Carole Talon-Hugon est professeur de philosophie à l’université de Nice-Sophia Antipolis. Elle est l’auteur de Morales de l’art (Puf, 2009), L’esthétique (Puf, 2013). Le présent volume fait suite à Une histoire personnelle et philosophique des arts. L’Antiquité grecque (Puf, 2014). Il étudie les ruptures et les continuités pendant près de dix siècles et permet d’aborder la Querelle des images, la Renaissance qui innove l’art et place l’artiste au cœur des relations art-mécène.

Introduction.

L’auteur part de la citation suivante : « l’histoire de l’art sans esthétique est aveugle et l’esthétique sans l’histoire de l’art est vide ». Le projet mis en place par l’auteur est de prendre en compte à la fois les œuvres et le contexte intellectuel dans lequel elles ont vu le jour. Ainsi, l’histoire de l’art est l’histoire de l’idée de l’art, ie l’histoire de la manière dont les hommes ont conçu l’art, ses fonctions et ses valeurs. Un précédent ouvrage sur l’histoire de l’art pendant l’Antiquité grecque a permis de constater que les concepts modernes de beaux-arts n’existaient pas. Le but suivi est donc d’étudier le développement des arts et la succession des styles dans le cadre de l’univers mental où ils ont eu lieu.

L’héritage de Plotin et de l’Antiquité
L’art n’a pas la même signification au Moyen Age qu’aujourd’hui, il faut utiliser l’expression de « production artefactuelle » car l’artefactuel renvoie à tout ce qui relève de la fabrication. Le Moyen Age se caractérise par des formes artistiques insolites (le drame liturgique, les « jeux », les « miracles », , par des catégories de pensée déroutantes (la partition des arts libéraux et des arts mécaniques) et par un statut social des individus ( apprenti-peintre dans des corporations par exemple) qui pratiquent la peinture ou la sculpture fort différent de celui qui est le leur aujourd’hui.
Contrairement à l’époque grecque, le réalisme de la représentation décroit et on cherche la spiritualité avec les premiers siècles du christianisme. La virtuosité technique n’est plus la valeur décisive et la surenchère dans l’habileté du geste tend à disparaître. Enfin, le souci de la représentation de la beauté physique s’efface. Ce changement est perceptible par la fin de la civilisation antique, la fin des grandes écoles philosophiques de l’Antiquité. De nouvelles religions apparaissent telles que le christianisme. Le philosophe Plotin, qui a vécu au IIIe siècle après J.-C., a voulu concilier le rationalisme philosophique de la pensée de Platon et une tradition orphique et pythagoricienne plus mystique, plus proche de la pensée chrétienne. Le Pseudo-Denys, auteur de la fin du Ve siècle , a réussi à allier les principes de la pensée chrétienne dans une forme néo-platonicienne. La beauté n’est plus Idée mais un des noms de Dieu. Ainsi, l’art doit faire sentir et révéler le divin, représenter l’ordre du monde.

