranée. Il intéressera toutes les personnes souhaitant étudier le XVIIIe siècle, la Révolution, l’Empire ou la Méditerranée, car cette correspondance ne doit pas être « pensée comme repliée sur elle-même, mais comme une porte d’accès au monde décrit par François Philippe Fölsch, dont il est à la fois observateur et acteur ».