Si Jean-Claude Chamboredon est bien celui qui a écrit l’essentiel des textes présents dans ce volume, c’est à Paul Pasquali qu’on doit leur réunion et leur publication. Sociologue, chargé de recherche au CNRS, il mène actuellement une recherche sur les enquêtes de terrain en France, dont une partie porte sur les méthodes élaborées par Jean-Claude Chamboredon. Il a été encouragé par Florence Weber, directrice de la collection Sciences Sociales et élève de Chamboredon, à constituer ce volume.
Chamboredon est un sociologue fameux qui a eu la mauvaise idée de vivre à la même époque de Pierre Bourdieu, aussi ses travaux sont moins connus que le plus médiatique des sociologues. Avant de se brouiller, Bourdieu, Passeron et Chamboredon ont écrit ensemble le Métier de sociologue, 1968 ouvrage ayant marqué l’histoire de la discipline.
L’œuvre de Chamboredon est marquée par « un fil rouge » (p. 18) constitué d’une sociohistoire des âges de la vie et des rapports de classe. Elle se singularise par rapport à d’autres œuvres (voir Edgar Morin, L’esprit du temps, 1962) puisque Chamboredon estime qu’il n’y a pas une culture adolescente uniforme mais que les classes sociales maintiennent des différences entre les jeunes en fonction du milieu dont ils sont issus. Cela lui apparaît d’autant plus vrai dans le contexte des grands ensembles : non seulement, il n’y a pas invention d’une société nouvelle dans cette nouvelle architecture (comme l’affirme Chombart de Lauwe) mais tous les jeunes des grands ensembles ne se ressemblent pas, comme l’étude de ceux-ci par le biais de la délinquance le prouve. Chamboredon s’inscrit en porte-à-faux avec le discours optimiste en voyant dans ces espaces tout sauf « la promesse de libération de l’aliénation du prolétariat, par la régénération des liens communautaires » (p. 26) comme aime à le penser Henri Lefebvre. Chamboredon appuie ses enquêtes sur la lecture des travaux Howard Becker sur les déviants (Outsiders, Étude de sociologie de la déviance, 1963). Il s’intéresse aussi dans un article consacré au « métier d’enfant » à la prime éducation et aux usages sociaux à la maternelle, comment les institutrices transmettent des normes sociales, des règles de comportement malgré la promotion du « être soi-même ». Il constate aussi, comme Bourdieu (La jeunesse n’est qu’un mot, 1978), l’allongement de l’adolescence sous l’effet du renforcement des divisions d’âge avant la vie adulte (petite enfance, enfance, préadolescence, adolescence, jeunesse…).
Ainsi, les six articles rassemblés offrent une vision synthétique de son œuvre. Les textes, à l’exception de celui tiré d’une intervention orale lors d’un colloque de psychiatres et de psychanalystes spécialistes de l’adolescence en 1983 sont très écrits et d’une lecture pas toujours aisée. Cela reste aussi des textes qui sont le reflet d’une époque, celle où les filles allaient à l’école « pour meubler une transition entre adolescence et mariage » (p. 47), une période où l’avortement comme l’homosexualité étaient un délit. Une époque pouvant sembler révolue alors que l’analyse de la délinquance qui en est faite peut permettre d’éclairer la situation actuelle de certains quartiers et montrer que celle-ci ne s’explique pas seulement par la présence de populations immigrées.
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes