Dans la masse d’ouvrages qui sont publiés à l’occasion du centenaire du début de la première guerre mondiale, ce recueil de photographies issues du fonds de l’Agence France-Presse, présente l’intérêt de rassembler les tirages d’un médecin psychiatre, affecté, à sa demande, au 23e régiment d’infanterie pendant toute la durée de la guerre. Comme beaucoup de soldats de la Grande guerre, mais surtout des officiers, la pratique de la photographie relève d’une tolérance de la hiérarchie militaire. Officiellement, il est interdit aux combattants de la guerre de photographier lorsqu’ils se trouvent au Front, mais dans la pratique cette disposition est difficile à faire appliquer. Les photographes amateurs sont légion dans différents régiments, d’autant plus qu’Adam possède un appareil Kodak, appelé le vest pocket, qui, comme son nom l’indique, est destiné à être porté dans la poche de veste. Cet appareil qui représente en volume un peu plus de deux paquets de cigarettes comporte un dispositif à souffler qui permet d’effectuer la mise au point sur l’objectif.

Les images prises par ce médecin, qui a quitté l’asile de Charenton pour partir au front dès le 3 septembre, ont été prises sur l’ensemble des champs de bataille du 23e régiment d’infanterie, de la campagne d’août septembre 1914 à la dernière offensive de septembre novembre 1918.

Un fond d’images rares

Les fonds d’images sont extrêmement nombreux sur la Grande Guerre, et il arrive encore que des fonds inconnus sortent des greniers, mais l’intérêt des photos de Frantz Adam est qu’elles s’inscrivent dans la longue durée, et traitent des différents aspects de la vie à l’arrière comme en première ligne. Beaucoup de ces photos sont légendées, elles ne sont pas toutes prises par Frantz Adam, puisque lui aussi pratique l’échange de photographies avec ses camarades.

L’ouvrage présente des photos pleines page, prises avec un appareil portable de 6 cm sur 12, ce qui donne à ces images un cadrage particulièrement étonnant. Dans la postface de cet ouvrage, Alain Navarro présente les conditions de ces photographies de guerre, dont certaines ont d’ailleurs été vendues au journal illustré l’Illustration.

Ce photographe amateur qui dispose, les clichés publiés le démontrent, d’un sacré sens du cadrage et du coup d’œil, se garde bien de tout voyeurisme. Il se refuse, écrit-il dans son journal, à s’attarder sur des scènes de blessés ou sur des cadavres. Il essaie de montrer par contre avec beaucoup d’empathie les acteurs de cette tragédie. Ce sont véritablement des photographies de la vie quotidienne, prise sur le vif, des scènes parfois intimes comme cette vaccination de femmes à l’arrière. Les personnages se prêtent volontiers à l’objectif du photographe comme à Saint-Jean-d’Ormont en avril 1915. Pour cette scène prise dans un cabaret, Frantz Adam a utilisé le flash au magnésium avec une incontestable maîtrise technique d’ailleurs. On le comprend aisément, les scènes à proprement parler de combat sont particulièrement rares. Lorsque le régiment se trouve engagé dans le secteur de Verdun, l’auteur insiste sur des paysages dévastés par l’intensité des bombardements.

Un humaniste photographe

Parmi les clichés exceptionnels, on retrouve cet intérêt du photographe pour les troupes alliées, et notamment les gurkhas de l’armée des Indes, qui ne sont d’ailleurs pas identifiés en tant que tel par les auteurs de l’ouvrage. Les prisonniers de guerre allemand sont photographiés avec une certaine empathie, témoin cette scène où un prisonnier amaigri communique avec des soldats français.

Parmi les scènes plutôt rares, on trouve ces témoignages des pillages commis par l’armée allemande, avec la découverte d’une caisse à grenades prête à être expédié en Allemagne contenant des ornements sacerdotaux prélevés dans une église. L’intérêt de ces clichés est qu’ils sont classés, dans des enveloppes jaunes sur lesquels l’auteur appose différentes mentions ainsi d’ailleurs que des préoccupations en matière de tirage. Ce sont ces négatifs que le petit neveu par alliance de Frantz Adam a fini par retrouver en 2005 et qui sont aujourd’hui livrés au public. Avec une belle qualité de reproduction, ces photos rappellent aux fanatiques de la photo numérique que le véritable talent ne se trouve pas dans l’électronique mais dans le regard du photographe. Incontestablement, bien qu’il soit photographe amateur, Frantz Adam est un véritable photographe de guerre.

Bruno Modica