Le livre de Vandana Shiva, de Jacques Caplat et d’Andre Leu, Une agriculture qui répare la planète, est un résumé le plus exhaustif possible des connaissances actuelles portant sur l’agriculture biologique régénérative. De très nombreux sujets y sont abordés, des plus généraux aux plus pratiques. En effet, l’ouvrage traite aussi bien des grands enjeux de l’agriculture biologique régénérative (toute forme d’agriculture qui vise à améliorer les sols, les revenus de l’exploitant.e et la qualité des ressources produites) que des différents types de composts.
Ce livre compte 9 parties qui évoquent tous les grands thèmes : Les crises actuelles du système agricole conventionnel sont décrites et bien expliquées afin de battre en brèche les différents arguments fournis par ses promoteurs. Les bases de l’agriculture biologique régénérative sont ensuite mentionnées et expliquées. Cette agriculture, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’est pas seulement une agriculture sans pesticides de synthèse. C’est une démarche beaucoup plus large qui vise au maintien d’un équilibre écosystémique durable. Sept chapitres suivent après cela pour aborder des thématiques spécifiques à l’agriculture biologique régénérative : les semences, le sol, l’eau, la biodiversité, les ravageurs, la sécurité alimentaire et la revitalisation du monde paysan. La plupart des chapitres évoquent longuement le modèle conventionnel pour mieux montrer le fossé entre celui-ci et celui valorisé dans l’ouvrage. Ainsi, aux insecticides industriels sont opposés des plantes et des animaux protecteurs des cultures. Les différentes idées, postulats et propositions sont toujours accompagnés d’exemples nombreux tirés de travaux scientifiques, institutionnels ou des relevés réalisés par l’association Navdanya.
Cette association, très présente dans Une agriculture qui répare la planète, est une structure fondée par Vandana Shiva, qui vise à la promotion de l’agriculture biologique régénérative en Inde et plus largement dans le monde. Elle favorise la conversion des paysans qui souhaitent sortir de l’agriculture intensive en leur prodiguant conseils, soutiens et en leur permettant de rejoindre des cercles d’entraides (banques de graines par exemple). En effet, l’agriculture biologique régénérative est centrée sur l’entraide, la solidarité et le partage. Cette pratique vise au décloisonnement entre agriculteurs et scientifiques-experts. Les agriculteurs doivent regagner en autonomie car ce sont eux qui sont le plus capables d’agir pour la planète. Cependant, si les agriculteurs sont en première ligne, il ne faut pas se contenter de juger les « bons » et les « mauvais » selon leurs pratiques, dans la mesure où les Etats et les industries agroalimentaires et chimiques ont aussi une responsabilité majeure. Il ne sert donc à rien de donner une trop grande responsabilité aux agriculteurs, il convient de faire évoluer le système dans son ensemble.
Actes Sud, via l’excellente collection « Domaine du Possible » nous ont habitués à des ouvrages riches, denses et très qualitatifs. Cet ouvrage se veut dans cette ligne, puisqu’il est écrit par trois grands spécialistes et qu’il prétend répondre aux questions majeures de l’agriculture du XXIème siècle. On peut donc être quelque peu étonné par cette traduction qui présente plusieurs limites importantes qui desservent le propos. Tout d’abord, ce livre dense se répète régulièrement, donnant parfois le sentiment d’une absence de cohérence globale. De plus, le propos s’appuie sur des exemples trop nombreux et trop peu détaillés. L’impression de lire un catalogue d’exemples et d’idées (augmentées par la présence de nombreuses listes énumératives) fait que des éléments sont régulièrement survolés, mal expliqués et donnent une impression de flou désagréable. De même, la critique répétée et constante du système conventionnel (près de 40% du livre) nuit à la mise en valeur des « promesses de l’agriculture biologique régénératives » (sous-titre de l’ouvrage). Enfin, de nombreuses limites méthodologiques discréditent la portée générale de plusieurs expériences présentées dans ce livre. Ainsi, à la p.479-480, un exemple compare les revenus d’une surface irriguée et d’une surface non-irriguée d’un paysan indien. D’après les chiffres, le paysan gagne 40% moins d’argent avec le champ irrigué. Cependant, ces chiffres sont obtenus en comparant une surface de 250 m2irriguée et une surface de 160 m2non-irriguée. Aucune conclusion ne peut être tirée d’un exemple se basant sur des surfaces si petites et dont la localisation (fond de vallée, exposition), non mentionnée, joue un rôle si important. Cela est d’autant plus gênant que plusieurs passages critiquent la méthodologie des études de Monsanto. Certes, cet exemple, comme d’autres, se veut juste illustratifs, mais ces biais nuisent aux idées générales portées par ce livre en donnant trop facilement le bâton pour se faire battre.
Une agriculture qui répare la planète est donc un ouvrage ambitieux, peut-être trop, qui porte un message essentiel. Sa lecture permettra donc de mieux comprendre le fonctionnement du modèle agricole conventionnel et l’intérêt majeur de l’agriculture biologique régénérative. Ce livre ouvre donc, malgré ses limites, de nombreuses réflexions et apporte des éléments de réponses qui pourront être utiles à toutes les personnes qui cherchent à mieux comprendre l’agriculture, le monde agricole et plus largement l’environnement.