« Oubliez tout ce que vous croyez savoir. […] L’histoire est écrite par les vainqueurs, et dans la guerre entre les Amazones et les dieux de l’Olympe, les Amazones ont perdu. La version que vous avez lue a donc été écrite par nos oppresseurs. Il n’y a probablement pas d’histoire objective, et la vérité peut se situer quelque part entre les deux. Mais vous avez entendu leur version, et celle-ci est la nôtre. Et s’il y a une chose à enseigner, c’est de tenir compte de la source. N’oubliez pas que l’Histoire est faite d’histoires ». Ainsi se conclut la préface de Wonder Woman Historia et commence la formidable épopée des premières heures des Amazones, jusqu’à la naissance de Diana Price.

DC Comics réinterprète le mythe des Amazones

Kelly Sue DeConnick, accompagnée de Phil Jimenez, Gene Ha et Nicola Scott aux dessins, ouvrent la boîte de Pandore et proposent une belle réinterprétation de la mythologie grecque et des Amazones, à la fois inventive et humaine.

Il y a des millénaires, la reine Héra et les déesses du panthéon olympien se montrent
très insatisfaites de leurs homologues masculins. Après des années de servitude et d’inégalités, elles demandent à Zeus d’accorder aux femmes la place qui leur revient et de les mettre sur un pied d’égalité avec les hommes. Face au refus des dieux, elles orchestrent, dans leur dos, leur revanche et créent une nouvelle société, une société jamais vue sur Terre, capable de choses merveilleuses et terribles : les Amazones. Ces femmes guerrières luttent dans l’ombre contre l’oppression exercées par les hommes.

Néanmoins, leur existence ne pouvait pas éternellement rester secrète. Hippolyte, une jeune veuve désespérée, tente par tous les moyens de rejoindre ces femmes légendaires. A force de courage, d’obstination et d’abnégation, elle y parvient et va créer une société utopique de femmes, toutes à égalité, fondée sur la paix entre elles, l’amour, la prospérité et la lutte contre l’oppression masculine, recueillant toutes les femmes qui acceptent de les rejoindre. Malheureusement, l’une d’elles tue le favori d’Apollon, attirant le regard et le courroux des dieux. Commence alors une impitoyable guerre entre, d’un côté, les dieux et les hommes, et de l’autre, les Amazones. Le récit se termine par la défaite des Amazones, condamnées à rester prisonnières d’une île par les dieux et par la naissance de la plus grande gardienne de la Terre, Diana Price.

Une déclaration d’amour aux femmes visuellement éblouissante

Avec un scénario complexe qui prend le parti de nous raconter chaque détail de la naissance des Amazones et de la révolte des déesses, ce roman graphique nous offre une superbe réinterprétation du mythe de ces femmes guerrières. Les auteurs ont eu l’intelligence de ne pas centrer le récit sur la naissance de Diana mais bel et bien sur son peuple et sur l’émouvante histoire de sa mère, la reine Hippolyte. Au-delà d’une intrigue sensible et passionnante, cet album très féministe et engagé est une véritable déclaration d’amour aux femmes et à leur combat pour l’indépendance, dans un monde cruel, dominé par des hommes qui les violentent et les relèguent au second rang. Wonder Woman Historia est une histoire de lutte pour l’émancipation, pour l’égalité et pour la liberté, qui fait écho à notre société actuelle. Le scénario reprend toutes les étapes du récit initiatique avec l’avènement d’Hippolyte, qui passe de simple mortelle opprimée à une véritable reine guerrière, courageuse, aimante et passionnée.

On est ici dans un récit mythologique, avec tout ce que cela implique de merveilleux et d’onirique, jusque dans sa magnifique représentation. Je ne peux que saluer les superbes dessins et l’ingénieuse mise en page de Phil Jimenez, Gene Ha et Nicola Scott, qui nous offrent une véritable claque visuelle. La narration est sublimée par de belles idées créatives, expliquées dans des sortes d’interviews à la fin du roman graphique. Je pense notamment à l’idée de montrer les apparitions des déesses à la fois présentes et absentes du plan matériel. Même absentes, leur présence se fait sentir, alors que, quand elles apparaissent, on sent bien qu’elles ne sont pas tout à fait présentes. Le travail sur les couleurs, la précision des illustrations et des décors, avec un nombre impressionnant de détails, le superbe travail réalisé sur les personnages, etc, tout est remarquable de beauté et de finesse.

L’ensemble nous offre un formidable roman graphique original, même s’il apparaîtra peut-être trop engagé pour certains lecteurs et que le récit est très manichéen, à part dans l’univers de DC comics, tout en magie, en beauté et en féminisme. Il faut également souligner le beau travail éditorial de l’éditeur, avec une interview de la scénariste, Kelly Sue DeConnick, et de Phil Jimenez, l’un des dessinateurs en ouverture et une partie des travaux préparatoires avec une autre à la fin.