c’est un ouvrage absolument remarquable qui sort en ce début septembre aux éditions la découverte dans la collection si bien nommée les cahiers libres. L’ouvrage de Catherine Simon, grand reporter au quotidien Le Monde traite d’un sujet mal connu à propos de la guerre d’Algérie. Si la littérature, le cinéma, et bien entendu les études historiques sont multiples sur la période de la colonisation et de la décolonisation, rares sont les ouvrages qui traitent de cet engagement militant en faveur de l’Algérie indépendante au lendemain de l’indépendance de 1962.
L’auteur a travaillé à partir de témoignages qui méritent largement d’être conservés avant que la nature ne fasse son œuvre et ne fasse disparaître les témoins de cette période charnière dans la formation d’une gauche tiers-mondiste aujourd’hui largement désenchantée.
On connaît bien entendu le réseau des porteurs de valises, de ses militants qui ont fait le choix de servir une cause, celle de l’indépendance et de l’anticolonialisme pendant la période 1954 – 1962. Des films ont traité de l’histoire de ces déserteurs qui quittaient l’armée française pour se rallier aux forces du FLN. Mais une fois les affrontements terminés, l’indépendance proclamée, c’est une Algérie nouvelle que ces femmes et que ces hommes, pétris d’idéaux anticolonialistes, ont voulu bâtir.
Les «établis» dans les usines d’armement
Qui étaient donc ces «pieds rouges», ainsi nommés, en référence ou plutôt en opposition aux pieds-noirs, ces Européens devenus depuis 1830 s’installer en Algérie ?
il faut la plume d’un grand reporter pour rendre compte de la diversité de ces trajectoires militantes. Au fil des pages l’on découvre les itinéraires de ces femmes et de ces hommes qui auront pour certains d’entre eux brûlé leurs vaisseaux pour participer au combat anticolonialiste pendant la guerre d’Algérie. Si le réseau des porteurs de valises est bien connu, il en va pas de même de ceux qui sont restés en Algérie après l’indépendance. certains d’entre eux comme Émile avait participé comme ouvrier ajusteur à la fabrication d’armes dans des usines construites à proximité de la frontière marocaine. D’autres comme Maurice étaient des soldats insoumis qui ont voulu après-guerre construire une société nouvelle. Pour certains d’entre eux leurs illusions sont tombées très rapidement. En pleine guerre d’Algérie, les luttes de factions et les règlements de comptes sanglants opposaient déjà les cadres du FLN.
On croise dans ces trajectoires individuelles des militants trotskistes, comme Michel Raptis, dit Pablo, animateur de l’un des multiples courants de la quatrième internationale qui pensaient construire un socialisme que l’on appelait pas encore à visage humain.
Dans la partie consacrée à l’été 62 Catherine Simon évoque le temps des mensonges et des faux-semblants. Celui aussi des fusillades. Cet ouvrage apporte un éclairage nécessaire aussi à ce qui a pu se passer contre les européens en juillet 1962 mais aussi contre les harkis.
Révélations sur l’été 62
Dès la fin des combats et le départ des pieds-noirs, la manne des biens laissés vacants, a été largement détournée par des cadres du FLN qui y ont vu un formidable moyen d’enrichissement personnel.
La construction de l’Algérie nouvelle et raconter par exemple par Marie-Jo Renard, médecins, qui se heurte dès 1963 à une épouvantable bureaucratie. Résistante, Annette roger arrive en Algérie pour participer au ministère de la santé en 1963. Il est vrai que la plupart des médecins européens avaient quitté le pays des 1962. Les archives sanitaires avaient été détruites et tout était à reconstruire.
Si des difficultés, parfois très graves, ont lieu avec les cadres du FLN, il n’en va pas de même de l’accueil des populations qui voient dans ces « français » d’un genre particulier, une aide précieuse pour reconstruire leur quotidien bouleversé par huit années d’un conflit meurtrier. On y rencontre aussi des professeurs et des étudiants, militant de l’UNEF ou de la Cimade qui vienne animer colonies de vacances et orphelinats. Les militants d’extrême gauche, familiers de la presse écrite, se reconvertissent facilement au journalisme, parfois sous pseudonyme algérien pour bien montrer que l’ère nouvelle a commencé. Très vite d’ailleurs ces militants et ces militantes surtout, doivent apprendre à composer avec des cadres du FLN largements influencés par une conception rigoriste de l’islam. Le bikini disparaît très vite des plages algériennes après l’indépendance. Le journal Alger républicain, dirigé par Maurice Alleg membre du parti communiste algérien, doit tenir compte des pressions du pouvoir et des équilibres subtils entre les musulmans stricts et les laïques.
