Les géographes, arrivés au terme de leur carrière, écrivent leur « égo-géographie » (Voir par exemple : Yves Lacoste. Entretiens avec Pascal Lorot. LA GÉOPOLITIQUE ET LE GÉOGRAPHE. Choiseul, 2010), les sociologues aussi !
C’est l’objet du dernier livre de Jean-Pierre Le Goff, même si le personnage central de son ouvrage est Cadenet, une commune de 4000 habitants située sur le versant sud du massif du Lubéron. Jean-Pierre Le Goff y a séjourné de très nombreuses fois pendant ses périodes de congé. En 2005, il entame une recherche sociologique sur ce village et les mutations qu’il a connues au XXème siècle tant au niveau du paysage que des mœurs des habitants. Exploitation des archives, entretiens, observations constituent le matériau de ce travail de longue haleine. La taille de l’ouvrage (577 pages) en rend compte. Elle permet à Jean-Pierre Le Goff de faire comprendre au lecteur, tranquillement, ce qui fait le propre des mutations connues par cette partie de la Provence. A mi-chemin entre le récit et l’œuvre scientifique, tout y passe. Le parti pris chronologique peut toutefois lasser et donner l’impression que « c’était mieux avant ». Malgré tout, au fil des pages, le lecteur comprend combien la société provençale a changé, depuis le début du XXème siècle, sous l’effet des « Trente Glorieuses », de l’automobile, de la télévision, du TGV… Personne n’est épargné, ni les locaux, pas toujours accueillants avec les « étrangers » (le « Parisien », le « Marseillais »), ni les nouveaux venus qui s’empressent, par exemple, de clôturer leur propriété, mais qui, par leurs pratiques sportives, veulent pouvoir continuer à accéder aux chemins de champs des agriculteurs. Jean-Pierre Le Goff analyse aussi le poids des idéologies dans ces mutations. Les expériences post-soixante-huitardes, menées dans cet espace rural, devenu depuis périurbain, sont bien étudiées. On retrouve là une des spécialités de Jean-Pierre Le Goff (Mai 68, l’héritage impossible. 1998).
Dans la lignée de l’ethnologue Pascal Dibie (Le village retrouvé, ethnologie de l’intérieur, 1979, Grasset / Aube-poche 2008 et Le village métamorphosé, révolution dans la France profonde, Terre Humaine / Plon, 2006), Jean-Pierre Le Goff, dans ce récit à la première personne, rend compte des mouvements de fond qui ont affecté ce morceau de Lubéron, sous l’effet de la périurbanisation, de la gentrification et du tourisme. Mais, son ouvrage va plus loin encore puisque c’est l’ensemble de la société française qui est étudié ici par le biais de ce village : la mort, la religion, la politique, la jeunesse, la vieillesse…
« La venue des « gens de la ville » n’est pas la seule responsable de cette rupture avec la tradition. Ce sont les Provençaux eux mêmes, leurs coutumes et leurs modes de vie qui ont changé. » écrit Jean-Pierre Le Goff dans l’épilogue. Pourtant, le regret du temps jadis semble l’emporter dans cette dernière partie de l’ouvrage et légitimer son titre : « Cadenet m’est apparu comme un village bariolé mêlant vestiges du passé et marques du présent, et où des catégories sociales coexistent dans un même espace culturellement décomposé. » Cet accent passéiste, très présent au début comme à la fin de l’ouvrage, semble légitimer son titre mais ne rend qu’imparfaitement compte de la richesse des analyses scientifiques qu’il contient et du détachement dont a fait preuve son auteur pour étudier cet objet qu’est le village de ses vacances. Faut-il y voir un reflet du temps présent qui encense le passé ?
Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes