CR de Patrick MOUGENET
Une trentaine de communications composent cet imposant ouvrage et rendent compte, deux années après sa tenue, du colloque « Les Républiques en propagande ». L’équipe de coordination, composée de Denis Rolland, de Didier Georgakakis et Yves Déloye augure d’une collaboration entre le Groupe de sociologie politique européenne-PRISME (IEP Stasbourg, Université Robert Scuman) et le Centre d’Histoire de Science Po (IEP Paris) et donne le ton : faire bénéficier les historiens des acquis des autres sciences sociales (et réciproquement…) et opérer des croisements méthodologiques entre historiens, politistes, sociologues et anthropologues.
République
République

Trois temps sont annoncés par Denis Rolland pour envisager les mécanismes de la propagande dans les républiques : une problématique générale, la propagande d’Etat et la propagande des groupes et des médias. Un plan finalement plus clair et plus opérationnel que celui qui figure en table des matières, composé de sept parties, au demeurant fort inégales et déséquilibrées.

L’originalité réside vraisemblablement dans la première partie : une table ronde autour de laquelle se succèdent les approches problématiques historiques et politiques. Le hiatus de départ est de taille : Les républicains rejettent l’idée de la propagande mais en même temps la pratiquent efficacement. Les deux termes sont abondamment discutés, pesés : république et propagande. Deux termes a priori antinomiques. Propagande : un mot tabou dans un contexte politique pluraliste. Une connotation péjorative dans le registre de l’insulte politique. A ce propos,

Marc Hecker livre un exemple intéressant qui se rapporte à la Guerre du Golfe de 1991. Les images qu’on a pu voir à la télévision provenant de sources irakiennes étaient sous-titrées « images de propagande irakienne » alors que celle de sources américaines n’étaient pas sous-titrées dans un premier temps, et simplement estampillées de mentions du type « images fournies par l’état-major nord-américain » à la fin de la guerre : le terme de propagande n’est là jamais employé…
Pourquoi ne pas lui préférer « communication politique » … qui ferait plus « républicain » ? Les régimes autoritaires ont en effet usé et abusé de la propagande… qui tiendrait donc de l’histoire des autres, des totalitarismes… Précisément non : au cœur de la volonté de ce colloque : exclure la propagande en régime autoritaire. Les études des années 1950/1970 de Tchakhotine, Domenach ou Ellul ont en effet systématiquement campé la propagande dans le totalitarisme. D’où l’effort méthodologique présent, les nombreux questionnements des intervenants dans un contexte démocratique : comment réfléchir au statut de la propagande dans un contexte républicain ?

Quel type de propagande est à l’œuvre au sein des pays à pratique politique pluraliste ? La propagande dans ce cadre politique utilise-t-elle des instruments similaires à celles des contextes autoritaires ? À partir de quel moment la tentative de persuasion entre-t-elle en contradiction avec les principes mêmes de la démocratie ? Quelles peuvent être les approches problématiques, historiques, politiques de la propagande ? Beaucoup de questions posées, beaucoup d’incertitudes avancées mais toujours très stimulantes. Au final, Christian Delporte se risque à une définition globale : « un système d’influence destiné à faire agir », que ce soit au profit d’un gouvernement, des intérêts publics, ou des intérêts privés, par des vecteurs partisans ou des canaux plus neutres. Robert Franck complète : on peut sortir du registre péjoratif en envisageant non des mécanismes de manipulation, mais simplement de mobilisation et de transformation des esprits. Jean-François Sirinelli précise que la place accordée à l’individu dans la masse, et non à la masse, comme dans les régimes totalitaires, est une préoccupation fondamentale de l’émetteur. Au fil des interventions, chacun s’accorde à repérer de la propagande sa production, ses émetteurs, ses circuits, son langage, son contenu, sa médiation, sa cible et sa réception. Un canevas méthodologique en quelque sorte qui sous-tend chacune des communications des parties suivantes.

