Nous aurait-on menti ? La Seconde Guerre mondiale n’aurait-elle pas été gagné par les soldats, mais par les services secrets ? Bien sûr, nous répondrons à cette question par la négative. Mais le seul fait que celle-ci se pose, après avoir lu le nouvel ouvrage de Rémi Kauffer, témoigne de l’impact du renseignement sur le déroulé de la Guerre. Souvent écartés du récit de 1939-1945, les services secrets semblent avoir joué un rôle bien supérieur à l’importance qu’on leur accorde. Mais quel a donc été ce rôle ?

Une mise en lumière du rôle discret des services secrets dans la Guerre

À bien des égards, la Seconde Guerre mondiale constitue une forme de bascule dans l’histoire de la guerre. D’une ampleur inédite, le conflit a conduit à l’utilisation de nouvelles armes et de nouvelles techniques militaires. Ce sont les manières de combattre qui s’en sont trouvées transformées.  Parmi ces mutations, une des plus méconnues est l’importance accordée au renseignement et aux services secrets.

À travers cette Guerre mondiale des services secrets, ce manque est réparé. Rémi Kauffer nous présente ainsi les différentes structures de renseignement et de contre-espionnage qui ont œuvré durant le conflit. À travers celles-ci, nous découvrons les enjeux et les choix effectués par les différentes puissances. Nous apprenons ainsi que l’Allemagne, l’URSS et les Etats-Unis ont pu, dans une certaine mesure, négliger leurs services de renseignement et le regretter amèrement. En effet, les Nazis ne sont pas parvenus à empêcher les débarquements alliés faute de savoir précisément où ils auraient lieu. Staline, de son côté, n’a pas cru les différents rapports l’avertissant d’une attaque imminente de l’Allemagne en 1941. Quant-aux États-Unis, ils n’ont accordé aucun crédit aux indices d’une attaque imminente sur Pearl Harbor.

À l’inverse, les Britanniques ont su très tôt se doter de réseaux de renseignement efficaces sur l’ensemble des théâtres d’opération : en Europe, mais aussi en Afrique et en Asie. Cela a pu conduire aussi à des tensions vis-à-vis de leurs alliés, en particulier le général de Gaulle qui acceptait mal les ingérences du MI6 auprès des Forces françaises libres et de la Résistance. Mais même des experts en espionnage comme les Anglais ont pu se faire piéger, en particulier par les « 5 de Cambridge » qui ont oeuvré pour le compte de l’URSS (mais plutôt durant la Guerre froide).

Une nouvelle vision de l’histoire des services secrets

À travers cette Guerre mondiale des services secrets, nous découvrons leur remarquable modernité. Leur caractère stratégique a nécessité qu’ils soient en avance sur son temps. De nouvelles techniques de dissimulation et de décryptage de l’information ont ainsi été mises au point. On peut ainsi penser à la fameuse machine Enigma, dont les codes, réputés inviolables, ont pourtant été cassés par l’appui d’autres machines innovantes, qu’on pourrait considérer comme les premiers ordinateurs. L’innovation technique est ainsi au cœur du renseignement.

Mais, dans le même temps, les services secrets ont été également conçu des stratégies organisationnelles innovantes. L’ouvrage décrypte ainsi leur organisation au sein des différentes puissances avec, chaque fois, la possibilité de collaborer entre services nationaux et/ou étrangers, tout en conservant le secret sur certaines informations stratégiques et en maintenant un cloisonnement prudent de l’information.

Enfin, Ce livre ne se limite pas à la collecte de l’information. Il nous fait découvrir l’ampleur inédite des stratégies de deception (à savoir les manœuvres destinées à tromper l’ennemi). Durant ces opérations, rien n’est laissé au hasard et une stratégie globale est mise en place. Les comportements ennemis sont analysés, ce qui est révélateur de connaissances avancées en psychologie. L’intoxication se fait par de multiples biais : de faux cadavres, des messages insuffisamment cryptés transmettant de fausses informations (mais tout de même suffisamment cryptés pour ne pas paraître suspects), le concours de la presse nationale, …

On peut ainsi saisir l’incroyable sens de l’innovation de ces services secrets qui, finalement, parviennent déjà à mener d’extraordinaires opérations d’intoxication avec des moyens techniques et humains que l’on aurait pu croire possibles qu’à partir de la Guerre froide.

 Un ouvrage dense, passionnant mais parfois difficile d’accès

Composé de 17 chapitres, cette Guerre mondiale des services secrets s’avère être un ouvrage dense et riche en informations. La quasi-totalité des théâtres d’opération sont couverts, avec plusieurs chapitres consacrés aux services secrets en Chine. On peut saluer ce choix car, de France, on oublie parfois que la guerre a été particulièrement intense en Orient. Cette ouverture géographique permet aussi de comprendre la complexité des situations : des acteurs divers sont présents sur tous les continents, y compris notamment des Américains ou des Anglais en Chine.

Rémi Kauffer nous propose une lecture plaisante par une mise en récit passionnante de certains épisodes clés des services secrets. On peut ainsi mettre en avant les pages consacrées au Kidnapping des officiers britanniques à Venlo, à l’intoxication de Staline par Hitler et ses services secrets ou encore les grandes opérations de deception anglo-américaines qui ont précédé les débarquements en Sicile et en Normandie.

L’importance que l’auteur accorde aux différents acteurs de cette histoire des services secrets rend cet ouvrage plus piquant. Ces destins exceptionnels prennent vie à travers l’écriture, à l’aide de nombreuses anecdotes réelles ou parfois supposées. Nous découvrons ainsi des personnalités remarquables par leur force de caractère et d’engagement, pourtant restés dans l’ombre de l’Histoire.

Cependant, cet intérêt porté aux acteurs et aux organismes conduit à une multiplication de noms et de sigles. S’y retrouver n’est pas toujours chose aisée et il arrive parfois qu’une seconde lecture soit nécessaire pour comprendre tous les liens qui se tissent.

Enfin, la compréhension de cet ouvrage peut s’avérer difficile pour qui ne possède pas des bases solides sur la Seconde Guerre mondiale.  Une bonne connaissance du contexte est généralement nécessaire pour comprendre l’action et les enjeux de ces services secrets. De même, les choix effectués par certains grands dirigeants (comme Churchill, de Gaulle, Staline, …) quant-à leurs stratégies de renseignement et d’action, ne peuvent se comprendre qu’en étant familiarisés avec ces différentes figures.

La guerre mondiale des services secrets propose donc une synthèse dense de acteurs et enjeux du renseignement entre 1939 et 1945 et contribue à rétablir son importance parfois sous-estimée dans le souvenir de la guerre.