Dans cet ouvrage, l’auteur rend accessible au plus large public, le récit des origines de l’Occitanie qui formera à la veille de l’an mil, le creuset d’une civilisation sur laquelle l’Europe d’aujourd’hui fonde encore ses valeurs.
Les progrès accomplis par la recherche historique et linguistique depuis plus de trente ans ont permis d’établir cette épopée de l’Occitanie, héritière de Rome, du royaume Goth de Toulouse, des royaumes d’Aquitaine et de Provence, ouverte aux courants de pensée et de connaissance venus d’al-Andalus.
OCCITANIE
L’EPOPEE DES ORIGINES, DE L’ANTIQUITE A L’AN MIL
Par Jean PENET aux Editions CAIRN , 2009 25€

Historien de l’art, conservateur en chef du patrimoine, Jean Penet est directeur des musées Paul-Dupuy et Georges Labit à Toulouse.

Dans l’introduction de son ouvrage, Jean Penet éveille notre curiosité. La traditionnelle distinction des « pays » au nord ou au sud de la Loire traduit bien que la mémoire collective différencie un espace humain clairement caractérisé, limité au sud par les Pyrénées et la Méditerranée.
Durant le Moyen-âge ce territoire a connu plus de quarante rois. Les statues de six d’entre eux se trouvent sur la Plaza de Oriente, face au Palais Royal de Madrid car les « rois de Toulouse » sont aussi considérés, nous dit l’auteur, comme les fondateurs de l’Etat espagnol.
D’autre part, les grandes épopées françaises composées du XI° au XVI° siècle intègrent dans leurs chansons de geste les héros les plus célèbres des siècles précédents. On y retrouve dans « La Chanson de Roland », les Narbonnais, les quatre fils Aymon, Huon de Bordeaux. Les principaux d’entre eux sont également présents dans la tradition germanique, les romanzi italiens de la Renaissance et les romances castillans.

Cette contrée du sud a conservé son nom romain, la Provincia, dénomination qui à l’époque moderne s’étendra à l’ensemble de l’état français hors la capitale. Ses habitants sont les « Provinciales » et des « Romani », des Romains, en opposition aux barbares francs d’outre Loire.
A partir du latin, précocement diffusé en Narbonnaise, les Provinciales se sont forgé une langue qui est devenue le Proensal. Ce n’est que bien plus tard au XIII° siècle que Dante la qualifiera de langue d’Oc (linguae occitanae) d’où viendront occitan et occitania. Le premier troubadour connu sera un duc d’Aquitaine, Guilhèm IX. La littérature « provençale » apportera au monde des concepts de civilisation sur lesquels l’Europe fonde encore ses valeurs.

I – ENTRE LOIRE ET MEDITERRANEE

1- Arvernes et Massaliotes :

Tout commence avec la fondation de Marseille par des Ioniens venus de Phocée en Asie Mineure. L’auteur nous décrit de façon très précise et très documentée les différents peuples établis dans le Sud, leurs rivalités, leurs alliances et dresse une géographie très détaillée de leur occupation des sols. Nous comprenons ainsi entre autres, la fondation de la colonie de Narbo Martus (Narbonne).

2-La guerre des Gaules :

Lorsque César arrive dans la province transalpine, son intérêt se porte sur la Gaule indépendante au sein de laquelle il distingue trois ensembles. A ses yeux la Provincia est étrangère à la Gaule même si on l’appelle Gaule Transalpine et elle est déjà présentée comme un lieu de « civilisation » et de « mœurs raffinées ».
L’auteur nous révèle tous les détails des guerres que se sont livrés les différents peuples envahisseurs, leurs défaites, leurs victoires, les enjeux de ces combats et leurs conséquences pour la région étudiée. Il évoque Vercingétorix qui, violant le traité de paix et d’amitié avec les Romains et rétablissant l’ancienne tradition monarchique, choisit la « celtitude » contre la civilisation et le monde méditerranéens. Il attaque ainsi la Province défendue par César. Leur combat sera sans merci .

3-Narbonnaise et Aquitaine :

Héritier de César, Octave vient en Gaule. Devenu Auguste, il acceptera de reconnaître la singularité de l’ancienne province transalpine en la détachant des nouveaux territoires conquis. On dira désormais la Gallia narbonensis , la Narbonnaise qui sera gouvernée par un proconsul résidant à Narbonne. L’auteur nous explique ici l’organisation des trois provinces :
L’Aquitaine,la Lyonnaise et la Belgique. Il nous fait comprendre pour quelles raisons la nouvelle Aquitaine a été arrimée à la Narbonnaise ce qui a abouti à la création d’une ville nouvelle Tolosa au détriment de Narbonne. Toulouse, point d’ancrage soudant les deux provinces sur un lieu éminemment stratégique.

