L’entrée par l’objet est un moyen très intéressant que l’on retrouve dans d’autres ouvrages comme « L’histoire du monde en 100 objets » de Neil MacGregor. Le principe est ici appliqué aux femmes pour faire découvrir leur histoire très longtemps invisibilisée.

Des objets signifiants

« Derrière la trivialité des objets se cachent des enjeux de pouvoir, d’émancipation, de sexualité. Les objets sont en quelque sorte des témoins silencieux auxquels Annabelle Hirsch redonne une voix ». L’autrice, journaliste, s’est concentrée sur l’histoire des femmes occidentales et ce livre n’a donc pas vocation à épuiser le sujet. Le livre est organisé en courts chapitres qui commencent par une image de l’objet à gauche puis son commentaire en trois pages. Il est structuré de façon chronologique. Difficile de tout dire avec tant d’entrées, mais on peut en offrir un panorama. Une large part est consacrée aux époques moderne et contemporaine.

De – 30 000 à la Renaissance

Le livre commence par un fémur cassé qui permet d’interroger la place des femmes au Paléolithique. L’autrice entraine ensuite le lecteur sur les traces d’Hatchepsout, de Sappho, et interroge également une poupée amazone du V ème siècle avant notre ère. Parmi les objets intrigants on peut citer le hnefatal, cette sorte de jeu d’échecs viking. Il a été retrouvé dans une tombe et, grâce à des tests génétiques, des chercheurs ont pu montrer que cette célèbre tombe viking était en fait celle d’une femme et non d’un homme. On peut aussi réexaminer des chefs d’oeuvre connus comme la Tapisserie de Bayeux pour mesurer l’habileté et la créativité remarquables de celles qui l’ont réalisée. Annabelle Hirsch parle de quelques figures féminines aujourd’hui mieux connues comme Hildegarde de Bingen ou Christine de Pizan, mais toujours à travers un objet.

De la Renaissance à la Révolution

Dans cette partie, on trouve une paire de chopines du XVI ème siècle, c’est-à-dire des chaussures surélevées, comme une sorte de signe extérieur de richesse. Le livre évoque Roxelane, la compagne de Soliman, qui a joué un rôle politique longtemps minoré.  Tous les types d’objets sont évoqués comme un godemiché du XVI ème siècle ou les poucettes qui servaient comme instrument de torture. Il faut noter la pertinence du regard quand il se porte sur un objet apparemment anodin comme la poche de vêtement. Elle fut longtemps interdite aux femmes. Or, en avoir une permettait de cacher des objets et les suffragettes ne s’y trompèrent pas, utilisant des tenues avec six ou huit poches intégrées. On reste ébahi devant la machine de Madame Du Coudray qui permit au XVIII ème siècle une meilleure formation des sages-femmes en reproduisant, grâce à un mannequin, le mécanisme de l’accouchement.

De la Révolution à la Première Guerre mondiale

Après le bonnet phrygien et la récamière, on trouve cet étonnant autoportrait de Sarah Goodridge. La tradition de l’époque voulait qu’on fasse le portrait d’une jeune fille pour qu’il soit présenté à son futur mari. Elle décida d’offrir cet autoportrait de sa poitrine. On constate l’invisibilisation des femmes dans le domaine scientifique, que ce soit à travers Ada Lovelace ou toutes les programmeuses de la Seconde Guerre mondiale. Des femmes comme George Sand s’affirment par un mode de vie à l’époque peu conventionnel. On s’interroge sur le progrès constitué par certains objets comme la machine à laver. Si celle-ci permit aux femmes de gagner du temps, elle les isole en même temps de la vie sociale. L’autrice évoque également Florence Nightingale, la dame à la lampe, qui fit beaucoup pour améliorer la vie des soldats blessés. Elle fut en effet une des premières à mesurer le rôle du psychisme dans la guérison. Une autre grande figure est celle de Nellie Bly avec un étonnant jeu de plateau sur son tour du monde. Du côté des écrivains, le livre parle également de Colette.

De 1914 à 1945

Le manteau «  100 à l’heure » de 1923 est plus court qu’un manteau féminin habituel et il témoigne ainsi, à sa façon, d’une plus grande liberté de mouvement. Dans les années 1920, c’est aussi l’apparition du célèbre « n°5 de Chanel » ou du rouge baiser. Le rouge à lèvres symbolisa longtemps la prostitution avant d’être récupéré par les femmes et vu comme un moyen d’affirmation. On apprendra peut-être le rôle central qu’avaient les femmes pour Hollywood à cette époque, puisque 70 % des spectateurs étaient des spectatrices. « Live alone and like it » est un livre de Marjorie Hillis, daté de 1936. Il affirmait le droit pour une femme de vivre libre et heureuse comme son titre l’indique.

De 1945 à nos jours

Le bikini en 1947 voisine avec la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne de 1949 et cet extrait décisif : « les hommes et les femmes sont égaux en droits ». On lira aussi cette étonnante une du Daily news de 1952 où un ancien GI «  becomes blonde beauty ». Earl Tupper, l’inventeur du Tupperware, connut le succès grâce aux réunions où des femmes se retrouvaient pour la vente de ses produits. L’autrice parle ensuite des débuts de la pilule, de la mini-robe ou de l’importance de « Respect » d’Aretha Franklin. Le livre poursuit avec l’évocation de Golda Meir à travers une affiche d’époque, le « manifeste » des 343 salopes ou encore la cassette vidéo d’un film porno qui, à sa façon, s’inscrivait dans la révolution sexuelle. De façon encore plus contemporaine, une entrée est dédiée à la coupe menstruelle puis au pussy hat.

C’est donc un ouvrage qui offre de multitudes entrées pour aborder l’histoire des femmes mais surtout leur redonner leur place. Chacun pourra puiser ce qu’il souhaite dans ce livre. Il éveille surtout l’attention du lecteur pour l’inviter à voir, dans ce qui peut paraitre parfois banal, d’autres significations comme des enjeux de pouvoir.