L’insurrection de Kabylie
Des épisodes très peu connus sont également relatés par Catherine Simon, notamment cette insurrection marxiste en Kabylie qui a eu lieu en 1963. On retrouve dans les insurgés des pieds rouges, qu’il considérait que le tour pris par la révolution algérienne ressemblait plutôt à une contre révolution. Le code de la nationalité mis en oeuvre dès 1963, considérant comme algérien, un individu né de deux parents algériens, éliminait de fait, tout pied-noir qui aurait pu vouloir participer à la construction de l’Algérie nouvelle. Dans cette insurrection de Kabylie, il semblerait que la sécurité algérienne, véritable police politique, organisée par si Mabrouk, ait joué un un rôle éminent. Déjà l’opposition entre Ben Bella et Houari Boumediene se manifestait. On sait qui sera le vainqueur en 1965. Dès septembre 1963 également, l’opposition entre Arabes et kabyles resurgit. Le parti du front des forces socialistes de Aït Ahmed, est interdit, tout comme les autres partis d’ailleurs. Il faut attendre le coup d’état du 19 juin 1965, qui porte Houari Boumediene au pouvoir, pour mettre un terme provisoire, à cette création d’une opposition au pouvoir d’Alger.
malgré cette normalisation impitoyable qui peu à peu se dessine, l’Algérie nouvelle découvre le cinéma un avec ici aussi le rôle très important des pieds rouges. Les jeunes cinéastes évitent de parler des affrontements internes mais offre une vision enchanteresse de cette périodequi suit l’indépendance. Leurs illusions tomberont très vite en 1965. Il y eut pourtant très vite une résistance des cinéphiles contre la chape de plomb qui commençait à tomber.
Ouvrage également profitable que ce livre de Catherine Simon qui montre comment dès avant l’indépendance les services du FLN avaient pu institutionnaliser la torture. Le cinéaste René Vautier, le réalisateur du film «Avoir 20 ans dans les Aurès» a été arrêté et torturé en 1958 dans une prison tunisienne du FLN. Comment ne pas avoir une foi anticolonialiste chevillée au corps pour réaliser 13 ans plus tard ce film qui a marqué toute une génération.
Les trotskistes ont été arrêtés peu de temps après le coup d’état du 19 septembre 1965 et ont été également torturés. Les méthodes sont très exactement les mêmes que celles qui ont été utilisés par l’armée française pendant la bataille d’Alger.
À partir de 1965, les pieds rouges commencent à quitter l’Algérie, pour ceux d’entre eux qui n’ont pas été arrêtés et qui passeront parfois de longues années en prison. Certains continuent pourtant arriver et voient dans ce pays proche, un nouvel eldorado du socialisme. On croise notamment les cinéastes encore qui pensent, caméra au poing, éduquer un peuple qui n’existe que dans leur imagination. Guy Hennebelle, mieux inspiré par la suite après son retour en France en 1968, va même justifier la censure algérienne au nom de la nécessité de construire une conscience nationale algérienne.
malgré la glaciation instaurée par l’arrivée au pouvoir de Houari Boumediene, certains de ses militants sont restés en Algérie au service de leur cause jusqu’en 1969. Ceux qui avaient été arrêtés en 65 ont payé leurs illusions de quelques années de prison. C’est le cas de ces trotskistes, comme Suzanne Minguet et de communistes en rupture de Parti.
Pendant un temps, le régime a entretenu l’illusion d’une liberté de création, notamment dans le domaine cinématographique. Dans la réalité, très rapidement, le courant arabo-islamique au sein du FLN, a renforcé son influence au sein de l’appareil d’État. On connaît la suite, un régime corrompu, avec une armée privilégiée, une rente pétrolière gaspillée, une agriculture sacrifiée, et au bout du compte, le pays disposant des plus importants atouts du bassin méditerranéen, qui connaît la guerre civile à partir de 1992.
Ce bilan désenchanté, les pieds rouges n’ont pas souhaité le tirer publiquement, et il a fallu la traque des mémoires et des consciences de Catherine Simon, pour réveiller cette histoire.
Incontestablement, c’est le mérite principal de cet ouvrage. Et, même si une fois refermé, il laisse un goût amer, celui des illusions perdues, il dresse un constat lucide sur les erreurs de bonne foi d’une génération militante qui a choisi, en prenant un risque physique, une forme d’engagement qui n’était pas facile.
Mais le risque physique n’était pas seulement celui de la répression coloniale, mais celui de cette révolution qui dévorait ses propres enfants et ses compagnons de route. Pour ces femmes et ces hommes qui ont survécu à leur engagement, l’expérience algérienne a été une tragédie. On comprend donc pourquoi ce livre est utile.
Bruno Modica ©