4-Les débuts du christianisme :

Il faut attendre le II° siècle pour voir le christianisme se propager depuis Marseille et Arles jusqu’à Vienne et Lyon sur l’axe traditionnel des échanges commerciaux.
L’auteur évoque les martyres, les lapsi (ceux qui ont renié leur foi), les persécutions religieuses. Il retrace les faiblesses de l’Empire qui favorisent des réactions d’auto défense locales. C’est durant cette période agitée que la plupart des villes d’Aquitaine celtique, comme celle des Trois Gaules, abandonnent leur nom romain pour celui du peuple dont elles sont le chef lieu : Divona de la cité des Cadurques devient Cadurci (Cahors) par exemple. En Narbonnaise c’est d’après leur nom romain ou romanisé que les villes ont formé leur territoire : la cité de Béziers est la civitas Beterrensium (oc. Bederrés).Dans cette même Narbonnaise, toutes les civitates sont devenues des évêchés. On peut ainsi situer dans cette période les fondateurs aux noms vénérés comme Aphrodisius de Béziers.

5- Les sept Provinces :

L’auteur nous explique pourquoi le double visage de la Gaule s’accentue au III° siècle. Il y commente les ambitieuses réformes mises en œuvre par Dioclétien. Réforme politique et administrative avec l’institution des Diocèses, circonscription nouvelle regroupant plusieurs provinces dont le diocèse de Vienne au sud de la Loire et du Rhône. Un ensemble de sept provinces constituera le diocèse de Vienne.

6- Au sein de l’empire Chrétien :

Constantin multiplie les signes favorables au christianisme de 314 à 325. Constance II impose sous la contrainte l’arianisme en Occident. Les rares évêques qui tentent de résister sont exilés. Ceux des deux Narbonnaises semblent avoir été gagnés à l’arianisme (doctrine contestant la trinité et la divinité du Christ). Bordeaux devient le nouveau chef lieu du diocèse des Sept Provinces désormais désigné sous le nom de diocèse d’Aquitaine. Ce nom recouvre donc l’ensemble des territoires placés entre la Loire et la Méditerranée, les Pyrénées et les Alpes.

II – DE LA GOTHIE D’ORIENT AU ROYAUME DE TOULOUSE ( III° Siècle -511)

1-Le peuple fédérateur : les Goths

2- La patrie perdue :

Les Goths sont confrontés à l’invasion des Huns venus d’Asie Centrale. Le royaume Amal s’écroule après une résistance acharnée. La Gothie d’Orient aura duré un siècle. L’auteur évoque ensuite les envahisseurs (Vandales, Suèves, Alains) qui atteignent l’Aquitaine et la Narbonnaise dont ils ont ruiné la plupart des villes avant de passer en Espagne.

3- Athaülf : le rêve impérial :

Les Vesi (les goths) grâce à leur nouveau roi élu , Athaülf , après avoir vainement tenté de prendre Marseille, se rendent maîtres de Narbonne , de Toulouse puis de Bordeaux .Ce roi épousera , à Narbonne le 1° janvier 414, Galla Placida , fille et sœur d’empereurs : dans son esprit , il appartient aux Goths de restaurer la puissance de Rome et le fils qui naîtra de ce mariage légitimera cette aspiration. La capitale de l’empire sera désormais Bordeaux. Son fils mourra à Barcelone peu après sa naissance et lui-même sera assassiné. Son successeur élu est Vallia. Les affrontements sanglants parmi les Goths tiennent à leur désaccord sur la voie à suivre : indépendance ou collaboration avec Rome. C’est ce dernier parti qui l’emporte à nouveau et qui , selon l’auteur , exprime moins une soumission que la mise en œuvre d’une stratégie.

4- Vallia : La terre promise :

Ce nouveau roi accepte pour son peuple le statut de « fédéré » au service de l’empire que Constance lui propose. Constance, nommé Consul, prend la décision de rappeler les Vesi pour une surprenante mission : s’établir sur une bande de territoire englobant les civitates de l’Aquitaine Seconde et une partie de la Narbonnaise Première. Ce territoire est censé constituer un rempart contre toute invasion barbare venant du Nord. Cet espace primitif semble correspondre à celui désigné par Sidoine Apollinaire sous le nom de Septimania. Il existe alors deux façons d’appréhender la réalité selon que l’on est « provincial » ou goth. Pour les premiers l’administration civile romaine conserve son autorité sur cette nouvelle Gothie, pour les seconds ce territoire est la terre promise et ils sont le nouveau peuple élu.

