L’ouvrage Nouvelle Histoire du Moyen Âge, dirigé par Florian Mazel et publié en 2021, réédité récemment en version de poche aux Éditions Points, s’inscrit dans une démarche historiographique ambitieuse et novatrice. Il propose une lecture actualisée et dynamique du Moyen Âge, en prenant en compte les dernières avancées de la recherche. Mobilisant une approche qui croise histoire, archéologie et sciences sociales, cet ouvrage offre une vision enrichie de cette période, souvent réduite à des clichés simplistes. En intégrant les acquis récents de l’histoire globale et connectée, il dépasse les frontières traditionnelles de l’Europe latine pour envisager des interactions avec l’Empire byzantin, les mondes islamiques, ainsi que des espaces plus lointains comme l’Afrique subsaharienne, l’océan Indien ou l’Asie. Cette approche permet ainsi de repenser les interactions et les échanges entre ces différents mondes, et de déconstruire une vision trop européocentrée.
Cette synthèse, fruit du travail de quarante-deux chercheurs de renom tels que Valérie Theis, Emmanuelle Tixier du Mesnil, Michel Lauwers et Geneviève Bührer-Thierry, est d’une grande clarté pédagogique. Elle se distingue par sa capacité à rendre la complexité du Moyen Âge accessible et à renouveler l’analyse de cette époque centrale de l’histoire européenne. En outre, elle soulève des interrogations cruciales sur les rapports de pouvoir, les dynamiques sociales et les échanges culturels, offrant une perspective riche et nuancée de cette période bien plus complexe que l’image figée qu’en ont laissée les historiographies classiques.
Cet ouvrage est ainsi une référence majeure pour ceux qui cherchent à comprendre la pluralité des visages du Moyen Âge, au-delà des représentations simplifiées et réductrices habituellement véhiculées.
Volume 1 : Le Premier Moyen Âge. La sortie du monde antique ( Ve – milieu XIe siècle)
Le premier volume de La Nouvelle histoire du Moyen Âge – Le premier Moyen Âge de Florian Mazel explore une période clé de l’histoire européenne, entre la fin de l’Empire romain et l’émergence des structures médiévales (Ve-XIe siècle). Ce Haut Moyen Âge est présenté non comme une simple succession d’événements ou une juxtaposition de chapitres, mais comme une série d’interactions et de transformations interconnectées.
Une recomposition du monde : de l’Antiquité à un Moyen Âge pluriel
La fin de l’Antiquité est marquée par un processus complexe de fragmentation et de recomposition. Ce que l’on appelait autrefois la « chute de l’Empire romain » est revisité ici sous l’angle des transitions : la dissolution des institutions impériales en Occident coexiste avec la persistance de traditions administratives et culturelles romaines, notamment dans l’Empire byzantin. À l’Ouest, de nouveaux royaumes, dits barbares, émergent, intégrant les élites romaines dans des cadres politiques redéfinis.
L’irruption de l’islam au VIIe siècle ajoute une nouvelle dimension à ces recompositions : l’unification rapide d’un vaste espace sous domination musulmane transforme les échanges et modifie les équilibres autour de la Méditerranée. Ces transformations ne sont pas homogènes mais créent un monde diversifié où Byzance, les royaumes chrétiens et le califat interagissent.
Le christianisme comme moteur de transformation
Le christianisme, initialement confiné aux élites urbaines de l’Antiquité tardive, devient un moteur central de la structuration des sociétés médiévales. Entre le Ve et le IXe siècle, il pénètre les campagnes, s’impose comme une idéologie dominante et redéfinit les bases du pouvoir. Les royaumes chrétiens, qu’ils soient francs, wisigoths ou anglo-saxons, s’appuient sur l’Église pour légitimer leur autorité. En parallèle, Byzance structure son modèle autour d’un christianisme impérial centralisé, tandis que les premières chrétientés celtiques ou slaves s’insèrent dans ce vaste archipel religieux.
Cependant, cette expansion chrétienne est loin d’être linéaire. Elle est marquée par des résistances locales, des interactions avec des traditions païennes et des recompositions doctrinales, notamment face à l’islam ou aux hérésies internes.
Mutations économiques et sociales : de la ville antique à la ruralité médiévale
Le Haut Moyen Âge est également une période de transformation dans les rapports entre les hommes et leur environnement. La période voit le déclin des grandes cités antiques comme centres de pouvoir économique et politique, remplacées par une économie rurale centrée sur le domaine agricole. Les structures de peuplement évoluent : des villages organisés autour de lieux de culte émergent, accompagnant une lente expansion des terres cultivées grâce aux défrichements et à une exploitation plus intense des ressources naturelles.
