Un regard, une épopée, comme le souligne le sous-titre, sur l’évolution de l’agriculture et du monde rural au cours du XXe siècle. Ce livre qui a inspiré un documentaire, est en phase avec l’air du temps. Un moment où on s’interroge à la fois sur ce que l’on va manger et sur la qualité des paysages.
Les auteurs ont souhaité mettre en avant le témoignage des agriculteurs, des paysans d’hier à aujourd’hui notamment grâce à de nombreuses photographies qui font écho au texte.
Chaque période s‘ouvre sur un court témoignage, un paysan d’aujourd’hui évoque sa famille paysanne. Le texte de synthèse qui suit est assez général, un résumé destiné au grand public illustré de photographies. On peut regretter que le choix de reproductions sur deux pages les rendent peu lisibles.
Où on entend la parole paysanne 1880-1914
Les archives de la ferme d’Emmanuel Delacour dans le Vexin introduisent de premier chapitre. On y voit une main-d’œuvre nombreuse, l’association céréales- betteraves et élevage ovin et déjà un début d’industrialisation avec la distillerie qui traite la betterave ; une exploitation assez peu représentative des fermes de la fin du XIXe siècle.
Les photographies disent le regard des élites sur une paysannerie perçue comme archaïque ou gardienne du passé. La parole paysanne est incarnée par des « écrivains-paysans » comme Emile Guillaumin.
Les auteurs montrent un monde rural peuplé, même si l’exode rural est bien entamé, diversifié selon les régions et qui commence à changer : circulation des marchandises, débuts de la sélection animale, des progrès et des crises (crise viticole de 1907).
Comment la guerre peut changer les hommes 1914-1939
C’est bien sûr la saignée de la guerre qui marque la période. Si le soldat-laboureur est présent dans les discours politiques la remise en culture, en particulier dans la moitié nord, est longue et difficile. La modernisation du monde rural se poursuit : eau courante et électricité progressent lentement dans l’entre-deux-guerres. Les paysans s’organisent en coopératives et syndicats (association des producteurs de blé en 1924). La crise de 29 frappe un monde agricole mal remis de la guerre. Premières interventions de l’État : Création de l’office national du blé sous le Front Populaire.
Les auteurs abordent les choix et les engagements politiques de la paysannerie : parti agraire et paysan, Confédération générale des paysans travailleurs.
Quand tout ce qu’on produit était réquisitionné 1939-1950
Le « retour à la terre » et la politique vichissoise ouvre ce chapitre. Une paysannerie unie et garante des traditions transparaît dans les discours.
Les auteurs montrent ensuite le rationnement, le marché noir et les colis à la famille installée en ville. La naissance des maquis pour répondre au STO n’est pas sans conséquences dans les relations avec les paysans. Pourtant ils ont aussi été nombreux dans les rangs de la Résistance (intéressant extrait du journal La Terre).
La fin de la guerre n’est pas synonyme de fin de la crise du rationnement, mais le Plan Marshall apporte les premiers tracteurs.
Le monde rural après 1945 évolue sous la poussée des mouvements de jeunesse : la JAC.
Êtes- vous modernes ou anciens ? 1950-1970
Une phrase de Bernard Ronot, paysan de Côte-d’Or résume l’époque et la commande sociale : « Le monde avait faim, faut pas l’oublier » (p. 115).
Ces deux décennies sont marquées par des évolutions rapides : adoption du tracteur, multiplication de l’emploi des engrais, développement des produits phytosanitaires, sélection végétale et animale, remembrement. Dans le domaine social aussi les choses évoluent, comme l’a montré le livre d’Henri Mendras paru en 1967, La Fin des paysans : premières vacances, évolution de l’habitat, recul de la cohabitation intergénérationnelle (peu évoquées et pourtant quelle révolution).
C’est aussi l’essor de l’enseignement agricole et les grandes manifestations organisées par la FNSEA.
Savez-vous combien on gagne ? 1970-1990
De l’agriculteur au chef d’exploitation : la taille des exploitations augmente, la production à l’hectare aussi, une agriculture qui s’industrialise. Si la politique du gouvernement français est rapidement évoquée, rien ou presque1 sur la PAC et le rôle de l’Europe, un manque criant.
Les auteurs parlent de la perte des savoir-faire du passé et des résistances à ce nouveau modèle, sans mentionner au côté de la FNSEA les autres syndicats agricoles comme la Confédération paysanne ou le MODEF. Ils insistent, à juste titre, sur l’endettement croissant et les drames qu’il a occasionnés.
Les nouveaux habits du paysan 1990-2020
Face aux limites du système productiviste (veaux aux hormones, vache folle, glyphosate) pour produire des matières premières à bas prix la demande sociale a évolué. Les mouvements écologistes et les effets du réchauffement climatique accentuent la pression sur le monde agricole. De nouvelles formes d’agriculture se développent comme l’agriculture biologique (pourtant apparue en France au début des années 1950).
En guise de conclusion : « Produire en préservant les sols et l’environnement, tel est le défi que doivent relever les paysans d’aujourd’hui et de demain »(p. 199)
Un ouvrage a proposé à celles et ceux qui ne connaissent rien à l’histoire du monde agricole comme première approche.
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1 Une mention à propos des quota laitiers en 1983