Après avoir consacré son mémoire de maîtrise à une Analyse des journaux de Stalags. 1940-1945, sous la direction de Jean-Jacques Becker et de Jean-François Sirinelli, Évelyne Gayme a soutenu une thèse de doctorat d’État, toujours sous la direction de Jean-Jacques Becker (Université de Paris X-Nanterre, 2002, 3 tomes) sur le thème de L’Image des prisonniers de guerre français de la Seconde Guerre mondiale. 1940-2000. Ses travaux de recherches s’inscrivent dans le cadre du renouvellement historiographique concernant la Première Guerre mondiale, la culture de guerre, les violences de guerre et les sociétés en guerre et elle nous propose ici une étude sur les prisonniers de guerre français des deux guerres mondiales. La synthèse est originale et novatrice car il s’agit d’une étude comparative dans l’espace (mise en perspective des réalités européennes et asiatiques des guerres) et dans le temps (constante mise en relation des réalités de la Première et de Seconde Guerre mondiale), d’une étude sur le temps long de ces deux guerres mondiales et totales, qui prend en compte non seulement le temps des guerres, mais aussi les avant-guerres et les sorties de guerre, d’une étude enfin qui aborde les aspects stratégiques, économiques, culturels, sociaux et politiques.

L’ouvrage est rigoureusement construit, de manière à développer une argumentation explicite qui réponde à une problématique clairement posée dans l’introduction. Les titres des chapitres et des parties expriment les idées directrices qui sont ensuite développées et précisées par les sous-titres. Introductions, transitions et conclusions conduisent le lecteur sur un chemin fort bien balisé. L’ouvrage comporte quatre parties thématiques et neuf chapitres. La première partie montre que les prisonniers de guerre français sont toujours des soldats mais qu’ils ne sont pas toujours reconnus comme des combattants. La seconde partie traite des prisonniers de guerre comment enjeu des stratégies militaires, aussi bien en France qu’en Allemagne et la troisième partie des prisonniers de guerre comme enjeu des stratégies économiques et de propagande. La quatrième partie met en perspective les captivités françaises avec celles des soldats des autres pays européens et des pays asiatiques. Une partie Sources (Archives nationales, Archives du Service historique de l’Armée de terre et de l’Armée de l’air, autres archives y compris privées, interviews de femmes, d’enfants et de petits enfants de prisonniers de guerre, interviews d’une vingtaine d’anciens prisonniers de guerre, littérature écrite par les anciens captifs, journaux d’associations etc.) et Bibliographie, ainsi que deux index (Lieux et Personnes) complète l’ouvrage.

1. Les prisonniers de guerre. Toujours des soldats, encore des combattants ?

Quelles que soient les périodes de l’Histoire, le soldat prisonnier est un enjeu à différents niveaux, parce qu’il est toujours considéré comme un combattant. L’intérêt stratégique de la captivité a été compris dès l’Antiquité mais il n’existe pas, jusqu’au XVIIIe siècle de conventions internationales concernant les prisonniers de guerre. C’est la Révolution française qui instaure les premiers décrets et qui officialise le statut militaire du prisonnier, mais c’est au tournant du XXe siècle que la législation se construit et s’affirme. Une définition du prisonnier de guerre est donnée pour la première fois en annexe des deux conventions de la Haye de 1899 et de 1907.

« Brutalisation » mais humanisation de la guerre

La convention de Genève de 1929, qui trouve son origine dans le phénomène massif que fut la captivité durant la Grande Guerre, met en place une réglementation concernant la capture et l’évacuation des prisonniers, les camps dans lesquels ils sont détenus, le travail auquel ils sont soumis, leurs relations avec l’extérieur, leurs rapports avec les autorités, leur libération. Le prisonnier doit être correctement traité et ne doit pas être torturé, y compris s’il cherche à s’évader. Les officiers prisonniers sont exempts de travail, les travaux ne doivent avoir aucun rapport direct avec les opérations de guerre, les prisonniers ne doivent pas être exposés au combat, ni servir de boucliers humains. Parallèlement à la « brutalisation » de la guerre, une législation se met donc en place pour humaniser la guerre.

