Un jour du printemps 1972, alors âgé de 17 ans, Philippe Douroux écoute son père, qui a réuni la famille, déclarer : « J’ai à vous parler… pendant la Seconde Guerre mondiale, j’ai combattu aux côtés des Allemands… jusqu’à Berlin… » Ce père n’est donc pas ordinaire mais au-delà de l’oxymore, on aura saisi l’allusion à l’ouvrage pionnier de l’historien Christopher Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne (Paris, Les Belles Lettres, 1994, 284 p.), qui démontrait que des instituteurs, des dockers, des boulangers, tous Allemands ordinaires, souvent pères de famille, tous volontaires, étaient directement impliqués dans l’assassinat de plus de 40 000 personnes, hommes, femmes et enfants à l’Est.

Soixante plus tard, Philippe Douroux, journaliste, ancien rédacteur en chef de Libération et de Télérama, auteur d’une biographie du mathématicien Alexandre Grothendieck, décide de se lancer sur les traces de son père et de tous ces Français qui s’engagèrent dans la Légion des volontaires français contre le bolchévisme, puis qui acceptèrent d’intégrer la Waffen SS alors qu’il était évident que la guerre était perdue pour le Reich. Il nous livre aujourd’hui le récit de six années de recherche historique et d’investigation en Biélorussie. Dans une préface, l’historien du nazisme Johann Chapoutot, qui a suivi les recherches de Philippe Douroux, et est devenu son ami, souligne la rigueur de la méthode et l’importance des acquis. Philippe Douroux démontre, et c’est un acquis historiographique d’importance, que les Français de la LVF n’ont pas été cantonnés dans des activités de logistique et de services divers au sein de la Wehrmacht. Ils ont participé volontairement aux massacres des populations civiles dans le cadre de la lutte contre les partisans ; ils ont pratiqué des assassinats de masse. Ils ont aussi assisté à des exécutions de masse de populations juives dans le cadre de la Shoah par balles. De retour, ceux qui ont témoigné ont imposé un récit édulcoré d’où ces réalités étaient bannies et plusieurs ouvrages hagiographiques médiatisés ont conforté cette vision fausse et ajouté des vertus de courage aux assassins.

Un long travail de recherche et d’enquête

Davantage que d’un voyage historique sur les traces sanglantes de son père, il s’agit pour Philippe Douroux de « réfuter la thèse de l’inaction meurtrière des Français en Biélorussie pendant la Seconde Guerre mondiale ». Philippe Douroux considère en effet que le « roman national » affirme que « ces soldats venus de France ont eu le courage de combattre les hordes soviétiques prêtes à déferler sur l’Europe. Plongés dans une guerre d’extermination, ils n’auraient pas commis d’horreurs, pas pris part aux tueries de masse perpétrées à grande échelle sur le front de l’Est. Les « anciens » et les hagiographes ont construit un mausolée de papier, sans que les historiens contestent leur chimère ». Cette opinion, bien qu’elle soit reprise à son compte par Johann Chapoutot, me semble exagérée.

Philippe Douroux a accompli un gros travail d’historien en commençant par inventorier et analyser les sources primaires disponibles. Il a exploré les archives policières et judiciaires françaises (Service historique de la Défense, Archives nationales, divers centres d’archives départementales), mais aussi les archives militaires allemandes (Militärarchiv de Fribourg-en-Brisgau) ainsi que quelques rares mais précieuses archives privées. Il a sollicité l’aide logistique de Johann Chapoutot et de l’un de ses étudiants. Il a recensé et consulté (on trouve la liste dans une annexe bibliographique et filmographique) les travaux historiques (il est vrai peu nombreux), les ouvrages des mémorialistes, les ouvrages hagiographiques (pour l’essentiel ceux de Jean Mabire) et les œuvres littéraires, ainsi que quelques documents et films. Après plusieurs années de travail et une infinie patience après avoir amassé 55 526 références, il est parvenu à établir un fichier « des  10 000 collaborateurs armés passés soit dans la LVF, soit dans les Waffen SS », qui est aujourd’hui consultable au Mémorial de la Shoah. L’exploitation méthodique de ces sources lui permet de tracer de nombreux portraits précis et vivants de légionnaires.