Malgré ce retrait apparent, les échanges économiques ne disparaissent pas. Les villes portuaires de la Méditerranée, mais aussi les routes fluviales de l’Europe du Nord, maintiennent des flux de circulation pour les hommes, les idées et les biens. L’âge viking, par exemple, illustre cette mobilité accrue, où les Scandinaves jouent un rôle d’intermédiaires entre les mondes chrétien, byzantin et musulman.
Domination, pouvoir et société
Le passage du monde antique au Moyen Âge est aussi celui d’une réorganisation des relations sociales. Les VIIIe-XIe siècles voient l’émergence de structures seigneuriales, où la domination repose sur le contrôle des terres et des hommes. Ce que l’on nomme la société féodale s’enracine dans des rapports de dépendance, qui s’articulent autour des liens entre seigneurs et vassaux.
Ce système, bien qu’inégalitaire, est dynamique. Il repose sur une expansion territoriale et une organisation plus poussée de l’espace rural et urbain. Simultanément, les tentatives de restaurer une unité impériale – des Carolingiens à Otton Ier – traduisent une quête de centralisation face à la fragmentation des pouvoirs locaux.
Une Europe en dialogue avec ses horizons
Enfin, le Haut Moyen Âge ne peut être compris sans intégrer les horizons qui entourent l’Europe :
- Byzance, qui maintient des liens diplomatiques et religieux avec l’Occident tout en influençant les Slaves et les populations des Balkans.
- Le monde islamique, qui se pose comme un contre-modèle, mais aussi comme un partenaire commercial et intellectuel.
- Les marges européennes, peuplées de peuples slaves, hongrois et scandinaves, qui participent à une recomposition des équilibres géopolitiques et culturels à partir du VIIIe siècle.
Entre fragmentation et unité culturelle
Loin d’être un âge de ténèbres, le Haut Moyen Âge est aussi celui de renaissances culturelles. Entre le VIIIe et le IXe siècle, les réformes carolingiennes témoignent d’une tentative de renouveler les savoirs antiques dans un cadre chrétien. Cette période de fragmentation politique n’empêche pas une interconnexion culturelle, où textes, techniques et idées circulent entre Byzance, l’Islam et l’Europe latine.
Une dynamique d’expansion
Ces interactions et recompositions débouchent sur une dynamique d’expansion, qu’elle soit territoriale, économique ou culturelle. Le XIe siècle marque ainsi un tournant, où les bases de la société médiévale sont posées, préparant les grandes transformations du Moyen Âge classique.
Volume 2 : Le Second Moyen Âge. L’avènement d’un nouveau monde (milieu XIe – XVe siècle)
Le second volume de la Nouvelle histoire du Moyen Âge, intitulé Le Second Moyen Âge : l’avènement d’un nouveau monde (milieu XIᵉ – XVe siècle), couvre une période riche en transformations, marquant l’émergence d’un nouvel ordre politique, économique, religieux et culturel. Ce « second Moyen Âge » illustre la montée en puissance de dynamiques nouvelles qui redéfinissent le visage de l’Europe médiévale.
L’Église et son dominium universel
Au cœur de ces transformations se trouve la réforme grégorienne, qui, à partir du XIᵉ siècle, redéfinit les relations entre l’Église et les pouvoirs laïques. Le mouvement initié par le pape Grégoire VII est un tournant majeur, car il vise à renforcer l’indépendance de l’Église face à l’emprise des seigneurs et des rois. L’un des aspects les plus marquants de cette réforme est la consolidation du dominium universel de l’Église : une autorité spirituelle et temporelle qui s’étend au-delà des frontières géographiques et politiques. Cette ascension papale génère une série de conflits avec l’Empire, et ce renouvellement théocratique conduit à une série de confrontations intellectuelles et politiques qui façonnent l’ensemble de l’Europe chrétienne.
Expansion et confrontations : Les croisades et Byzance
Les croisades ne sont pas seulement une confrontation religieuse, mais aussi une ouverture de l’Europe vers d’autres mondes. Elles facilitent la circulation des idées, des technologies et des produits entre l’Orient et l’Occident. Ce mouvement expansionniste illustre aussi une volonté de renforcer les liens entre les royaumes chrétiens, tout en cherchant à repousser l’islam. Cependant, l’héritage byzantin, déjà fragile après le sac de Constantinople en 1204, se dissipe lentement dans un monde où l’Occident semble de plus en plus isolé de l’Orient chrétien.