L’image du prisonnier dans la tête du combattant

Les soldats qui partent à la guerre en 1914 et en 1939 ont une représentation mentale du prisonnier de guerre. « Elle est constituée de plusieurs strates », la plus profonde étant formée par les souvenirs scolaires qui font des prisonniers des vaincus livrés au bon vouloir des vainqueurs ; la seconde strate est constituée par les souvenirs de la guerre de 1870 : les capitulations de Metz et de Sedan ont livré aux Allemands des dizaines de milliers de prisonniers et la captivité est alors synonyme de trahison ; la troisième strate est constituée, pour les soldats de 1939, par les souvenirs qu’ils ont du film de Jean Renoir La Grande Illusion. Renoir est un ancien combattant, blessé deux fois, qui ne fut pas prisonnier de guerre mais qui veut leur rendre hommage. On interprète généralement le film comme ayant pour thème le pacifisme et les antagonismes de classes, alors que, pour Renoir, il s’agit bien d’un film sur la captivité. Et c’est parce que ce thème n’intéressait pas l’opinion publique, et que les prisonniers de la guerre de 1914-1918 n’étaient pas populaires, que Jean Renoir eu du mal à réunir les fonds nécessaires à la réalisation. Contre toute attente, l’accueil du public fut enthousiaste, le film fut vu par une grande partie de la population française et influa fortement sur la représentation que les Français eurent de la captivité de l’armée française en 1940. « Fondateur de l’image des prisonniers », ce film « réhabilite les prisonniers de la Grande guerre » : ce sont des patriotes, de véritables combattants qui cherchent à s’évader.

La crainte du déshonneur

Les prisonniers qui rentrent de captivité en 1918 doivent lutter contre l’immense prestige des Poilus qui ont défendu la patrie, alors qu’eux étaient détenus en Allemagne après avoir été capturés, dans des conditions que beaucoup considèrent comme douteuses. Ils doivent donc militer pour défendre leur honneur et obtenir des dédommagements matériels et financiers. Les prisonniers qui rentrent de captivité en 1945 sont accueillis comme des militaires et sont inclus dans les commémorations. Par contre ils doivent eux aussi se battre, dans le cadre d’associations dont la plus puissante et la Fédération nationale des prisonniers de guerre, pour obtenir la carte du combattant, ou la médaille des évadés ou la mention « Mort pour la France », et donc pour être considérés comme de véritables anciens combattants. Ils ont craint pendant toute leur captivité de devoir porter la responsabilité de la défaite et sont soulagés de constater que la population française ne la leur reproche pas. Il faut attendre 1949 pour que la carte du combattant soit attribuée à la quasi-totalité des prisonniers de guerre.

2. Les prisonniers de guerre. Enjeu des stratégies militaires durant les deux guerres mondiales

La stratégie allemande de gestion des prisonniers de guerre

Durant la Grande Guerre, les prisonniers sont transférés en Allemagne, à pied ou en train, par de jeunes soldats qui les remettent à de plus anciens avant de retourner au combat. Les prisonniers sont entassés par dizaines de milliers dans des camps où il n’existe d’abord aucune installation, ni tentes ni baraquements. Progressivement, une centaine de camps centraux et près de 100 000 détachements de travail sont installés. En 1940, les Allemands sont submergés par le nombre de prisonniers, et la gestion de ses captifs risque de ralentir l’offensive. Dans un premier temps les prisonniers français sont dirigés vers l’Allemagne, à pied, désarmés mais gardant leur uniforme. Fatigués, démoralisés, convaincus que la guerre est terminée, bien peu cherchent à s’enfuir. Les prisonniers du mois de juin 1940 sont internés dans des Frontstalags en France, où ils restent plusieurs mois. Les Allemands ont retenu les leçons de la Première Guerre mondiale. Les prisonniers, triés entre officiers et hommes de troupe, sont d’abord dirigés vers des points de rassemblement provisoires près du front, puis acheminés vers des camps de passage, enfin envoyés vers des camps stables, Stalags et Oflags.

En 1914, les conventions internationales sont récentes et peu entrées dans les moeurs militaires. Les Allemands ne les respectent pas, dans la mesure où ils exercent des représailles et utilisent des captifs comme main-d’oeuvre employée à des travaux en rapport direct avec les opérations de guerre. Les conditions sont très différentes durant la Seconde Guerre mondiale : d’une part les représailles ne sont pas possibles, car la France ne détient pas de prisonniers de guerre allemands, d’autre part, à partir de novembre 1940, le gouvernement du maréchal Pétain accepte l’offre faite par l’Allemagne de gérer lui-même ses prisonniers de guerre, alors qu’auparavant la puissance neutre qui assurait la protection des prisonniers de guerre français était les États-Unis. Si la convention de Genève connaît désormais des exceptions dans son application, c’est avec l’accord des autorités françaises.

Les conditions d’évasion sont les mêmes durant les deux guerres et elles sont extrêmement difficiles à surmonter : il faut des vivres, des vêtements civils, des faux papiers, éviter d’avoir à parler allemand ou savoir le parler. Les évadés se dirigent, durant la Grande guerre, vers la Suisse ou les Pays-Bas ; ils sont 16 000 à avoir réussi l’opération, soit moins de 3 % des captifs. Ils furent 32 000 durant la Seconde Guerre mondiale, soit 4 % des captifs.