Sa volonté de savoir et sa longue pratique du métier de journaliste le conduisent à ne pas se contenter de ce travail sur les sources : « Il faut aller sur place, voir les paysages, se poser à l’endroit même où ils ont vécu, dormi, mangé et tué tant de fois. Et qui sait, rencontrer des témoins capables de raconter ce qu’ils ont vu et ressenti aussi. » Le visa obtenu pour la Biélorussie, le voila donc parti avec un « fixeur » qui parle russe. Nous le suivons alors dans les forêts, à la recherche de quelques témoins octogénaires et de lieux improbables largement disparus. Il parvient cependant à retrouver les vestiges d’un camp de partisans et les témoignages de vieilles femmes, qui, enfants, ont assisté plus ou moins directement à l’incendie des villages et à l’assassinat des populations. Utilisant les cartes de la Wehrmacht, des documents militaires, des lettres de légionnaires, des témoignages de légionnaires revenus en France, il parvient à localiser des unités de légionnaires et à prouver qu’à une date précise, ils ont participé à telle ou telle opération de « nettoyage », c’est-à-dire de massacre de civils.

Ce travail est nécessaire car tous les mémorialistes de la LVF et de la Waffen SS ont eu pour règle de ne rien dire de ce qui pourrait entacher leur image. Ils ne disent rien des massacres, et pour la plupart prétendent ne pas avoir combattu : à les croire il y aurait eu dans la LVF une proportion énorme de cuisiniers, de chauffeurs, de brancardier, d’infirmiers. Quand ils ont combattu, c’est toujours avec une immense bravoure contre de sanguinaires bolchéviks qui terrorisaient les populations. Pour démonter ces mensonges et observer la réalité, il faut établir des faits.

Une étude historique sous la forme d’un grand reportage

L’ouvrage est structuré en 29 assez courts chapitres, précédés d’une préface et d’un préambule et suivis par des annexes comprenant les notes (les cotes d’archives sont toujours données), la bibliographie et la filmographie, ainsi que des précisions sur le devenir après la guerre de quelques légionnaires et SS évoqués dans l’ouvrage. La progression des chapitres est chronologique, ils racontent la formation de la LVF en France, le départ et la localisation des légionnaires, leur vie sur le front, leurs actions, leur intégration dans la Waffen SS quand la déroute s’impose devant l’avancée de l’Armée rouge en 1944, leurs combats dans les ruines de Berlin en avril 1945. Alfred Douroux, que tous appellent Freddy, apparaît finalement assez peu : sa jeunesse est peu détaillée, sa formation idéologique et politique, un peu plus, au début de l’ouvrage. Puis on l’oublie pendant plus de 200 pages car il intègre la LVF assez tard. Il sera désormais présent, mais il est loin d’être le seul personnage évoqué. Deux derniers chapitres nous apprennent ce qu’il devint après la guerre, indemne, peu condamné, vite amnistié, fidèle à ses amis anciens légionnaires,  et toujours aussi convaincu des bienfaits du nazisme et de la collaboration.

Chaque chapitre traite d’un moment, d’un lieu, d’une action, d’un homme, avec en filigrane, le récit de la progression et des difficultés de la recherche, et aussi parfois un thème un peu marginal par rapport à l’essentiel de la démonstration. Il lui faut beaucoup de persévérance, de déplacements, de déceptions, mais surviennent parfois quelques hasards heureux, comme la découverte d’un document qu’on n’attendait pas au cœur d’un carton d’archives, un témoignage de son père récupéré en 2022 auprès du fils d’un ancien de la Milice, ou d’une valise pleine des souvenirs collectés par Jacques Frantz et confiée par son fils. Une attention particulière est accordée aux diverses opérations de « nettoyage » auxquelles la LVF prit part, ou dont elle fut la seule exécutante. Les faits sont démontrés en même tant qu’est exposée la méthode qui a permis de les établir.

Freddy, pronazi, légionnaire, SS… innocent

« Alfred Douroux est mon père, je devrais l’appeler Papa, mais ça ne vient pas. » Il est né en 1920, dans un milieu de petite bourgeoisie parisienne. Il entre à l’école Boulle et apprend le façonnage du métal et le travail du bois. « Il n’a pas encore 16 ans et le gamin affiche ses convictions nationalistes dans la rue », et court applaudir Jacques Doriot qui pourfend le Front populaire. Pour comprendre son itinéraire vers l’adoption d’une idéologie nazie et l’engagement dans la collaboration militaire, Philippe Douroux dispose de peu et essaie de reconstruire un environnement intellectuel (il a recours aux « peut-être », « suppose »), sur fond de Louis-Ferdinand Céline, de Ramon Fernandez, de Pierre Drieu la Rochelle, de Jacques Chardonne et de Raymond Brasillach. Freddy n’est pas un soldat égaré, il cite lui-même ses inspirateurs : Ernest Psichari, « étonnante figure de la droite nationaliste, défenseur d’une nation chimérique, pure et sans mélange », Henry de Montherlant, Blaise de Montluc, grand massacreur au temps des guerres de religion, Ernest Jünger, thuriféraire de la bestialité brute dans la guerre.

