L’ouvrage que Christophe Stener consacre à ce personnage mal connu des historiens et à la réputation sulfureuse a été proposé, en vain, à des éditeurs largement présents sur la place. Il a dû se résoudre à l’auto édition. L’absence d’intérêt des éditeurs « institutionnels », est d’autant plus surprenante car, en 2016, la possibilité de publier Mein Kampf, assorti d’un large appareil critique, aurait permis de faire le lien entre la formation de la pensée du Führer pendant son séjour en prison et le climat intellectuel qui pouvait régner au sein de l’aristocratie dont Unity Milford était l’une des représentantes.
Unity Mitford est la fille de David Ogilvy Freeman-Mitford, deuxième baron Redesdale, un éminent représentant de l’aristocratie britannique, qui a eu avec son épouse, Sydney Bowles, six filles et un garçon. Sydney Bowles était la fille de Thomas Gibson Bowles, fondateur des magazines The Lady et Vanity Fair.
Si l’on sait peu de choses de Thomas Mitford, les six filles ont pu défrayer la chronique dans différents domaines.
On peut en juger sur la présentation ci-dessous :
- Nancy (1904-1973), romancière à succès publie À la poursuite de l’amour et L’Amour dans un climat froid. Elle était la compagne de Gaston Palewski, fidèle du général De Gaulle et compagnon de la libération.
- Pamela (1907-1994) a été une militante engagée dans la défense des animaux.
- Diana (1910-2003) épouse en premières noces Bryan Guinness, deuxième baron Moyne et héritier des brasseries Guinness. Elle vit une passion torride avant d’épouser Sir Oswald Mosley, militant fasciste britannique. Elle a eu un rôle important dans la formation de la trajectoire politique de sa jeune sœur.
- Jessica (1917-1996) a adhéré au parti communiste britannique et a même rejoint l’Espagne pour participer à la guerre civile dans le camp républicain. Elle épouse son cousin Esmond Romilly, neveu de Winston Churchill, abattu par l’aviation allemande au-dessus de la mer du Nord, en 1941. Remarié aux États-Unis avec un syndicaliste américain, elles s’engage dans la défense de la cause noire.
- Deborah (1920-2014) épouse en 1941 Lord Andrew Cavendish (1920-2004), duc de Devonshire, neveu du Premier ministre Harold Macmillan et petit-fils de Victor Cavendish, gouverneur général du Canada.
Cette trajectoire familiale dans laquelle nous n’avons pas encore commencé à évoquer la groupie d’Hitler qui est le personnage central de l’ouvrage donne tout de même une idée des formes d’engagement assez éclectiques et du climat intellectuel qui pouvait régner dans cette famille de la gentry britannique. Disposant de parts dans l’industrie minière canadienne, cette famille était à l’abri du besoin et pouvait se consacrer sans difficulté aucune à toutes ses passions ou à toutes ses lubies, comme on voudra.
Cette famille aristocratique était aussi liée à Winston Churchill, duc de Malborough, ce qui n’est pas forcément dénué d’intérêt pour comprendre la trajectoire de la quatrième des sœurs Mitford.
Le livre se présente comme une succession de trois textes différents, le plus important étant un « vrai / faux » journal intime dans lequel Unity Walkyrie Mitford raconte son cheminement, de l’adhésion aux idées nationales socialistes à une intimité que l’on peut qualifier de morganatique avec Hitler.
La première partie de l’ouvrage est consacrée, sur une quarantaine de pages, à une synthèse sur les différentes rumeurs qui ont pu circuler à propos de la trajectoire de Unity Walkyrie Mitford. Les conditions de sa tentative de suicide en 1939 sont en effet assez peu claires, de même que son décès. Celui-ci aurait été imputable à la balle de petit calibre qui serait restée logée dans sa boîte crânienne pendant plus de huit ans, et qui aurait été la cause d’un handicap permanent sur lequel ces biographes s’interrogent encore.
La troisième partie de l’ouvrage est basée sur une série de rapports d’un agent de l’Abwehr, Moshe Lévy, alias Érich Müller, transmis à l’amiral Canaris, chef du contre-espionnage militaire. Ce dernier avait infiltré un de ses agents au sein du service de sécurité intérieure et de contre-espionnage politique créé et dirigé par Reinhard Heydrich, l’adjoint de Himmler, chef de la SS.
Cette partie du livre donne une idée du type de relations qui existaient entre les dignitaires du régime national-socialiste toutes marquées par la méfiance et des haines réciproques et cherchant bien entendu à se disputer les faveurs du Führer.
