Spécialiste du monde paysan et de l’économie rurale du haut Moyen-âge, Jean-Pierre Devroey est professeur à l’Université libre de Bruxelles et membre de l’Académie royale de Belgique.

Dans son ouvrage, l’historien fait émerger simultanément la peur de l’effondrement qui saisit les sociétés européennes des Ve-Xe siècles, et leur incessante inventivité qui les rend résilientes, grâce à la complémentarité des sciences exactes et des sciences humaines : textes carolingiens, découvertes archéologiques, gigantesque bibliographie des dynamiques environnementales (palynologie, biologie, climatologie).

« Géopolitique de la faim »

Selon P. Boucheron dans la préface, le livre s’apparente à « une géopolitique de la faim au Moyen-Âge», ce que ne réfute pas l’auteur par la suite. Si l’histoire de l’environnement a habitué les lecteurs à appréhender de longues durées, cet ouvrage propose quant à lui une séquence courte, bornée par la vie de Charlemagne, premier temps d’un long décollage européen selon les médiévistes du XXIe siècle.
J.P. Devroey décèle dans son immense enquête une «éco-histoire du système social carolingien» (page 13). Ceci est corroboré par sa vision aux antipodes du déterminisme naturel promu au début de ce siècle par B. Fagan et son Petit âge glaciaire (2000). Au contraire, J.P. Devroey se place dans le sillage de J. de Castro, préférant ainsi questionner l’aspect social de l’histoire environnementale. D’ailleurs, sa conception de celle-ci consolide ce biais. Pour l’auteur en effet, elle doit être étude des dynamiques des écosystèmes, mais aussi analyse de l’économie politique, enfin échanges entre groupes humains et les deux premiers jalons.

Paysans impuissants ?

Ainsi, ce travail se focalise sur «les calamités comme point d’observation des relations entre le roi, le système social et la nature en période de crise alimentaire» (page 27). Se pose alors la question suivante : Dans quelle mesure les paysans du VIIIe sont-ils totalement livrés à la violence de la nature ? Pour y répondre, J.P. Devroey propose deux temps d’arrêt : le premier consacré au climat, à l’environnement, au pouvoir et à la société. Le second est dédié aux crises alimentaires et à leurs réponses sociales, où l’auteur constate toute l’étendue du génie humain, source de résilience.

In fine, l’analyse politique de ces questions écologiques, mais aussi les représentations de la nature, montrent une société carolingienne résiliente et engagée dans l’édification d’un monde durable. Une dynamique à méditer en ce début de XXIe siècle.