Du rôle des images

Cette querelle, qui se déroule aux VIIIe-IXe siècles, permet de concilier histoire de l’art et celle des idées. Quand l’Empire romain devient chrétien, le culte des images est limité voire supprimé afin de contrer les croyances gréco-romaines. Jusqu’à la Querelle des images persiste une sorte de coexistence entre les chrétiens luttant contre le culte des images et ceux qui acceptent des icônes dites « acheiropoïètes » (non faites de main d’homme). Quant à la Querelle, elle débute sous l’empereur Léon III en 726, lorsqu’il décide de détruire l’image du Christ qui ornait la porte principale du palais impérial de Constantinople et la fait remplacer par une croix. Puis, s’en suivent un décret en 730 imposant le retrait des images représentant le divin et une guerre civile jusqu’en 843. Les iconoclastes fondent leurs critiques sur l’Ancien Testament mais aussi sur la pensée platonicienne. Ainsi, l’image séduit l’âme et peut être mensongère (idée de Tertullien). Tandis qu’une nouvelle perception de l’image apparaît à cette époque à partir du fait que le Nouveau Testament affirme que le Christ est l’image de Dieu. Donc, l’image a toute sa place dans la pensée chrétienne puisque le Christ est l’image incarnée de Dieu. L’icône chrétienne ouvre une voie entre l’aniconisme juif (absence totale d’images) et l’idolâtrie païenne (multiplication des images). Un des plus fervents défenseurs des icônes est Jean Damascène, théologien des VIIe-VIIIe siècles, qui théorise le culte des images dans son Discours contre les calomniateurs des saintes icônes. Nicée II marque un tournant dans cette querelle puisque l’anathème n’est plus jeté sur les iconophiles mais sur les iconoclastes.
Cette querelle permet la représentation du sacré et de l’histoire sainte. Concernant les formes de représentations, le visage est le plus important et, tout particulièrement, les yeux. La construction de l’image est codée, les couleurs ont une valeur symbolique. Néanmoins, une tradition grecque persiste à travers les drapés, les attitudes, les visages.
Le concile de Nicée II, en 787, a permis de constituer la charte consacrée de l’art byzantin. Cependant, en Occident, les libri carolini reconnaissent l’utilité de l’image et celle des arts de l’image tout en condamnant leur adoration. C’est une voie médiane. L’image doit aider à la prière, à la méditation ; elle instruit les analphabètes et ravive la mémoire. L’image doit être efficace et ainsi, les principes néo-platoniciens ne tiennent plus tout comme le cadre spécifique de l’art byzantin. L’image est désacralisée.

La Renaissance, entre héritage et renouveau

Au XIVe siècle, des innovations marquent le début de l’idée moderne de l’art :

  • 1) nouveau type de production textuelle sur les arts de la vue ;
  • 2) un regard nouveau sur l’activité des peintres et des sculpteurs ;
  • 3) l’apparition de nouvelles institutions artistiques telles que les académies.

Giotto utilise des perspectives. Néanmoins, la peinture n’abandonne pas le thème religieux. Les peintres ne sont plus des artisans mais des artistes, qui peuvent être récompensés par leurs mécènes et donc avoir une place privilégié au sein des cours princières. Ainsi, l’artiste, de par son importance, fait des autoportraits, marquant une nouvelle notion, celle du génie de l’artiste.
La Renaissance reprend des éléments de l’art antique et est marquée par un double héritage grec, par la conception métaphysique du beau des platoniciens et des néo-platoniciens et par la conception léguée par la tradition pythagoricienne (proportions, symétrie et harmonie). Ce lien avec l’art antique se traduit par une conservation des vestiges antiques, par des collections, par les voyages des artistes pour appréhender cet art.
Des idées nouvelles apparaissent : 1) la perspective comme instrument de l’illusion ; 2) le fait de sublimer la beauté ; 3) une anthropologie de la Création.

Conclusion

Il est difficile de parler d’un Moyen Age homogène car il y a des Moyen Ages. Cependant, l’ensemble de la période est unifié par une conception du monde basée sur une métaphysique, par les liens entre l’art et le religieux. C’est pourquoi, l’artiste n’est qu’un artisan jusqu’à la fin de la période. La Querelle des images contribue à l’émergence d’une troisième voie, qui se poursuit à travers la Renaissance.

Un très bon ouvrage de synthèse sur les liens entre l’histoire de l’art, des idées au Moyen Age et à la Renaissance. Il permet de remettre en perspective ce qu’est l’art pour les deux périodes, de saisir les continuités et les coupures ou ruptures. La présence d’une chronologie succincte mais basée sur le propos du livre, ainsi que quelques illustrations contribuent à compléter le livre et à l’agrémenter. Il manque, néanmoins, une bibliographie pour aller plus loin.

Aurélie Musitelli