Le processus d’intégration de Byzance au monde latin est complexe et souvent conflictuel. La tentative d’unification entre les deux églises (catholique et orthodoxe) sous l’égide de la papauté, notamment lors du concile de Lyon (1274), échoue, marquant la fin d’une époque où l’Occident et Byzance pouvaient encore envisager une union. La prise de Constantinople par les Ottomans au milieu du XVe siècle achève cette séparation, contribuant à un éloignement définitif.
La seigneurie, l’agriculture et l’émergence des villes
La période étudiée connaît également des transformations profondes au niveau économique et social. La seigneurie territoriale (XIIᵉ–XIIIᵉ siècles) reste le cadre central des rapports sociaux, mais les innovations techniques et la croissance démographique entraînent une augmentation de la production agricole, souvent désignée sous le nom de grand essor agraire (fin XIᵉ–début XIVᵉ siècles). Ces progrès permettent de soutenir une population en expansion et d’augmenter les échanges commerciaux.
Simultanément, l’émergence des villes (XIIᵉ–XVe siècles) devient l’une des caractéristiques les plus marquantes de cette époque. L’essor de la bourgeoisie urbaine, qui bénéficie des richesses générées par le commerce, fait naître de nouvelles formes d’organisation sociale. Les villes deviennent des centres de production et d’échange, tout en créant de nouvelles dynamiques sociales, marquées par la montée en puissance de nouvelles classes sociales et l’apparition de nouveaux types de relations de pouvoir.
Culture et savoir : « cloître, cour et université » (Claire Angotti)
Au-delà des transformations politiques et économiques, le second Moyen Âge est aussi une période de renouveau intellectuel. Les monastères, les cours princières et les universités deviennent des centres d’innovation et de transmission du savoir. À partir du XIIᵉ siècle, les universités se développent comme des lieux d’enseignement intellectuel et de formation de la future élite, principalement axée sur le droit, la théologie et la médecine.
Ce développement est également marqué par l’essor des arts gothiques, qui transforment l’architecture religieuse et civile. Ces transformations culturelles se manifestent par une recherche de nouvelles formes d’expression, notamment à travers la littérature et les arts visuels. Les langues vernaculaires commencent à prendre de l’importance, ce qui facilite l’émergence d’une culture plus accessible et partagée par une plus grande part de la population.
Crises et renouvellements : les XIIIe et XIVe siècles
Le XIVᵉ siècle constitue une période de profonde crise pour l’Europe médiévale. La peste noire, qui frappe l’Europe en 1347, emporte des millions de personnes et cause des bouleversements démographiques majeurs. Cette crise sanitaire est accompagnée par des guerres incessantes, telles que la guerre de Cent Ans, et par des tensions sociales croissantes, illustrées par les révoltes paysannes et urbaines.
Toutefois, ces crises ne sont pas uniquement destructrices. Elles favorisent également l’émergence de nouvelles dynamiques sociales et politiques. Par exemple, les révoltes et séditions (fin XIIIᵉ–XVe siècles) mettent en lumière les tensions croissantes entre les différentes classes sociales, mais aussi un désir de réformes. Cette époque ouvre la voie à de nouvelles formes de gouvernance, avec l’apparition de structures étatiques plus centralisées et plus modernes, qui feront progressivement place aux monarchies nationales.
Une Europe en mutation : du local au global
Enfin, au-delà des crises, le second Moyen Âge marque l’émergence d’une Europe plus ouverte au monde extérieur. Des régions périphériques comme la Bohême, la Hongrie et la Pologne prennent une place plus importante dans le jeu politique européen, et l’espace médiéval s’élargit pour inclure des horizons lointains. Les échanges commerciaux, la circulation des idées et l’ouverture vers l’Orient redéfinissent les contours du continent, qui se dilate progressivement tout en affirmant une identité culturelle commune.
L’élargissement des réseaux marchands et des contacts avec les sociétés non chrétiennes (en Afrique, en Asie et en Orient) annoncent des dynamiques qui, à terme, marqueront la naissance de l’ère moderne. Ce processus de dilatation de la Latinité et d’ouverture sur des horizons lointains est l’un des aspects essentiels de la transition vers la Renaissance.
Merci.