La revue Pallas des Presses Universitaires du Mirail rassemble dans ce 70 ème volume différentes contributions autour du thème : l’hellénisation en Méditerranée occidentale au temps des guerres puniques ( 260-180 av JC). » Il s’agit des actes d’un colloque qui s’est tenu en 2005. L’ensemble est composé de 21 communications dont quelques-unes en langue étrangère. Les résumés des communications sont présentés à la fois en français et en anglais.
La problématique globale est de voir en quoi et dans quelle mesure les conflits romano carthaginois ont pu être un facteur dans l’hellénisation de cette partie du monde ?

Il est choisi d’étudier l’hellénisation dans une période où les deux grandes puissances sont non grecques, ce qui pourrait paraître paradoxal. C’est sans doute une manière neuve de considérer l’hellénisation, d’autant plus que le colloque entend interroger cette notion et réfléchir à sa pertinence.

Pour cela il est décidé d’éviter un « point de vue romano centré » comme le disent les auteurs de l’avant- propos. C’est donc bien sous l’angle aussi de la diversité géographique que se situe ce colloque navigant dans le bassin de la Méditerranée occidentale. Le but n’est pas d’homogénéiser les propos car, de toutes façons, il y a forcément des différences entre les zones étudiées à la fois en terme chronologique ou spatial.
Le colloque invite par ailleurs à croiser au maximum les sources littéraires, archéologiques ou encore numismatiques.

Trois sous thèmes organisent ce volume : espaces du pouvoir, pratiques militaires et culture et religion. Le premier thème rassemble à lui seul la moitié des communications.

Logiquement, le volume commence par une étude du concept d’hellénisation. Il est à interroger et il faut bien avoir conscience que les échanges d’influence culturelle se faisaient dans plusieurs sens. C’est l’objet de la communication liminaire de Mario Lombardo. Jean-Louis Ferrary montre qu’il ne faut pas oublier non plus que nos sources sont avant tout grecques et romaines. Aussi est-il difficile d’être catégorique sur d’autres peuples : « La recherche doit elle mettre l’accent sur les revendications identitaires de ceux qui n’étaient ni Romains, ni Grecs..? ». La question de l’identité est donc à manier avec précaution. Pour s’en rendre compte on peut évoquer le cas des cités grecques de Sicile face à l’intervention romaine. Quelle a été leur attitude ? : la question est déjà délicate en terme de source. Néanmoins à étudier le thème, on s’aperçoit que l’on doit penser la Sicile au pluriel et qu’il existait donc des « identités siciliennes. »

Plusieurs communications montrent que l’on constate une appropriation sélective de la culture grecque mais sans renoncer totalement à la culture romaine. Ainsi l’identité peut se créer en ayant comme point de comparaison en quelque sorte la Grèce, c’est-à-dire  » en utilisant avec liberté l’extraordinaire boîte à outils matériels mais aussi conceptuels que fournissait le contact avec la culture grecque ». L’hellénisation est donc sélective et créative : voici les deux idées essentielles maintes fois prouvées dans les différentes communications. Quand un élément grec est adopté, il est en fait, selon les cas, romanisé, ou ibérisé. Ainsi Henri Tréziny traite de la question de « Marseille et l’hellénisation du Midi : regards sur l’architecture et l’urbanisme de la Gaule méridionale à l’époque hellénistique ». Il montre qu’il est difficile de définir de véritables emprunts au monde grec en matière de fortification. Il souligne aussi la complexité de l’hellénisation de la Gaule méridionale car elle fut à la fois limitée et tardive. De plus, on a tendance à se focaliser sur Marseille alors que la ville constitue dans la zone un cas sans doute un peu à part du fait d’une alliance entre conservatisme et ouverture.

Le cas espagnol illustre bien aussi la diversité à travers le cas de l’architecture : ainsi on doit déjà distinguer deux aires culturelles différentes pour l’analyse. Dans le sud, il y a une tradition d’urbanisme plus ancienne et on remarque une influence phénicienne. En revanche cette tradition est très faible dans le nord. Ce sont les modèles du sud de l’Espagne qui se sont répandus mais souvent sous des formes transformées.

Ajoutons que même sur des questions apparemment tranchées, on peut découvrir d’autres facettes. Ainsi, Sandrine Crouzet s’attache, elle, à la relation entre Caton et Carthage afin de souligner qu’il faut aller plus loin que la simple volonté de destruction du premier envers la seconde. Ce que Caton connaissait de Carthage, il le devait notamment à des lectures grecques mais cela allait plus loin. L’auteur montre que Caton se méfiait de l’adoption de toute pratique grecque car cela risquait de remettre en cause l’identité romaine. Son objectif était d’abaisser le prestige des Puniques et aussi de réduire celui des Grecs, mais il considérait les premiers encore plus négativement car ils avaient, selon lui, des défauts « proprement puniques ».

Puis on aborde l’hellénisation comme pouvant servir d’instrument de puissance, comme en quelque sorte un signe de distinction. On se situe aussi au moment où sont ébranlées les aristocraties traditionnelles, elles qui étaient généralement les premières touchées par le phénomène d’hellénisation. L’étude de la période en est d’autant plus intéressante. Que constate-t-on alors ? Jean-Christian Dumont s’intéresse au théâtre comme cheval de Troie de l’hellénisme à Rome.

Le théâtre est en lui-même un « fait d’hellénisation », mais il pouvait également introduire à Rome des idées grecques. Dans religion et hellénisme à Carthage, Khaled Melliti montre le rôle de l’oligarchie carthaginoise dans les évolutions du panthéon. Celle-ci recherche un équilibre qui réponde à la fois aux besoins privés et en même temps à la nécessité d’intégrer une dimension grecque. Elle ne doit néanmoins pas aller trop loin car la religion doit servir avant tout à consolider le pouvoir de l’oligarchie. Corinne Bonnet s’intéresse à l’hellénisation de Carthage et entreprend de reconsidérer le dossier. Elle souligne combien est vain le jeu de repérer ça et là des traces d’hellénisation.

Cet ensemble de faits doit être soigneusement contextualisé et ne pas servir seulement d’exemple à l’appui du phénomène global d’hellénisation. Alors certes il y a  » perméabilité de la religion punique aux influences grecques » mais il faut se rendre compte qu’en traitant cette question, on aborde d’autres dimensions comme les échanges culturels dans les deux sens et qu’il faut donc une fois encore se méfier de la façon dont est montrée la culture punique. E. Truszkowski termine ce volume en évoquant la sculpture votive dans la péninsule ibérique. Elle évoque le cas d’un sanctuaire où l’on constate que les guerres puniques ont permis l’arrivée de nouveaux objets aboutissant à une imitation de drapés hellénistiques. La guerre apportera donc des nouveautés mais ne remettra pas finalement en cause la structure de l’ex-voto dans cette région. C’est une autre façon de résumer combien diversité régionale, intensité du processus d’hellénisation doivent être conjugués pour espérer mieux approcher les réalités antiques.

Au total il s’agit donc d’un livre spécialisé qui, comme tout colloque, s’attache à des points très précis. Néanmoins la problématique générale et quelques communications peuvent offrir un utile aperçu sur le renouvellement qui touche aujourd’hui la question de l’hellénisation et de façon plus générale celle de la construction de l’identité.

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