Dans ce jeu entre hiérarques du régime nazi, Unity Walkyrie Mitford n’est jamais qu’une pièce parmi d’autres, une jeune femme, plutôt attirante et qui trouve dans le nazisme un moyen de d’obtenir des sensations fortes. Quand on parle de sensations fortes il s’agit d’ailleurs clairement du don assez généreux de sa personne qu’elle pouvait faire aux jeunes SS qui formaient la garde personnelle d’Adolf Hitler.
Unity Walkyrie Mitford est sans doute influencée par le développement dans l’Angleterre de l’entre-deux-guerres de l’union des fascistes britanniques dirigés par Sir Oswald Mosley, son futur beau-frère dont elle avoue qu’il l’aurait faite femme sur le billard du château familial. L’anticommunisme, une forme de xénophobie à l’égard de tout ce qui n’est pas « so British » et qui conduit à l’antisémitisme, une certaine fascination pour la rigueur militaire prussienne sont, pour cet aristocrate, une façon de se distinguer des sentiments anti allemands d’une large partie de la population britannique.
D’un certain point de vue, la trajectoire de Jessica, sa jeune sœur qui adhère au parti communiste britannique, qui est loin d’être un parti de masse, et qui s’engage dans le soutien aux républicains espagnols, participe peut-être d’une volonté de s’affirmer, en choquant le plus possible les traditions conservatrices de la gentry anglaise.
Au fil de ce journal intime qui forme donc l’essentiel du journal on est à la fois amusé et horrifié de voir comment ce qui relève finalement d’un comportement de groupie peut conduire à adhérer à un mépris du genre humain abyssal et à une idéologie mortifère. Unity Walkyrie Mitford n’a aucun état d’âme lorsqu’elle assiste à des violences commises par les sections d’assaut contre les juifs dans la rue, n’est absolument pas choquée lorsqu’elle est informée des rumeurs qui circulent à propos de l’élimination des handicapés. Son obsession, qui la conduit à s’installer en Allemagne, et à en apprendre la langue dans un institut pour jeunes filles de Munich, est de rencontrer le Führer et de rentrer dans le cercle de ses intimes. Elle y parvient incontestablement en parvenant à éviter tous les écueils que l’on peut rencontrer dans la situation de favorite. Elle parvient, semble-t-il à ménager la susceptibilité de celle qui aurait pu être sa rivale, Magda Goebbels une autre égérie du Führer.
Elle essaye également de rentrer, par la petite porte, dans la grande politique, en essayant de trouver une solution pour empêcher l’éclatement d’un conflit entre le troisième Reich et l’Angleterre. Elle n’est d’ailleurs pas la seule au Royaume-Uni à trouver des justifications dans ce domaine. Parmi les sources d’inspiration de Hitler, il ne faut jamais oublier de mentionner Houston Stewart Chamberlain, écrivain britannique d’expression allemande qui avait trouvé aux Anglais comme aux allemands des racines aryennes communes qui leur donnaient donc une prééminence naturelle sur l’ensemble des peuples européens.
De plus, la politique d’apaisement conduite par les cabinets britanniques avant l’annexion par le Reich de la Bohème-Moravie, en mars 1939, pouvait parfaitement justifier dans l’opinion publique un retour à la politique du « splendide isolement », en considérant qu’après tout Hitler, une fois ses ambitions territoriales satisfaites au détriment de ses voisins, pourrait porter ses coups contre la Russie soviétique. Pour les Britanniques, rien de catastrophique, dans tout cela !
Et dans le journal intime de l’Unity Walkyrie Mitford, cette idée relève de la foi du charbonnier ; elle est persuadée que Hitler veut à tout prix éviter la guerre contre l’Angleterre, même en faisant des concessions, et qu’il est prêt à s’engager directement et dès 1939 dans un affrontement contre l’Union soviétique. Inutile de dire que le pacte Molotov Ribbentrop du 23 août 1939 a dû sacrément la perturber !
On appréciera également dans ce livre cette candeur naïve du personnage, y compris dans les aspects les plus intimes de sa vie, et qui ressent avec Hitler un orgasme par procuration avec le portrait du Führer au-dessus de son lit, fort fréquenté il est vrai.
Ses dialogue avec Hitler sont une tentative de reconstitution d’un personnage complexe, et que l’on a toujours pas fini de découvrir, à la fois manipulateur et naïf, trouvant dans la violence un exutoire sa frustration permanente, et qui n’était pas dupe pourtant des comportements de ses proches qui cherchaient à se disputer ses faveurs.
L’ouvrage est agréable à lire, on notera tout de même un nombre important de coquilles, un des inconvénients de l’auto édition, et il permet d’appréhender par le regard, encore une fois candide d’un personnage, le contexte intellectuel de la période 1930–1939, et d’entrer, encore une fois par la petite porte dans les révélations de la grande histoire.