5-Theuderic 1° : Les fondements du royaume
A Vallia succède Theuderic qui devient le 1° roi de la nouvelle Gothie. La capitale est établie à Toulouse.Theuderic entend instaurer un royaume dans le cadre des Sept provinces. Ce projet demeurera après lui et jusqu’au succès final celui de ses successeurs.

6-Thorismund et Theuderic II : entre Royaume et Empire
L’auteur nous fait pénétrer dans les luttes de clans, les rivalités pour le pouvoir. Déterminés à ne pas laisser les goths « ariens » devenir les maîtres de l’empire, l’empereur tentera de rétablir l’ordre romain en Gaule.

7- Euric : « Le loup de ce siècle »
Son règne coincide avec la fin de l’empire d’Occident. Nous suivons l’intense politique d’expansion de ce roi goth, ses victoires sur les « Romains ». A cette époque, le royaume de Toulouse est le 1° Etat séparé de l’empire. Etendu de la Loire au sud de la péninsule ibérique et de l’océan aux alpes, il constitue la plus grande puissance de l’Occident et est pourvu d’une flotte.

8-Alaric : La fin du royaume
Le fils d’Euric lui succède dans un contexte politique en pleine modification. L’heure est à la solidarité entre peuples barbares réputés de confession »arienne » et le roi de Toulouse occupe une position centrale dans ce dispositif. L’auteur nous explique les nouvelles alliances face à l’inquiétant royaume ostrogoth établi en Italie, les conflits latents entre frères dans le royaume burgonde, les négociations avec les Francs. Tout ce qui a conduit Alaric à réagir et à appliquer la loi romaine au royaume de Toulouse. Il évoque les difficultés d’Alaric et comment débute la légende dorée des francs face à la légende noire des Goths dans une atmosphère de croisade.

III LE ROYAUME ECLATE (511-672)

L’auteur explique tout d’abord le morcellement du territoire : chacun des héritiers se voit en effet confier un royaume franc particulier contrairement à la coutume générale chez les peuples barbares.

L’Aquitaine demeure un sujet d’inquiétude car on s’attache à briser son unité en l’annexant par lambeaux aux pouvoirs situés au Nord de la Loire.
L’auteur évoque ensuite les Francs qui attaquent leurs anciens alliés, les Burgondes puis il consacre quelques pages à la fin du royaume burgonde et du royaume ostrogoth.

Il différencie cinq royaumes d’Aquitaine successifs dans cette partie. Le second étant une Auvergne étirée jusqu’à la Provence.
Il nous démontre comment le partage entre héritiers apporte des nouveautés (réapparition de la Burgondie ou Bourgogne après le dépeçage de 534), l’Aquitaine connaissant de nouvelles divisions .

Dans ces chapitres nous mesurons l’importance du « don du matin » (reconnaissance de la virginité) qui permettait aux filles de rois de poser des conditions lors d’alliances et de mariages : la nouvelle reine reçut à cette occasion cinq villes et de vastes territoires aquitains.

L’auteur nous commente ensuite les campagnes menées par les Wisigoths dans le nord de l’Espagne contre les « envahisseurs » vascons , qui ont été assez violentes pour provoquer un exode de populations au nord des Pyrénées.

Cette partie s’achève sur la naissance du sixième royaume d’Aquitaine sous l’autorité de Felix, un romain, appartenant à une famille sénatoriale. Il se retrouve face à une mission qui n’est pas nouvelle : arrêter les barbares venus du Nord et du Sud.

IV AQUITAINE,GOTHIE ET PROVENCE (672-768)

Lupus prend la suite de Felix par un coup de force et établit son pouvoir en Gascogne et en Aquitaine.L’auteur nous relate comment Vamba envoie en septembre 672 , une armée pour rétablir l’ordre dans les provinces septentrionales du royaume Goth : à la tête de l’armée , un « romain », Paulus, s’allie aux insurgés et tente de se faire proclamer roi mais l’armée de Vamba gagne les places pyrénéennes une à une et triomphe.

L’auteur accorde quelques pages au sixième royaume d’Aquitaine qui ne cesse d’affirmer sa puissance et son indépendance. Il se heurte en Narbonnaise gothique à la résistance du royaume de Tolède. Le prince Eudon lui donne, avant 710, avec l’annexion de l’Auvergne, sa physionomie définitive. Désormais, les peuples du sud de la Loire sont reconnus comme Romains et ceux du Nord, où la présence germanique est dominante, comme Francs.

