« J’ai commencé à travailler dessus il y a dix ans, pour comprendre le climat de l’époque, mais je me passionne pour le sujet depuis l’enfance, depuis ces réunions de famille avec la branche allemande, où j’allais avec mon père et où je sentais un malaise violent, au milieu de lourds silences… D’une certaine manière, c’était fascinant. C’est sur cette toile de fond historique et personnelle que j’ai écrit cette histoire d’Allemands et de Juifs allemands qui traversent l’époque. » Franz Olivier Giesbert 

Expression employée par le père de l’auteur, le schmock signifie en yiddish, le con, le pénis, ou le salaud, l’insulte suprême. Ce roman décrit l’ascension du pire des schmocks, Adolf Hitler. En débutant par une belle histoire d’amour, cet ouvrage tourne autour de deux familles bavaroises amies, influentes et cultivées (une juive et l’autre non) dont la première génération vit en Bavière au début du XXe siècle. Camarades dans le secondaire, très ressemblants physiquement, les deux héros aiment la même femme mais ils partent à la Guerre où ils rencontrent un petit caporal de vilaine apparence : « un personnage étrange, embarrassé, pas causant. Tout, sur son jeune visage pendouillait comme un vieux linge, les paupières, le menton, les moustaches taillées comme le Kaiser, mais à l’envers. » Leur vie en sera changée. Après la défaite de 1919, « au moment où l’Allemagne en veut à tout le monde, au kaiser, aux officiers, aux Juifs, à la banque, à l’Amérique, aux capitalistes, au monde entier », les protagonistes gardent des liens avec Adolf Hitler et ils réalisent son profond antisémitisme comme celui de la société allemande de l’époque. Ils voient l’attraction qu’exerce l’homme politique lors de ses meetings où il électrise les foules. A aucun moment, l’élite méprisante ne s’interroge sur la réalité des thèses nazies : « Quel bouffon, cet Hitler ? Tout ça n’ira pas loin. Son propos est tellement débile » ou  » Ce n’est pas grave, il est trop stupide pour gouverner, il n’aura jamais le pouvoir  » ;  même si son ami lui répond : « l’Histoire est une vieille pute aveugle, qui a perdu son cerveau et le recherche à tâtons dans les caniveaux ». Et pourtant, ces représentants des plus riches familles bavaroises côtoient le chef du parti nazi qui s’avère « un tyran domestique, foutraque, croquemitaine de salon de coiffure, Torquemada de cour d’école qui laisse volontiers libre cours à ses rages ».

En toile de fond de ce roman, toujours la même question qui taraudent les générations qui se succèdent : comment cela a-t-il pu être possible, comment les Allemands ont-ils pu prendre à la légère la montée du nazisme ? Ont-ils eu la berlue alors que la bête gronde ? Pourtant, le prix Nobel de littérature, Thomas Mann, avait averti du danger de la menace nazie. Malgré Mein Kampf, « ce simple produit de l’Histoire, du fiasco de 1918, du traité de Versailles, de la Grande crise économique » prend le pouvoir légalement.

Franz Olivier Giesbert insiste sur le fait qu’Hitler n’a pas été élu par le peuple allemand (p 212) et qu’il n’obtient que 37 % des suffrages en juillet 1932 pour retomber à 33 % en novembre de la même année, après trois élections qui lassent les Allemands. L’auteur pense que les nazis n’ont pas l’adhésion que l’on croit. Mais que fait-il des 2 millions de SA, des SS et des 200 députés allemands qui entrent au parlement. S’il a échoué à être élu président de la République, Hitler est nommé légalement, selon le processus démocratique, chancelier par Hindenburg, le 30 janvier 1933. Entouré de conservateurs qui pensent le manipuler dont Von Papen, le Führer ne demande que deux ministères au gouvernement, ce qui donne l’illusion d’une compromission. Pour beaucoup de politiques allemands de l’époque mais aussi de Juifs, l’ennemi à abattre est le communisme. Les nazis n’ont pas la majorité absolue au parlement et leur chef multiplie les entorses à la démocratie pour s’octroyer le pouvoir. L’auteur n’est-il pas injuste avec les communistes quand il parle d’alliance avec les nazis après 1919. Si des votes communs ont pu se faire au Reichstag contre la sociale démocratie, les combats de rue entre les milices rouges et les SA ont été assez sanglants. Les communistes sont les premiers à être envoyés en camp de concentration. A ce moment du récit, alors qu’un Hitler en cache un autre, encore plus retors, calculateur et machiavélique, peut-on vraiment prendre cet homme pour un imbécile ? Ne serait-il pas particulièrement intelligent ? Une bête politique mais intelligente…

Cet ouvrage s’avère effrayant par la cruauté des personnages fictionnels qui rencontrent certains acteurs historiques. L’auteur coupe souvent sa narration pour ajouter des focus explicatifs sur des événements particuliers : le traité de Versailles, les pogroms, la Shoah par balles, sauf le quotidien des camps de la mort qu’il refuse de raconter donnant les références des récits de rescapés pour ne pas en déformer leur mémoire. Entre courage et lâcheté, chacun acteur réagit selon son destin et peu survivront à cette tragédie. Dans un style direct et ciselé parfois emphatique, ce roman passionnant se lit d’une traite. Son épilogue décrit un rescapé désabusé qui pense qu’un jour de tels événements pourraient se reproduire…