Des contributions qui concernent des espaces politiques différents (Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Etats-Unis, Portugal, Brésil, Mexique, même si la France occupe les deux-tiers des interventions), des approches chronologiques qui démarrent à la fin du 19ème siècle jusqu’à la Guerre du Golfe,
Tous les aspects de la propagande sont abordés : politique, économique, religieuse, culturelle. A l’intérieur (à l’instar de Sophie Masse qui, à travers le référendum français de 1969 analyse les moyens et les limites de la propagande gaulliste), comme à l’extérieur (à l’exemple de Marie-Jo Ferreira qui montre comment la propagande de jeune république du Portugal en direction de la colonie portugaise monarchiste du Brésil tente, entre 1910 et 1912, de faire d’elle un relais du discours nationaliste républicain).

De nombreux thèmes et vecteurs sont mis en valeur : les colonies, les mères, la montagne, les cartes postales, l’Eglise catholique, la presse, le cinéma… L’action de personnages clés est mise en avant : Ernest Pezet et Paul Doumer en France, Adenauer en Allemagne.
Des pôles de production, étatiques ou pas, de la propagande sont éclairés : ministères, office de colonisation, agence économique des colonies en France, Office War of Information aux Etats-Unis, groupes politiques (Front National depuis les années 1970), associations paraétatiques (le SAC, groupe de pression du gaullisme conservateur analysé par François Audigier) ou non.

Le recours à la propagande en République est important dans deux types de moment de son histoire :
– les moments de fondation ou refondation républicaine. Giulietta Faiella-Ait Lamara montre par exemple le rôle de la propagande anti-communiste dans l’Italie en reconstruction (1947-1958). Transmise par l’intermédiaire de l’Eglise d’une part, qui mène un combat de terrain, « une propagande par le bas », en étant présente au plus près des citoyens, et de l’Etat d’autre part qui exerce tout à la fois une vigoureuse censure pour étouffer le message communiste et un contrôle très poussé des moyens de communication, leur propagande synchronisée présente le communisme comme un ennemi insidieux, rusé et mettant en péril la démocratie même.
– les moments traumatiques : guerres mondiales, guerre froide, guerres coloniales, guerre du Golfe. Anne Morelli, qui ancre sa communication dans la Grande Guerre, énumère ainsi les procédés de propagande des républiques en balayant un siècle de conflits à la lumière des mécanismes mis au jour par le pacifiste Arthur Ponsonby en 1928, qu’elle décline en « dix commandements » largement appliqués par les républiques :

1/ Nous ne voulons pas la guerre.
2/ Le camp adverse est le seul responsable de la guerre.
3/ Le chef du camp adverse a le visage du diable.
4/ Masquer les buts réels de la guerre sous de nobles causes.
5/ L’ennemi provoque sciemment des atrocités, si nous commettons des bavures, c’est involontairement.
6/ L’ennemi utilise des armes non autorisées.
7/ Nous subissons très peu de pertes, les pertes de l’ennemi sont énormes.
8/ Les artistes et les intellectuels soutiennent notre cause.
9/ Notre cause a un caractère sacré.
10/ Ceux qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres.

Que dire des effets de la propagande ? Didier Georgakakis voit son succès « dans la capacité du personnel politique à se saisir des représentations suffisamment structurées et stables ». Ainsi en dehors des moments historiques évoqués plus haut, en dehors des campagnes électorales, la propagande peut contribuer à la « production de représentations politiques durables ». C’est ce qu’a par exemple montré Christel Sniter à travers le Monument aux Mères françaises érigé à Paris dans l’entre-deux-guerres. Il fut tout à la fois au cœur des célébrations officielles natalistes de la Troisième république, des autorités de Vichy… comme des contre-manifestations occasionnelles des femmes communistes en 1942 et 1943 ou des mouvements féministes en 1971.

Patrick MOUGENET
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