Dès l’introduction le problème du leadership américain dans le monde est posé, avec la tentation du repli au XXIe siècle, en particulier à travers l’action des derniers présidents. Le livre est composé de deux parties. Une première, historique, retrace, du XIXe siècle à nos jours, les trois étapes de la politique de puissance des Etats-Unis. La deuxième partie passe en revue les cinq moyens dont dispose actuellement la puissance américaine pour mettre en œuvre sa domination sur le monde.

Genèse puis affirmation de la puissance américaine

Il s’agit d’une histoire classique bien connue qui commence par l’expansion continentale avec la conquête de l’Ouest au XIXe siècle, suivie, pour des raisons commerciales, par une expansion maritime en remplaçant de plus en plus la Grande Bretagne. C’est l’époque de la montée en puissance de la marine marchande et de guerre, l’installation de bases navales dans l’Atlantique et le Pacifique et la conquête de territoires insulaires : Cuba, Porto Rico, les Philippines, Guam, Hawaï. Après la Première Guerre mondiale, c’est le retour à l’isolationnisme en 1920.

La période suivante est marquée par un retour à l’affirmation de la puissance avec la Seconde Guerre mondiale et l’affrontement idéologique de la guerre froide dominée par l’importance du nucléaire et des doctrines successives de dissuasion. Cette période se termine par la « guerre des étoiles » et la chute de l’URSS en 1991, si bien que l’Amérique devient le leader d’un monde unipolaire dans les années 1990.

Au début du XXIe siècle, on assiste au retour de la compétition entre grandes puissances et à un monde multipolaire. La Chine connaît une montée en puissance économique et militaire fulgurante, entraînant un « pivot vers l’Asie » de la puissance américaine qui se tourne désormais vers « l’Indo-Pacifique ». Depuis le 11 septembre 2001, les Etats-Unis essuient des échecs dans le monde musulman, en Irak, en Afghanistan puis en Syrie, affrontant la volonté de revanche de la Russie et la délégitimation du modèle occidental.

Les facteurs de la puissance américaine

La puissance américaine est basée d’abord sur la richesse de ses ressources énergétiques, minérales et agricoles. Mais les dégâts liés à l’exploitation des gaz, pétroles de schiste et à l’irrigation sont de plus en plus préoccupants. L’autre base de sa richesse économique réside dans sa population dynamique et hautement éduquée, près de 80 % des Américains travaillant dans le secteur tertiaire avec un fort taux d’endettement de leurs étudiants. Le tournant néolibéral des années Reagan (1970) a provoqué l’accroissement des inégalités socio-économiques et le déclin de l’emploi manufacturier. La puissance économique américaine est aujourd’hui menacée par les progrès technologiques de la Chine, les dégâts environnementaux croissants et le désengagement des classes moyennes auxquelles le système ne profite plus.

La puissance militaire se maintient grâce à un budget conséquent (4 % du PIB environ) et à un renouvellement de l’armement. Un effort constant d’innovation technologique y est mené à la fois par la puissance publique et par le secteur privé. Le défi de la progression soutenue des arsenaux chinois au cours des deux dernières décennies est structurant, mais Pékin est encore loin derrière Washington en terme de budget militaire. L’armée américaine de métier a connu au cours des dernières années des difficultés de recrutement. Mais elle dispose d’un très vaste réseau d’alliances de défense et de nombreuses bases militaires réparties dans le monde entier : 750 bases réparties dans 80 pays en 2020. Récemment ce sont les alliances dans la région Indo-Pacifique qui a reçu le plus d’intérêt avec le Quad regroupant les Etats-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde et l’accord AUKUS avec l’Australie et le Royaume-Uni (2021).

La puissance technologique américaine est sans égale grâce à un financement ancien et constant des innovations. La Silicon Valley a été le site principal de la révolution industrielle de l’informatique à partir de 1945, puis de celle de l’intelligence artificielle et des biotechnologies dans les années 2010. Le Stanford Research Park accueille près de 150 entreprises et les principales de la tech américaine. Face à la montée en puissance de la Chine, les Etats-Unis cherchent à la tenir à distance dans le domaine des technologies de pointe en matière de semi-conducteurs, de micro-processeurs et autres puces électroniques en se protégeant contre Huawei et par une politique industrielle d’investissements massifs encourageant la R&D, bien au delà de la Silicon Valley et de la Californie.

Le Soft Power américain s’est développé surtout à partir des années 1990 en diffusant son modèle politique de démocratie libérale et l’american way of life. Son influence culturelle est toujours puissante grâce aux films et aux séries transitant à travers les plateformes de streaming telles que Netflix, Disney+, ou Amazone Prime. La culture américaine est très présente dans les pays occidentaux et dans le Sud global à l’exception des régimes les plus autoritaires.

La puissance américaine se maintient grâce aux sanctions économiques qui visent principalement le commerce en direction des pays hostiles. Depuis les années 1990, ce sont les sanctions financières qui ont pris le pas, notamment contre Cuba, la Corée du Nord, l’Iran ou la Russie. Le dollar américain reste la principale monnaie de référence et de réserve dans les échanges internationaux, même si dans les vingt dernières années la part de l’euro et du yuan s’est accrue. Les sanctions commerciales et financières trouvant de plus en plus leurs limites, l’administration américaine s’est appuyée davantage sur la restriction des exportations des technologies de pointe.

La conclusion est une réflexion sur l’érosion du lien transatlantique avec l’Europe sur fond de guerre en Ukraine. Ce livre, qui a été publié en août 2024 avant la réélection de Trump à la Maison Blanche, se fonde sur la politique mise en œuvre par les démocrates de Biden, tout en évoquant brièvement les changements possibles en cas de réélection de Trump. Il est donc déjà un peu daté au vu des bouleversements récents.

C’est un assez bon résumé des points forts et faibles de la puissance américaine dans le monde aujourd’hui, avec ponctuellement un recul historique remontant au XIXe siècle. Il se situe à un moment charnière de la politique de puissance des Etats-Unis, s’interrogeant sur son évolution future. Ce n’est pas véritablement un essai de géopolitique, malgré quelques cartes dont l’une sur la présence américaine dans le monde (p. 122) est vraiment expressive. Il s’agit plutôt d’une réflexion politologique sur la première puissance mondiale qui se sent menacée de perdre son rang à moyen terme.