Le réchauffement climatique est incontestablement un phénomène d’origine humaine. la communauté scientifique, à quelques exceptions près, Claude Allègre notamment, semble aujourd’hui d’accord pour considérer que l’action humaine depuis la révolution industrielle pèse sur l’évolution climatique. Ce réchauffement climatique, dont l’ampleur suscite encore la controverse, serait à l’origine de tous les autres dérèglements, pollutions, catastrophes naturelles, disparition des espèces.
L’éditorialiste de la revue, Serge Sur, pointe pourtant un risque qui n’est pas anodin. Si le réchauffement climatique, se confond avec la protection de l’environnement, il comporte le risque de réduire l’attention aux sources ponctuelles des pollutions locales, qualité de l’air des agglomérations, rejets industriels, érosion et dégradation des côtes…
la focalisation qu’il provoque entraîne une autre conséquence : dès lors qu’il s’agit un phénomène global, les responsabilités nationales, régionale, locales, individuelles se trouvent atténuées.
Certes, une action résolue contre les émissions de gaz à effet de serre, liée à l’utilisation des combustibles fossiles, aura nécessairement des conséquences positives sur l’environnement en général, la biodiversité, la qualité de vie tout simplement de l’espèce humaine à l’échelle planétaire. Mais en même temps, est en plein débat sur la taxe carbone cette réflexion n’est pas inutile, la question qui se pose et celle de la soutenabilité sociale des évolutions nécessaires.
À Copenhague, en décembre 2009 prochain, les représentants des pays les moins avancés essaieront de se faire entendre, sur la nécessité d’une aide spécifique à leur développement qui prenne en compte la dimension environnementale de celui-ci.
Stéphane Hallegatte et Daniel Théry traitent des risques encourus, et des adaptations envisageables face au réchauffement climatique. On lira avec bonheur ses pages consacrées aux conséquences de l’élévation des températures dans le monde agricole et cet article comporte également un encadré consacré au blanchiment des coraux, dont la disparition menacerait la pêche et le tourisme. De plus, avec la mort des récifs coralliens, les littoraux seraient menacés par l’érosion ou par l’ensablement. L’inventaire de ses deux auteurs sur les conséquences du réchauffement dans tous les domaines a de quoi faire réfléchir : le réchauffement du permafrost imposerait des travaux de rénovation ou de reconstruction des infrastructures routières, des pipelines et des installations minières, notamment en Sibérie centrale et orientale. L’élévation du niveau des océans renforcerait les marais de tempête et en 2070 150 millions de personnes seraient exposées à de sérieuses menaces. Dans un pays comme le Bangladesh, cela signifierait la perte de 20 % des terres agricoles et le déplacement de 10 millions de personnes aux minimum.
Mais l’on peut pointer également des conséquences positives, comme des hivers plus doux dans un pays comme la France ou la mortalité hivernale, serait réduite de cinq à 7 %. D’un autre côté, la multiplication de canicules pourrait avoir des effets inverses. Un consensus existe en tout état de cause sur le fait que les événements extrêmes se multiplieraient avec des conséquences directes sur la sécurité des populations. Sécurité alimentaire avec la multiplication de sécheresses, sécurité sanitaire, dès lors que l’hiver en étant trop doux ne jouerait plus son rôle « désinfectant », sécurité physique avec la multiplication des inondations, l’aggravation des tempêtes et des cyclones, etc.
Face à cette menace, que les plus pessimistes considèrent comme étant susceptible de remettre en cause la survie de l’espèce humaine à terme, la question qui est posée est celle de l’adaptation des politiques publiques. Il s’agit désormais de passer de l’écologie politique aux politiques écologiques, de mettre en oeuvre des politiques incitatives suffisamment fortes pour changer radicalement de comportement. Encore une fois, le débat hexagonal sur la taxe carbone montre que ce n’est pas facile. Certes, la main sur le coeur, beaucoup s’accordent à considérer que le développement durable est porteur de perspectives de croissance économique et d’emploi, mais encore faut-il que l’accord soit global entre les parties. La mondialisation, la concurrence exacerbée entre nouveaux pays industriels ne favorise pas forcément cette tendance.
Tous s’accordent à trouver indispensable une stratégie internationale, une sorte de gouvernance mondiale. L’article «De la prise de conscience scientifique à l’action politique internationale» par Benoît Leguet et Christian de Perthuis montre les difficultés de l’exercice. D’abord parce qu’il subsiste encore une grande marge d’incertitude sur les conséquences du réchauffement climatique. Ensuite, parce que les grands blocs économiques n’ont pas encore de politique commune. Le paquet énergie – climat de l’union européenne adopté en décembre 2008 reste limité même si son aspect incitatif pour les autres ensembles n’est pas à négliger. 20 % d’économie d’énergie, 20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020, ces objectifs, même insuffisants, restent toutefois ambitieux.
Peut-être alors faut-il mettre en place un régime juridique international de protection du climat comme le souligne Laurence Boisson de Chazournes client retrace la genèse dans son article. À Rio en 1992, comme à Kyoto en 1997, la communauté des états a marqué sa volonté de lutter contre le changement climatique. Toutefois, même si leur effet a été limité, ces grand-messes internationales ont quand même fixé des perspectives et l’on peut espérer qu’un nouvel instrument de régulation voit le jour après 2012. L’auteur de cet article évoque explicitement un plan Marshall climatique basé sur l’injection massive de capitaux permettant l’adaptation du potentiel productif à un nouveau modèle énergétique.
«Vers une rupture profonde du modèle énergétique mondial» annonce Patrick Criqui qui montre que le modèle énergétique actuel se révèle insupportable aujourd’hui. Les voies d’un modèle énergétique «décarboné»sont à la fois étroites et vastes. Les industries traditionnelles comme l’automobile de la sidérurgie aujourd’hui fragilisées par la crise économique doivent proposer des productions à faible empreinte écologique. La solution repose dans le développement des véhicules à zéro émissions, moteurs électriques puis pilent à hydrogène, dans le développement de d’une industrie du recyclage qui soit moins énergivore que l’actuelle. De ce point de vue, ce n’est pas encore gagné. Mais au-delà des productions elles-mêmes, c’est l’ensemble des modes de vie, des aménagements urbains qui seront à repenser. Les politiques climatiques devront être prises en compte par les acteurs locaux, ce qui paradoxalement les rend plus difficiles à mettre en oeuvre. En effet, les élus locaux sont amenés à s’exposer dès lors qu’ils cherchent à modifier les comportements de leurs concitoyens en leur imposant une part de contraintes. Dans les pays développés, tout comme dans les pays émergents, l’attachement à l’automobile reste fort. On sait pourtant que celui-ci constitue un non-sens dans les aménagements urbains.
À quelques semaines de la réunion de Copenhague consacrées au changement climatique, ce numéro de questions internationales vient à point nommé pour apporter aux lecteurs des mises au point précises et largement actualisées. Les historiens apprécieront pourtant de trouver dans ce numéro cet entretien avec Emmanuel Le Roy Ladurie «Le climat, une fonction du Temps» qui montre que le changement climatique n’est pas une nouveauté est que les sociétés humaines ont pu s’en accommoder. Il y a quelques centaines de millions d’années, l’espèce dominante des dinosauriens, en avait été incapable. C’est sans doute là ce qui nous différencie de ses grands sauriens qui qui ont dominé la planète bien plus longtemps que l’espèce humaine.
Par-delà les scénarios catastrophes, l’engagement dans cette réflexion est sans doute une piste d’espoir prometteuse.
Bruno Modica