La montée en puissance de l’appareil militaire chinois découle d’un lent processus de modernisation que l’on peut faire remonter à la fin des années 1970. La modernisation de l’outil militaire s’inscrit en effet dans les réformes lancées à cette époque par Deng Xiaoping. Elle résulte du cuisant échec militaire de la Chine lors de son incursion au Vietnam en 1979 qui révéla alors tant la vétusté que l’inefficacité de l’Armée populaire de libération et amena au lancement des premiers chantiers de sa réforme.
La modernisation de l’armée chinoise est la conséquence directe de l’« unilatéralisme » de la politique des États-Unis et les guerres dans les Balkans et au Moyen-Orient. L’ambassade de Chine à Belgrade bombardée par les États-Unis a largement marqué les dirigeants du pays.
La première décennie de ce siècle va voir enfin la Chine sortir peu à peu de son espace d’influence régionale avec l’engagement progressif de contingents chinois sous la bannière des Nations unies. La Chine, et elle l’a montré avec le Soudan, peut se constituer une clientèle d’États, d’autant plus dociles ou compréhensifs que les aides chinoises ne sont pas conditionnées par un quelconque respect des droits de l’homme.
L’Empire du milieu constitue aussi un réseau de bases relais autour de l’océan Indien – ce que l’on appelle avec une relative poésie le « collier de perles ». Et comme cela menace directement ses intérêts commerciaux et les produits transportés de l’atelier du monde vers les consommateurs des pays développes, la marine de l’armée populaire de libération participe à la guerre contre les pirates au large de la Somalie…
La doctrine militaire chinoise a fortement évolué, passant de la défense de masse à un principe de « défense active ». Cela signifie que les forces chinoises peuvent se projeter dans leur environnement régional et entendent défendre les intérêts du pays grâce à des équipements modernes et de haute technologie. Michel Masson dans l’article La Chine, puissance militaire du XXIe siècle montre comment le multipolarisme remplace dans l’esprit des dirigeants chinois le multilatéralisme qui les inspire assez peu. Il est vrai que c’est aussi d’une question de culture qu’il s’agit. Historiquement, la Chine considère les autres pays, est aujourd’hui, les autres pôles de puissance, comme des partenaires et des rivaux avec lesquels il faut s’entendre, mais dans une logique de partage de zone d’influence. On n’est pas loin finalement du bon vieux partage du monde hérité d’une guerre froide qui peut, selon les moments, intéresser les dirigeants chinois, dès lors que cela peut servir leur volonté de maintenir l’équilibre intérieur du pays.
L’Armée populaire de libération ressort donc aujourd’hui moins « populaire » comme l’affirme dans l’éditorial, le directeur de la publication, Pascal Lorot
Avec la création de troupes professionnalisées, la priorité des autorités devient l’acquisition et la maîtrise de matériels de haute technologie susceptibles de conférer la suprématie sur le théâtre d’opération.
Irving Lewis, dans la Chine, puissance nucléaire en question et José Fuentes dans La République populaire de Chine entre en non-guerre montrent bien tous les deux comment la Chine peut défendre ses intérêts, aussi bien économiques que stratégique, en étant susceptible de devenir un pays proliférateur au niveau nucléaire, et dans le même temps, maintenir une suzeraineté de fait, sur le voisin nord coréen qui reste toutefois largement imprévisible. La confrontation militaire est loin d’intéresser les Chinois mais elle ne doit jamais être écartée, ici aussi pour des raisons de culture. Pour la Chine, humiliée et dépecée en zones d’influence depuis le milieu du XIXe siècle, occupée par le Japon entre 1937 et 1945, la puissance militaire et la garantie de la pérennité de cet héritage de l’empire du milieu.
De plus, avec l’impressionnante revue navale organisée en avril dernier 2009 au large du Shandong à l’occasion du 60e anniversaire de la marine chinoise, le pays a renoué avec une tradition maritime qui avait été largement abandonnée pendant plusieurs siècles. De plus, Nicolas Vinoy dans L’information, arme de déstabilisation massive pour lAPL, montre que les capacités avérées de la Chine en matière de guerre électronique ou «cyber-guerre », sont là pour rappeler que ce pays a été dans son histoire très largement innovant en matière militaire.
Tout montre que la Chine, lorsqu’elle décide de bouger, le fait vite. Cela est vrai dans le domaine économique, dans le domaine environnemental avec le développement de technologies propres permettant de maintenir l’indispensable croissance économique, il n’en va pas autrement dans le domaine militaire.
La montée en puissance militaire chinoise a forcément un coût. Le dernier rapport du très sérieux institut suédois SIPRI évalue le budget militaire chinois à quelque 85 milliards de dollars américains en 2008. Il se situe certes loin derrière celui des ÉtatsUnis (607 milliards) qui, à lui seul, représente plus de 40 % de toutes les dépenses militaires mondiales mais, toutefois, il caracole en deuxième position devant les budgets de la France (65,7 milliards), du RoyaumeUni (65,3), de la Russie (58,6), de l’Allemagne (46,8) ou encore du Japon (46,3).
Valérie Niquet présente Le Livre blanc de la défense chinoise en 2008. l’accent est mis sur la modernisation et sur l’optimisation dans l’utilisation des effectifs. Pour autant, l’armée chinoise joue également un rôle économique majeur, avec la maîtrise dont elle peut disposer sur certains secteurs industriels.
Emmanuel Puig développe dans son article: Les évolutions contemporaines des industries de défense le concept d’une guerre hors limites, qui rappelle celui de guerre du peuple, cher au président Mao. La guerre de l’information chinoise dans le cyberespace est forte d’une troupe de 150 millions d’internautes qui seraient susceptibles d’être mobilisés pour attaquer les réseaux de l’adversaire. Ce concept de guerre hors limites n’est pas nouveau. L’ouvrage qui porte ce titre a été publié en 1999 et a été traduit en français en 2003. On n’y affirme explicitement que la frontière entre l’espace militaire et civile doit s’effacer.
En tout état de cause, la montée en puissance militaire de la Chine est telle aujourd’hui qu’elle préoccupe à présent sérieusement des pays comme le Japon et surtout les États-Unis. Ce sont tous les équilibres stratégiques régionaux qui sont désormais fragilisés. Dans le détroit de Taiwan certes mais bien au-delà aussi, à l’échelle de l Asie orientale voire, demain, de l’océan Indien. Une relance de la course aux armements pourrait en résulter avec les risques de dérapage qu’il convient d’y associer.