Après avoir analysé « les doctrinaires et les vulgarisateurs, les supports et les vecteurs, les thématiques et les références » des droites radicales, ce quatrième ouvrage explore le versant organisationnel de ces mouvements dans sa dimension transnationale. Coordonné comme les précédents par Olivier Dard, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Sorbonne, ce livre nous offre donc une plongée dans les réseaux des droites radicales dans différentes aires géographiques ; il met également en exergue les circulations d’hommes et d’idées comme les tentatives d’organisation transnationales. A cet égard, l’ouvrage tord le cou à la légende plus ou moins sulfureuse d’une prétendue « internationales noire » ou d’un « orchestre noir » dont les ramifications tentaculaires s’étendraient en Europe et dans le Nouveau Monde.
C’est davantage l’histoire d’échecs que propose cet ouvrage : échec du Parti de l’Unité nationale du Canada (PNUC) dont le chef Denys Arcand, échoue à se faire élire sous la bannière de son parti durant les années 1950. En se posant en défenseur d’un corporatisme d’Etat inspiré à la fois de Mussolini, de Franco et surtout de Salazar, en se faisant le chantre de l’antisémitisme et de l’anticommunisme, le parti de Denys Arcand se trouve rapidement en porte-à-faux avec la société québécoise, dont les valeurs – catholicisme et ruralité -, se trouvent alors menacées par l’urbanisation, l’industrialisation et la sécularisation rapide de la province. Lorsqu’Arcand meurt en 1967, en pleine Révolution tranquille, il emporte dans sa tombe la droite radicale canadienne-française. Nicolas Lebourg évoque également un échec, celui de la formation d’une internationale nationaliste-européenne, Jeune Europe (1960-1969). A l’initiative du belge Jean Thiriart (1922-1992), celle-ci implose sous le coup de forces centripètes : les uns défendent une conception de l’Europe, basée non sur la race, mais sur une forme d’intégration de tous les Etats dans un jacobinisme continental et laïque, tandis que les autres mettent en avant le racisme et le nationalisme de la langue et de l’héritage. Dans le contexte géopolitique post-guerre froide, une deuxième tentative, le Front européen de libération (FEL), connaît un destin similaire.
Les liens idéologiques ou organisationnels entre les différents mouvements des droites radicales sont analysés par Valérie Igounet et Pauline Picco pour le cas du FN, de Miguel Angel Perfecto Garcia pour l’Argentin, de Riccardo Marchi pour le Portugal et de Stéphane François pour les Etats-Unis. Les premières montrent les liens qui existent depuis les années 1970 entre le Front National (FN) de Jean-Marie Le Pen, fondé en 1972,, et le parti fasciste italien, le Movimento sociale italiano (MSI) de Giorgio Almirante. Bien qu’il se défende de toute affiliation avec le fascisme italien, le parti de Jean-Marie Le Pen n’aurait pas vu le jour sans l’aide financière du MSI à qui il empreinte par ailleurs son logo, la flamme, et une partie de son argumentation. Miguel Perfecto analyse également les circulations d’idées entre droites radicales argentines et droites radicales espagnoles et italiennes dans la première moitié du XXe siècle : les organisations radicales argentines sont en effet influencés à la fois par le modèle phalangiste et par le modèle fasciste, qui se diffuse, notamment, grâce à l’importante colonie italienne présente sur le sol argentin.
De son côté, Riccardo Marchi met en lumière l’apparition d’un nouveau courant idéologique de l’extrême-droite portugaise au début des années 2000 qui, à la différence du nationalisme inspiré du salazarisme, met en avant l’idée d’un Portugal racialement homogène, aux racines européennes et occidentales. Cette idéologie va à l’encontre de la conception multiculturelle et multiraciale du nationalisme portugais qui s’était développée dans le cadre de l’empire et de la dictature slazarienne. Dans le contexte de renouveau identitaire européen, les deux organisations qui défendent cette nouvelle forme du nationalisme portugais, Causa identitària et Terra e Povo, puisent donc largement dans les organisations identitaires européennes, en particulier françaises et italiennes, nouvelles théories et nouvelles pratiques politiques. Ces deux organisations, cependant, malgré leur dynamisme n’ont pas réussi à produire des changements fondamentaux dans la conception du nationalisme portugais. Plus anecdotique, sans doute, Stéphane François étudie les mouvements aryens révolutionnaires américains marqués par l’idéologie nazie et le paganisme.
Enfin, les deux premières contributions portent sur le cas français au prisme du transnational. Humberto Cuchetti met ainsi en évidence le rôle du contexte international dans les évolutions récentes de l’Action française depuis 1968, notamment les crises des Balkans durant la décennie 1990 et la recomposition géopolitique en Europe de l’Est, avec l’émergence de la Russie. Quant à Olivier Dard, son regard se porte sur l’échec du MNP/REL, le parti politique créé dans le sillage de la Fédération des étudiants nationalistes (FEN) dans les années soixante.
Le livre dirigé par Olivier Dard est passionnant en ce qu’il montre les circulations de thèmes et des pratiques au sein des droites radicales dans différents contextes et différentes aires géographiques. Ces circulations existent dans des groupuscules comme dans les partis plus structurés, et elles seront sans doute amenées à s’amplifier à l’heure de la mondialisation comme le montre l’évolution récente du nationalisme portugais.