Il s’engage dans la LVF le 27 mars 1943, quand commence le repli pour les forces du Reich. Il se fait deux camarades avec lesquels il va combattre durant deux ans, et qui resteront ses amis tout au long de sa vie. A Guéret, il n’y a pas d’armes et l’entrainement ressemble à un camp de boy-scouts. « Admis comme légionnaire de 2e classe, le point zéro de l’échelle, le 27 mars, il devient caporal, sous-officier, le 1er juillet 1943, arrive en Pologne au début du mois de septembre et endosse l’uniforme de la Wehrmacht le 10 septembre. En décembre, arrivé en Biélorussie, il touche au but. »

La grande offensive soviétique du 22 juin 1944 oblige à la déroute. Légionnaires de la LVF, engagés dans les autres armes, miliciens fuyant la France libérée sont rassemblés dans une nouvelle unité de la Waffen SS, la Charlemagne, 7 000 à 8 000 hommes qui forment une brigade (et non une division) hétéroclite de combattants, parfois sans expérience. Freddy se réjouit de faire son entrée dans la Waffen SS. En février 1945, les Français sont regroupés en Bavière puis transportés au milieu de la Poméranie. « En quelques jours, la Charlemagne va de reculade en reculade pour s’enfuir vers le nord, et butter sur la mer Baltique. » Freddy, jugé comme un élément prometteur échappe à la débandade. Il commence en décembre 1944 une formation à Neveldov, au sud de Prague, dans une école d’officiers de la Waffen SS. Il souffre de la faim et du froid, des poux et des marches épuisantes. Il accepte tout cela  avec fierté et avec le sourire.

Vers le 10 avril 1945, il retrouve  la Charlemagne, à 100 km au nord de Berlin. Ils sont environ 300, le 24 avril, engagés dans un combat qui n’a plus aucun sens. « Freddy vit son rêve d’adolescent, au cœur d’une « communauté guerrière », chère à Ernst Jünger (…) Ils sont là pour être là, c’est tout. » Les derniers combattants français ne cessent de reculer, pour achever leur parcours dans le siège du RSHA, qui regroupe toutes les polices dont la Gestapo. Le 2 mai 1945, la garnison de la capitale du Reich se rend et les Waffen SS français descendent dans le métro, où les Russes les font prisonniers et récupèrent les armes, les bagues et les montres. Alfred Douroux parvient à s’échapper.

Après deux années d’une guerre sanguinaire, mêlé au flot des réfugiés, des prisonniers et des déportés, il retrouve sa vie parisienne. Sans perdre de temps, il reprend contact avec ses camarades comme lui rescapés, et tous commencent à comploter contre la démocratie qui se rétablit, dans le cadre d’une clandestinité maladroite. Accusé en 1946 d’atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, il échappe aux recherches pour s’installer dans la clandestinité à Juan-les-Pins. Condamné par contumace à 15 mois de prison en 1950 pour un délit mineur, il bénéficie de remises de peine et des lois d’amnistie et s’installe à nouveau à Paris en 1952 ou 1953. Il épouse une fille de collaborateurs proches de Simon Sabiani, l’homme fort du PPF en Zone sud,  qui partage les opinions de ses parents et de son mari, la mère de Philippe Douroux. Ce couple de « doriotistes mondains » affectionne les idées négationnistes qui émergent très tôt. Sur la Côte-d’Azur, il est devenu promoteur immobilier. En 1967, il devient vice-président de l’Association nationale des promoteurs constructeurs. Dix ans plus tard, il dépose le bilan de l’entreprise qu’il dirige. Il est toujours resté en relation avec ses anciens camarades de la LVF et de la Waffen SS. Il n’a jamais été inquiété, bénéficiant du nettoyage des dossiers des Renseignements généraux par Jean-Louis Tixier-Vignancour, candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle de 1965, avec pour directeur de campagne Jean-Marie le Pen. Philippe Douroux estime possible que son père ait pris part à l’OAS, et probable qu’il ait apporté son concours à la création du Front national.

Les débuts chaotiques de la LVF

Le Reich hitlérien ayant engagé la lutte à mort contre le bolchévisme le 22 juin 1941, Doriot, chef du Parti populaire français (PPF), Déat, chef du Rassemblement national populaire (RNP), Deloncle, chef du Mouvement social révolutionnaire (MSR), et quelques autres chefs de groupuscules pronazis oublient, ou font semblant d’oublier leurs querelles, rencontrent Otto Abetz (ambassadeur du Reich !) et proposent de constituer un corps expéditionnaire qui montera au monde que l’Europe se range derrière l’Allemagne nazie dans sa croisade pour la défense de la civilisation. Hitler met quelques conditions (15 000 hommes au plus, sous uniforme de la Wehrmacht et qui devront prêter serment au Führer). Un grand meeting est organisé, des statuts déposés, la solde fixée (3 000 francs par mois passé au front pour un homme marié, le double pour un sous-officier expérimenté). Roger Labonne, un ancien de la Coloniale qui n’appartient à aucun parti collaborationniste en sera le chef.

