Embrasser une histoire de l’agriculture et de ses représentations de l’Antiquité aux enjeux contemporains constitue un vrai défi. L’auteur, à la fois enseignant spécialiste des représentations de l’agriculture et plasticien, a su le relever dans une foisonnante synthèse diachronique.
Didier Christophe a voulu historiciser cette mise en production qu’est la nature (p10), tout en proposant un regard sociopolitique des postures des artistes impliqués. Il s’agit donc dans cet ouvrage d’étudier le lien entre art et société, le premier étant « une métaphore de chaque époque » auscultée, selon les mots de Umberto Ecco.
Dans ce but, chacun des neuf chapitres est scindé en deux parties : l’une dédiée à l’art, la seconde à l’histoire de l’agriculture. Ces derniers éclairages constituent donc en quelque sorte l’armature historique classique du livre, dont le propos reste avant tout de cerner les représentations esthétiques du fait agricole. Au cours de ces différents chapitres, l’histoire de l’art (réalisme, naturalisme, impressionnisme…) côtoie donc une autre histoire, plus ample, à la fois agricole, technique, économique, politique et des mentalités.
Peindre : témoigner, enjoliver ou oublier ?
Les périodes les plus développées et les plus captivantes correspondent aux pages consacrées aux XVIIIè et XIXè siècles, même s’il ne faut pas occulter les avancées picturales des XV-XVIè siècles, ou encore les pages consacrées au Moyen-âge et à la période antique, où l’on retrouve une évolution des représentations agricoles à la faveur de la diffusion du christianisme, qui d’une part propose une vision rénovée de l’agriculture et d’autre part s’appuie sur des canons esthétiques païens.
Le lecteur trouve dans la période moderne toute l’importance de l’ère physiocratique des Lumières puis pour la période suivante, celle non moins prépondérante de l’apogée du monde agricole dans l’espace européen, le XIXè siècle, et sa cohorte de peintres célèbres (Courbet, Millet, Lhermitte, l’école de Barbizon…). Ces deux séquences permettent à l’auteur de poser sereinement ce fameux « regard sociopolitique sur les positionnements des artistes » (p11).
En d’autres mots, D Christophe interroge par exemple le degré d’authenticité des œuvres – concordantes ou discordantes avec les us et coutumes agricoles d’alors – à l’image des enjolivements d’un Jules Breton dans Les vendanges au château Lagrange (1864), le progrès agricole et ses traductions ou ses non-traductions esthétiques, les peintres privilégiant par exemple les antiques techniques (la récolte manuelle entre autres) au détriment des innovations techniques, comme pour mieux marquer par ailleurs l’aspect politique conservateur du monde agricole français du XIXè, à son apogée du point de vue démographique mais aussi quant à son poids politique.
Vers l’impératif écologique
Le traitement réservé au XXè siècle ouvre davantage la focale spatiale en intégrant des travaux d’Outre-Atlantique et rend compte d’enjeux inédits, liés entre autres à la diversité des pratiques artistiques – l’intrusion de la photographie (on pense à Dorothea Lange), du documentaire mais aussi le land art en témoignent – avant de ménager une analyse d’autres perspectives encore plus proches de nos existences, révélatrices de nos rapports à l’environnement et à sa disparition progressive. Ces profondes réflexions qui se réfèrent aux travaux de P. Descola, d’A. Berque et de tant d ‘autres penseurs contemporains de l’environnement, révèlent l’impératif écologique au prisme des représentations artistiques, mobilisant au passage des notions comme le militantisme, l’humanisme ou encore la citoyenneté. Et ramenant à l’essentiel, soit le rapport entre nature et culture.
« Images de peu »
Enfin, ou surtout, qui dit arts dit représentations. De ce point de vue, D. Christophe a opté pour une centaine de reproductions (dont 29 en couleurs), principalement des gravures, des timbres et des cartes postales, « images de peu » (p17) qui offrent beaucoup à voir tant elles témoignent de l’imprégnation des sociétés par ces images, devenues parfois iconiques, tel ce timbre du Mozambique de 2001 figurant La chute d’Icare, de Pieter Bruegel l’Ancien.
Cet ouvrage trouve aisément sa place dans n’importe quelle bibliothèque d’amateur d’histoire, ou d’histoire de l’art, tant son ambition est vaste (de l’Antiquité à l’art contemporain), sa plume alerte et les enjeux abordés intemporels.
Présentation de l’éditeur :
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