Paul Claval, 84 ans, se livre ici à un monumental retour rétrospectif sur son travail éditorial. Cette réflexion est d’autant plus précieuse que sa carrière ne se résume pas facilement. Véritable touche-à-tout, il a renouvelé la géographie contemporaine et aucun domaine ne semble lui avoir échappé, ayant mis en pratique le principe du « braconnage mitoyen » (p. 8), expression employée par Isabelle Lefort dans la préface. C’est pour faire comprendre le cheminement qu’il a suivi qu’il a engagé ce travail. C’est aussi une manière de montrer que ce dernier n’a pas été vain, même si le fait d’avoir exploré des domaines très différents a nuit à sa visibilité académique.

Au commencement était…

« Mon ambition était de comprendre comment la planète était organisée, les paysages ordonnés, les activités distribuées et les hommes installés à la surface de la terre ; elle était de reconstituer les dynamiques à l’œuvre dans la nature et dans les sociétés, et d’éclairer les problèmes qui s’y posaient. Il fallait pour cela disposer d’outils efficaces. Cela impliquait que l’on rende plus performantes la géographie en général et la géographie humaine en particulier. » (p. 11) Insatisfait de la géographie (« une collection de chapitres mal connectés » p. 11) qu’on lui avait enseignée, une fois l’agrégation en poche, il s’est attelé, grâce à sa bonne maîtrise de l’anglais, à restructurer la géographie en s’appuyant sur la littérature anglo-saxonne.

Repenser la géographie pour la rendre opérationnelle

Telle a été la maxime de Paul Claval ! Supportant mal que les économistes, ne connaissant rien à l’aménagement du territoire, raflent les programmes de recherche subventionnés par la DATAR, il estime indispensable de connaître ce qui se faisait en économie, et pour cela de lire tout ce qui se faisait dans ce domaine – Paul Claval retrace, tout au long de son ouvrage, par le détail la trame de ses lectures et ce qu’elles ont apportées à sa pensée. Ce fut un travail de longue haleine puisque douze ans furent nécessaires pour élaborer les Éléments de géographie économique, 1976.

C’est par l’histoire de la géographie qu’il a approché la géographie humaine et compris ce qui devait lui permettre de se renouveler. « La Nouvelle Géographie se distinguait de la géographie classique par l’attention qu’elle accordait à la circulation. L’espace était pour elle obstacle au transport et à la communication, distance donc, avec ses aspects positifs (…) et ses aspects négatifs. » (p. 48) Les budgets temps/espace, les agendas et les rôles devaient permettre de moderniser le genre de vie comme Principes de géographie sociale, 1973. C’est à partir de là qu’il s’est intéressé aux dimensions politiques de la vie sociale et a été amené à réfléchir sur la géographie politique.

Au milieu de ces innombrables lectures et de la fréquentation de colloques (dont ceux de l’IGU, pour prendre le pouls de ce qui se fait ailleurs), Paul Claval trouve encore le temps d’aller se promener avec son épouse géographe Françoise dans les environs de Besançon et en Suisse. « C’est à l’échelle de la ville et de la campagne voisine que je voyais changer le monde » (p. 87) Ce constat l’amène à réfléchir à La logique des villes, 1981 en mettant à profit les travaux de Christaller et ceux de l’École de Chicago et pour répondre à une demande de sa femme : « juillet 1978 : « Peux-tu m’écrire cet été le manuel sur la ville dont tu parles tant ? Je l’utiliserai pour mon cours ». Je m’exécutai. » (p. 98) !

Et Paul Claval de conclure cette première phase de sa carrière : « Une nouvelle structuration de la géographie économique avait été proposée et les principes de toute géographie sociale soulignés ; la géographie humaine était devenue plus rigoureuse, un nouvel angle d’attaque pour la géographie politique avait été mis en œuvre, la logique des villes analysée et l’approche régionale modernisée. » (p. 125) Il allait pouvoir passer à la seconde phase de son œuvre :

L’approche culturelle

Là encore, les Etats-Unis jouent un rôle central dans ce tournant suivi par Paul Claval. Il s’intéresse aux travaux de Kévin Lynch et aux cartes mentales. Les travaux de Yi-Fu Tuan sur la topophilie et les représentations lui font prendre conscience qu’un changement de perspective est en train de s’opérer, dans le contexte d’un rejet d’une analyse spatiale trop théorique. L’évocation de cette « crise de la géographie » (plus particulièrement marquée en France) est propice à rappeler ses désaccords avec Roger Brunet au sein de la revue L’espace géographique. Il a joué à fond ce « rôle de passeur » (p. 233) dans le contexte des « deux tsunamis qui ont bouleversé la géographie depuis la fin des années 1950, celui de la Nouvelle Géographie puis celui du tournant culturel » (p. 234) (expression dont il est le premier à faire usage en 1985). La géographie culturelle fait la synthèse de ces changements en s’intéressant à des champs variés, à « l’habiter plutôt qu’au produire » (p. 240). Aujourd’hui encore, Paul Claval estime n’avoir pas totalement exploré les tenants et les aboutissants de cette approche : « C’est pour cette raison que j’écris la seconde partie de cet ouvrage au présent, alors que la première l’est au passé ! » (p. 135). La suite reste à écrire !

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes