« Au début il n’y avait rien. Mais dans ce rien il y avait déjà tout ! » Voici le narrateur qui se présente à nous, un narrateur étonnant puisque c’est l’uranium qui s’adresse directement au lecteur. Car le sujet de ce roman graphique , tout comme son titre l’annonce, c’est le cheminement qui va conduire à l’invention de la bombe atomique grâce à cet uranium qui nous prend à témoin tout le long du récit, nous exprimant le souhait de voir toute sa puissance libérée.
De ce parti pris original, Didier Alcante avec comme co-scénariste Laurent-Frédéric Bollé, en tire un roman graphique d’une longueur exceptionnelle de plus de 400 pages. Y sont retracés le parcours de l’humanité ayant permis les premières découvertes jusqu’au sujet cœur du livre : la mise au point et l’utilisation de la bombe atomique à Hiroshima le 6 mai 1945. Ici se pose la question de la transposition pour un public de néophytes d’un vocabulaire scientifique qui pourra en dérouter plus d’un même si l’attrait des choix narratifs et des dessins permettent de suivre les avancées des chercheurs.
La guerre et sa préparation étant l’arrière fond des premières recherches, le conflit prend rapidement le devant de la scène et impose aux scientifiques son propre calendrier, fait d’échéances à tenir et d’impératifs stratégiques. L’uranium n’est plus un sujet de recherches mais une arme à développer plus rapidement que l’ennemi ou que de ses propres alliés. Nous suivons donc une multiplicité de personnages, des scientifiques, des hommes politiques, des militaires ou des anonymes dans cette course éperdue vers la possession de cette arme si convoitée. Le rythme du récit est ainsi découpé en épisodes parfois très (trop) courts avec de temps en temps un effet zapping entre les différents protagonistes.
L’aspect le plus intéressant de ce roman graphique est la mise en avant de l’individualité des personnages, aux profils complexes où les ambitions personnelles s’entrechoquent face au poids des événements de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide qui se profile déjà à l’horizon. Une histoire d’hommes où se posent en permanence les questions de morale, de contentement de la hiérarchie et du sens que l’on donne à son travail. Face à la violence des événements de la Seconde Guerre mondiale, les scénaristes mettent en avant les choix qui s’offrent aux individus même si le plus souvent c’est le cynisme qui l’emporte. Ce cynisme qui est à son apogée lorsque le roman évoque l’utilisation de la bombe à Hiroshima, en mettant en parallèle les dessins crûs des corps calcinés et la satisfaction américaine face à la réussite de cette opération militaire. Plus que les conséquences de l’utilisation de la première bombe atomique, il s’agit ici de raconter l’amont. Même si en fin de roman un retour très appréciable est fait sur les personnages évoqués et sur leur vie à venir une fois la bombe utilisée.
Les dessins de Denis Rodier, en blanc et noir et le choix des silences dans de nombreuses scènes permettent au lecteur de plonger dans ces événements dans leur horreur et leur complexité.
Pour le lecteur en soif d’informations complémentaires, une bibliographie très fournie en fin de roman permettra d’approfondir les thèmes évoqués.
Un roman riche, dense, nourrissant une réflexion sur un sujet encore d’actualité.