Ce livre est un récit des voyages de Gilles Kepel dans le pays arabes en 2011 et 2012, rédigé au printemps 2013, ce qui permet de raccrocher ce récit à l’actualité et d’éclairer les allusions.
Je connais Gilles Kepel par ses activités à l’école doctorale de Sciences-Po, où il a « hérité » d’au moins un de mes étudiants de l’ESCP et pour l’avoir écouté plusieurs fois, notamment présenter son livre « 93 » sur les banlieues françaises. Il intervient sur le monde arabe ou musulman dans de nombreux médias.

Ce livre est un récit des voyages de Gilles Kepel dans le pays arabes en 2011 et 2012, rédigé au printemps 2013, ce qui permet de raccrocher ce récit à l’actualité et d’éclairer les allusions.
Ce voyage combine des impressions visuelles, très détaillées et fort utiles, et des interviews de personnes de toutes tendances, du notable politique au citoyen de base (l’auteur parle plusieurs niveaux d’arabe, en plus de l’anglais et du français). Au passage, je note une fois de plus que signaler la langue de l’interlocuteur et l’étymologie de certains termes est fort éclairant, comme je le ressasse au médiateur du Monde dont les journalistes omettent toujours de nous renseigner sur ce détail important. Ce livre en illustre la grande utilité : arabe rhétorique, coranique, dialecte de tel pays ou de telle région, qui dévoile parfois une origine inattendue, niveau populaire, argotique ou soutenu, sans parler du choix de s’exprimer en français ou en anglais.

Les Clionautes savent que je me tiens informé des évolutions de ces pays, tant démographiques, qu’économiques, politiques et religieuses. De plus je suis allé fouiner dans une bonne parie d’entre eux. J’ai donc apprécié les précisions, les allusions et les portraits qui y foisonnent.

On ne peut résumer un récit qui vaut par l’accumulation des détails. Disons d’abord qu’il confirme la multiplicité des convictions et des attitudes : chrétiens, druses, chiites et surtout sunnites : salafistes plus ou moins brutaux et plus ou moins « clients » de l’Arabie, Frères Musulmans plus ou moins démocrates, au moins dans le discours, et clients du Qatar, démocrates plus ou moins sécularisés, profiteurs des anciens ou nouveaux régimes, réminiscences de l’époque coranique ou soixante-huitarde (l’international a sauvé l’auteur du vase clos gauchiste de sa jeunesse).
Disons aussi qu’il ne verse pas dans les diverses « théories du complot » et autres délires qui envahissent Internet et proviennent parfois d’acteurs (Etats compris) que l’on aurait supposés plus sérieux.

Je vais me borner à trois points parmi mille autres :
– Le chaos semble aux Libyens infiniment préférable aux horreurs du régime précédent, ce qui explique leur enthousiasme pour l’intervention de la France puis de l’OTAN.
– la reconversion des marxistes en islamistes, patente depuis plusieurs décennies chez de nombreux intellectuels de divers pays, est une fois de plus constatée (je crois comprendre que passé athée et présent religieux ont en commun une dialectique poussée et un parfum « révolutionnaire », sans parler du délicieux sentiment de supériorité de se croire « dans le sens de l’histoire »).
– Le saccage d’une grande partie de ces pays, sous l’effet combiné de l’explosion démographique, des destructions (guerres civiles en, violences de toutes sortes) et des afflux de réfugiés, et la disparition corrélative de terres agricoles, des ruines antiques et des constructions élégantes des périodes qui ont suivi jusqu’à tout récemment. Le lecteur comprend que le saccage est également dans les esprits et dans les mœurs.

Bref, ce livre est une excellente occasion d’initiation aux acteurs et mentalités dont les déclarations et les actions envahissent nos médias. Ou d’approfondissement à toujours recommencer.