Etrange retraite, pitoyable déroute. Mais l’amertume ne suffit pas pour décrypter ce récit enfin traduit en français grâce à E Poisson (U. Paris Diderot). En effet, cet épisode de la guerre civile vietnamienne signé Cao Xuân Huy (1947-2010), lieutenant dans les Marines, dévoile avant tout l’incurie et la confusion militaires, politiques et stratégiques adossées au monceau d’horreurs qui caractérisent la fin de ce conflit au Vietnam de près de vingt ans.
La Guerre du Vietnam, nous la connaissons globalement via des superproductions cinématographiques américaines et des travaux historiques. Ou encore par des récits autobiographiques venus du Nord Vietnam, vecteurs d’héroïsation rarement nuancés. Or, avec cet ouvrage paru chez Riveneuve, nous disposons d’une authentique rareté qui nous plonge au mois de mars 1975 dans le camp des vaincus, celui de la RVN du Sud-Vietnam en passe d’être totalement lâchée par le grand frère US. C’est en outre une illustration de l’historiographie des vaincus, segment de recherche au développement conséquent depuis une vingtaine d’années.
C’est là tout l’attrait de cette publication : un témoignage cru et désabusé à hauteur d’homme, conçu du côté des perdants, à quelques semaines de la prise triomphale de Saïgon par la RDVN (30 avril 1975) et de la défaite officielle. Le récit intègre aussi l’aspect du matériel militaire, avec des détails bienvenus à propos des armes américaines en usage dans l’armée sud-vietnamienne (les fameux fusils d’assaut M16, les lance-grenades M79 et autres transports de troupes M113…), mais aussi le manque de munitions (d’où le titre fusils brisés) ou les abandons dudit matériel.
Ordres, contre-ordres, désordres
Autant le dire, c’est une descente aux enfers que vit et livre le lieutenant Cao, soldat d’élite envoyé avec sa division défendre les environs du 17è parallèle, aux environs du Quang Tri, de Da Nang et de la cité impériale de Hué, à la tête de sa compagnie de marines sud-vietnamiens reconnaissables à leur treillis camouflage (cf première de couverture). Il donne à voir la détresse de civils centre-vietnamiens hébétés, perdus, en quête de protection, mais surtout des soldats sud-vietnamiens baladés d’ordres en contre-ordres, de compagnies de combat moribondes en unités mal recomposées, d’officiers supérieurs indignes, vils et veules.
Apocalyptique retraite
C’est donc la fin d’un monde, celui d’un régime mort-né (la RVN) et d’un lambeau d’armée qui n’a plus de munitions pour endiguer les assauts des Bodois. Au paroxysme de cet apocalypse trône l’épisode des navires de secours venus par mer embarquer des civils et des militaires par trop nombreux, sorte d’acmé de l’horreur et de l’absurdité subies par ces populations matraquées par l’Histoire des XIXè et XXè siècles. Le lieutenant Cao, finalement resté sur la plage bombardée par l’ennemi, est fait prisonnier par le Viet Cong, début d’une autre (dé-)route, entre rééducation et exécutions incompréhensibles.
Formellement, le livre présente 6 chapitres qu’embrassent une préface de F Guillemot et E Poisson, ainsi qu’une postface du journaliste vietnamien Do Khiêm. La première moitié du livre semble parfois confuse, brute, sensation (reflet ?) qui s’évanouit totalement avec la fin du récit, celui de la retraite-déroute proprement dite et qui montre toute les inhumanités de la défaite, détails révulsants à l’appui.
Du point de vue littéraire, cette tranche de vie ne présente rien d’innovant. Simplement ”la guerre sans fard” et »une anthropologie du soldat en guerre », comme l’annoncent F Guillemot (IAO Lyon) et E Poisson dans la préface, accaparent tout le projet. En effet, l’auteur oscille sans cesse entre introspection, ironie et description, afin sans doute de magnifier l’absurdité et l’horreur de cette sortie de guerre.
En terminale
La traduction est signée Emmanuel Poisson (IFRAE). La première de couverture bénéficie du trait généreux de Marcellino Truong (Une si jolie petite Guerre, Denoël, 2012), par ailleurs illustrateur des couvertures de romans de Nguyen Huy Thiep. On pourrait regretter l’absence de cartes et/ou de croquis. Un croquis du parcours de l’officier Cao, entre Vung Tau, Saïgon et le Quang Tri, puis à une autre échelle une carte de la retraite décrite, enfin une troisième rendant compte de la situation militaire globale du début de l’année 1975 auraient constitué un utile appareil documentaire. Enfin, quelques coquilles ponctuent l’ouvrage.
Finalement, dans la lignée des grands récits de guerre (Le feu, H Barbusse, Orages d’acier, E Jünger, L’étrange défaite, M Bloch), l’enseignant d’histoire au lycée peut faire fond sur cette autobiographie. En terminale tronc commun (thème 2), afin par exemple de rappeler la dimension de guerre civile qui pèse sur la Guerre du Vietnam, conflit souvent exclusivement présenté comme une guerre de décolonisation, archétype de la Guerre froide. En outre, en spécialité HGGSP, des extraits en lien avec la notion de sortie de guerre déployée dans le thème Faire la guerre, faire la paix, ont également toute leur place.
Présentation de l’éditeur :
https://www.riveneuve.com/catalogue/en-mars-fusils-brises-2/