Fin août 1941, la LVF s’installe dans une caserne de Versailles. Pierre Laval assiste à la première prise d’arme. Paul Colette lui tire dessus et le blesse, ainsi que Marcel Déat. Le recrutement laisse beaucoup à désirer, en quantité (on est très loin des 20 000 attendus) et en qualité (des engagés qui le sont pour l’argent, ou pour éviter la prison, ou pour oublier une peine de cœur, les uns trop jeunes, les autres déjà trop vieux). Il en est néanmoins, les lettres exhumées par l’auteur le prouve, qui sont farouchement nazis, à l’image de leur aumônier, Mayol de Lupé, évêque mythomane, fier de revêtir l’uniforme allemand, mais qui refuse de coudre l’écusson bleu-blanc-rouge car il symbolise la République ! Comme on manque d’hommes, « on enrôle tous ceux qui se présentent avec une touchante méconnaissance des lois raciales de l’Allemagne nazie : Marocains, Algériens, Tunisiens, Antillais, Russes blancs ». Là, les Allemands s’opposent : ce sont des slaves et le Reich entend les exterminer tous !

Les 1 200 premiers légionnaires quittent Versailles pour Deba, au sud de Lodz en Pologne, où ils s’installent dans un camp d’instruction de la Wehrmacht. Ils en endossent l’uniforme, ils seront le 638e régiment d’infanterie, et cousent un écusson bleu-blanc-rouge sur la manche droite. Ils arrivent près du front début novembre, dans la région de Smolensk enneigée, sans aucune formation, ce qui est sans importance car ils sont convaincus qu’ils vont simplement participer au défilé de la victoire dans Moscou. En réalité la Wehrmacht les a mobilisés « en dépit de leur impréparation manifeste, car le front craque de partout et les Français bouchent un trou ». La LVF découvre la guerre des partisans, mobiles et insaisissables, « Nous dispersons les rebelles et pendons plus de trente prisonniers. C’est la terreur, ses lois font réfléchir les plus fanatiques ». Après moins d’une semaine de ce genre de combat, les légionnaires regagnent la Pologne, tandis que le colonel Labonne est renvoyé en France en avril 1942, où il parade et appuie les envolées lyriques des journaux collaborationnistes.

Un rapport de la Wehrmacht, « accablant de bout en bout (…) pose la question de savoir ce que l’on peut faire de cette horde d’incompétents dans les mois qui viennent ». Il est décidé qu’ils n’iront plus en première ligne, et que, puisqu’il faut les garder dans la coalition pour des raisons politiques, « ils seront utilisés à l’arrière pour assurer la sécurité des troupes de l’avant ». Des centaines de légionnaires sont néanmoins renvoyés en France, où ils vont intégrer la LVF civile, dotée d’un appareil bureaucratique démesuré, dans les deux Zones. Ne doivent rester en Pologne que les plus déterminés, physiquement et idéologiquement, et les plus purs racialement : les troupes arabo-musulmanes partent en Europe du Sud.

La LVF témoin amnésique de la Shoah par balles

Philippe Douroux établit avec difficulté mais rigueur la preuve de la présence des Français lors du massacre de la communauté juive de Kastioukovitchy. « Nous savons maintenant que les Français étaient installés tout autour de la gare depuis deux mois et pour trois mois encore quand a eu lieu la Judenaktion le 3 septembre 1942. Ils n’étaient pas là par hasard, passant en coup de vent. Ils vivent, surveillent les abords et patrouillent dans les forêts environnantes. ». 539 hommes, femmes et enfants ont ce jour là creusé une fosse puis ont été abattus d’un coup de revolver dans la nuque. L’auteur prouve que les Français ont été spectateurs, mais il ne peut prouver s’ils ont prêté main forte. Ils sont restés longtemps après la tuerie et l’odeur de la mort persiste longtemps. Rien de cela chez les mémorialistes et chez les hagiographes, « Ils n’ont rien senti et rien ressenti, ces braves ».

A la mi-décembre 1942, alors qu’ils étaient uniquement chargés de la surveillance, les légionnaires participent avec zèle à la mise à mort d’une  centaine de Juifs près du camp de Kruszyma.