Mais les troupes musulmanes viennent de franchir le détroit qui depuis l’Afrique, les séparait de l’Espagne. Elles envahissent le royaume wisigoth. En 720 ces troupes, prennent Narbonne et arrivent devant Toulouse. Le roi Eudon contre toute attente, écrase l’armée musulmane et donne le signal de la Reconquista.
L’auteur nous commente ici la conquête du Sud par Charles Martel puis il nous explique ce qui a permis l’apparition de nouveaux pouvoirs chrétiens dans l’ancienne Narbonnaise gothique.
Gaifier met à profit ces circonstances favorables et tente de prendre Narbonne. L’auteur nous dévoile ici les alliances entre goths et romains, la course au pouvoir engagée par Gaifier et Pipin , la guerre civile entre goths. Les goths balancent entre le pouvoir de Cordoue qui reconnaît leurs droits et celui de Soissons qui se contente de formuler des promesses.

A la fin de cette partie l’auteur réserve quelques pages à la guerre d’Aquitaine qui durera huit ans entre Gaifier et Pipin et au terme de laquelle Pipin sera désormais le maître du royaume d’Aquitaine. A sa mort il laisse ses conquêtes et son royaume à ses deux fils Charles et Carloman. Hunald II, fils de Gaifier lancera un mouvement de révolte qui échouera.

V AU CŒUR DE L’EMPIRE (768-877)

Charles organisera la première expédition d’Espagne dont l’auteur nous livre tous les détails historiquement connus à ce jour. Il évoque plus loin la deuxième expédition d’Espagne et également le septième royaume d’Aquitaine avec Louis 1°.

Lors du partage de l’Empire par Charlemagne entre ses trois fils, Charles, Pipin et Louis, Pipin recevra l’Aquitaine ainsi que la Provence et une partie de la Bourgogne.

Dans les chapitres suivants, » Guillemides contre Beranides », » La révolte des fils », » PipinII ou le combat pour le royaume », l’auteur nous commente les enjeux politiques et familiaux qui ont conduit à des guerres de conquête de l’Aquitaine par les Francs .

Trahisons, alliances, guet-apens, nous revivons les complexités d’une époque où les lignages goths perdent ou reprennent l’avantage sur les Guillelmides par exemple. L’auteur termine cette partie en évoquant les erreurs de Charles le chauve, à la mort de Guillèm II qui ont conduit à une situation particulière puisque « trois rois » se disputent l’Aquitaine.

Au fil des combats et des alliances, des rebondissements, nous suivons les limites territoriales de ce Royaume.

VI L’AQUITAINE ET SES MARGES (877-1000)

Cette partie débute par un chapitre sur « Les princes territoriaux » puis viennent quelques pages sur « Renoul : du royaume au duché » et « Louis, roi de Provence ». C’est un contexte de désordre et de violence sur les marges de ce territoire que l’auteur reconstitue fidèlement.
« Le temps des successions » amène au pouvoir le neveu de Guilhem 1°, Guilèm II d’Aquitaine avant que la succession au duché d’Aquitaine ne soit ouverte à nouveau. « Bourgogne et Provence », « Poitiers et Toulouse : l’enjeu aquitain » sont autant d’étapes que nous suivons jusqu’à la création du neuvième royaume d’Aquitaine.
L’auteur nous fait suivre le cheminement de « la belle angevine », Adelaïde, qui épousera en 984 Guilhem 1° de Provence. « A la veille de l’an mil »
la Provence achève de se libérer de l’emprise bourguignonne. La fragmentation du territoire occitan n’entame pas , nous précise l’auteur, un sentiment unitaire dont le signe visible est l’emploi d’une langue commune et l’adoption du nom de Guihèm par la quasi-totalité de ses princes.
Cette partie s’achève sur le mariage de Constance et de Robert le Pieux, fils d’Hugues capet et d’Adelaïde d’Aquitaine qui consacre la montée en puissance des Guillelmides de Provence et met en lumière un étonnant contraste culturel entre la Cour Royale dominée par les guerriers et les clercs et les sociétés aristocratiques du Sud de la Loire « où commence à s’épanouir une civilisation brillante appuyée par une parole profane libérée du latin d’Eglise et de la prédominance masculine ».
C’est dans cette période que les mœurs singulières des « Aquitains » – des Occitans- envahissent la France.

Noëlle Bantreil Voisin ©