La LVF active dans les tueries de masse qualifiées d’« opérations de nettoyage »

La LVF doit mener désormais des « opérations de nettoyage » contre les partisans. Des milliers de soldats soviétiques se sont retrouvés à l’arrière de l’avancée rapide de la Wehrmacht, en Biélorussie, en Ukraine et en Russie. Ils se sont installés au cœur d’immenses forêts épaisses, où ils ont construit des maisons à moitié enterrées avec un réseau de vigies pour surveiller les alentours. Les villages proches sont devenus des points d’appui, fournissant, plus ou moins sous la contrainte, de la nourriture, des soins et des renseignements. L’objectif consiste à encercler de vastes zones « infestées » de partisans, puis à organiser une battue au cours de laquelle les partisans seront capturés et exécutés, les villages pillés, détruits et brûlés, les populations civiles, assassinées. A côté de ces opérations, les deux bataillons de la LVF pourront être réquisitionnés par les Einsatzgruppen, les groupes mobiles chargés de mener à bien l’extermination des ghettos juifs sur place : ils devront acheminer les victimes près du lieu d’exécution, procéder au déshabillage et les amener jusqu’à la fosse commune.

La vie des légionnaires s’organise autour de trois activités : la vie de garnison, les liaisons et les tueries. Les mémorialistes n’ont raconté que les deux premières. Dans les bourgs de garnison, les légionnaires s’installent et entretiennent des relations correctes avec les habitants. Ils se présentent en libérateurs évoquent une prochaine redistribution des terres et du cheptel, promettent la liberté religieuse. Ils viennent s’y reposer entre deux opérations de « nettoyage ». Ces populations ne sont pour l’instant pas persécutées, mais à terme, elles devront aussi être assassinées pour libérer un espace de colonisation aryenne.

En octobre 1942 les légionnaires sont impliqués dans l’opération Karlsbad, déclenchée en représailles d’une attaque de partisans qui a fait 20 morts parmi eux. Les Français du 638e régiment d’infanterie agissent aux côtés de Polonais, de Cosaques et des SS de la Brigade Dirlewanger. Il n’est pas possible d’établir le nombre des victimes, qui se comptent par milliers après des massacres d’une brutalité inouïe.

En janvier 1943, « A Sych et Chernevichi, les Français montrent ce qu’ils savent faire ». Jean Simoni et ses hommes passent la nuit dans un village, au lendemain d’un combat meurtrier avec les partisans. Ils rassemblent les hommes (30 à 40) et les abattent à coup de mitraillettes, puis ils violent les femmes et brûlent les maisons. En mai 1943 Raoul Dagostini agit de même à Kotovo. La Wehrmacht met sur pied une cour martiale pour juger les responsables de ces opérations de représailles. Bien sûr ce ne sont pas les atrocités que les juges allemands trouvent inacceptables, mais le fait que les Français n’obéissaient pas à un ordre. Les responsables, Jean Simoni, Raoul Dagostini, René Barbara et Jean Bassompierre sont renvoyés en France. A la Libération Jean Simoni échappa à toute condamnation, les juges estimant que son engagement dans la LVF avait été de courte durée et « qu’aucune activité antinationale ne (pouvait) lui être reprochée ». Raoul Dagostini fut condamné à mort et exécuté, mais sans avoir à répondre des crimes commis en Biélorussie. Il avait combattu les maquisards du plateau des Glières en reprenant les méthodes du front de l’Est, avec une telle férocité que Joseph Darnand, le chef de la Milice, l’avait relevé de son commandement.

La dernière opération punitive des légionnaires fut celle de Kormoran en juin 1944. La LVF a droit à des camions, au lieu des chariots habituels. L’opération fait entre 5 300 et 7 800 victimes civiles, 110 morts parmi les assassins.

En décembre 1943, l’écrivain collaborationniste Lucien Rebatet fait un reportage pour Je Suis Partout. Il rencontre un légionnaire :

  • « Vous opérez contre les partisans, n’est-ce-pas ? Comment ça se passe-t-il ?
  • A chaque coup y décrochent, se perdant dans la nature. C’est grand là-bas. Les forêts… Alors on brûle les villages d’où y sont sortis, ça brûle bien, tout en bois.
  • Les habitants de ces villages ?
  • On les zabralize…
  • Comment dis-tu ?
  • On les rectifie quoi !
  • Tous ?
  • Tout le paquet.
  • Les mômes ?
  • Les mômes aussi. On ne va pas les laisser seuls sur la neige. On est humains ! Il avait un gros rire (…)
  • Dans l’ensemble, concluait-il, c’est un boulot plutôt marrant. »