Durant la Première Guerre mondiale, une minorité de prisonniers de guerre français est l’objet de représailles allemandes et alors envoyée près du front ou sur les territoires frontaliers où ils peuvent être victimes des tirs d’artillerie et des bombardements des armées alliées. Par contre durant la Seconde Guerre mondiale tous les prisonniers de guerre sont menacés par les bombardements alliés sur l’Allemagne car de nombreux camps et commandos sont localisés dans les villes, près des usines. Les Allemands laissent les prisonniers sans protection.

La stratégie française de gestion des prisonniers de guerre

Près de 600 000 soldats français sont faits prisonniers durant la Grande guerre, surtout en 1914, puis en 1918. La capture intervient le plus souvent à cause d’une erreur tactique mais, comme les prisonniers sont capturés indemnes pour la plupart, ils sont souvent considérés comme suspects. En 1940, c’est la quasi-totalité de l’armée française, 1 800 000 hommes, qui est capturée. « Le traumatisme est énorme (…) Ainsi les fils des Poilus, élevés à l’ombre de soldats vainqueurs, de héros, d’anciens combattants omniprésents dans la société française ont failli. Ils ont été battus en six semaines, certains sans combat (…) Certains sont capturés après l’armistice, sur une sorte de trahison, comme en 1870. » Les soldats accueillent néanmoins l’armistice avec un réel soulagement, « l’image honteuse accolée à la captivité a disparu : on peut considérer que l’impact de la Grande illusion est ici mesurable ».

Pendant la Première Guerre mondiale, des dizaines de milliers de prisonniers sont rentrés en France pendant la guerre. Rapatriés pour raisons médicales ou familiales, ou évadés, ils sont maintenus dans le Sud-tunisien parce que le gouvernement doute de leur patriotisme. En 1918, les prisonniers libérés marchent vers la France et viennent à la rencontre des soldats qui combattent ; ils gênent la marche des troupes et ne trouvent pas de ravitaillement. Ils arrivent chez eux dans un état déplorable. Après l’armistice, le rapatriement fut « rondement mené » : organisé et progressif, il se fait par mer et par chemin de fer, et tous les prisonniers sont rentrés en France en deux mois.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le rapatriement a été préparé de longue date mais il est difficile à mener. Un Commissariat aux Prisonniers, Déportés et Réfugiés a été créé et confié à Henri Frenay. Celui-ci a élaboré un plan prévoyant d’effectuer en cinq mois le rapatriement de plus de 2 millions de Français vivant en Allemagne. Il a obtenu un budget et mis en place des centres de transit et d’accueil. Les Français libérés par l’Armée rouge sont souvent installés en Biélorussie et en Ukraine, dans des conditions correctes mais précaires, en attendant d’être évacués par les ports d’Odessa et de Mourmansk, puis par voie terrestre. Les délais sont beaucoup plus courts pour les soldats libérés par les armées américaines, britanniques et françaises, les soldats rentrent en camion, en train, en bateau et aussi en avion.

3. Les prisonniers de guerre dans la stratégie des guerres totales

« Tant du côté français que du côté allemand, et ce pendant les deux guerres mondiales, les prisonniers de guerre sont un enjeu tout à fait fondamental d’un des piliers de ces guerres totales : la propagande. »

Les prisonniers de guerre français instrumentalisés par la propagande française

Durant la Première Guerre mondiale, les prisonniers de guerre sont utilisés constamment par la propagande des autorités françaises. Pendant la guerre de mouvement, en 1914 puis en 1918, les prisonniers servent de contre-exemples à l’image des Poilus : ils apparaissent comme des déserteurs, traîtres à leur devoir et à leur patrie. La captivité doit donc apparaître comme effrayante, pour que les soldats épuisés par les combats, ne soient pas tentés d’y recourir. Il faut développer la haine de l’ennemi pour renforcer la volonté de se battre. En 1915 et en 1916, la propagande présente les prisonniers comme victimes de la barbarie allemande. En 1917 ils sont présentés comme constitutifs d’un front intérieur, sabotant le travail ou pratiquant une résistance passive ; ils sont redevenus des soldats au même titre que les Poilus.

Le gouvernement du maréchal Pétain instrumentalise les prisonniers de guerre. De juin 1940 au printemps 1941, ils sont considérés comme des victimes et le gouvernement les secourt en leur envoyant des colis, et en développant des collectes. À partir du printemps 1941, les prisonniers de guerre sont l’objet d’une intense propagande pour les rallier à la Révolution nationale. Des « cercles Pétain » sont créés dans les camps de prisonniers par la « Mission Scapini », qui gère pour la France les prisonniers de guerre. Ces cercles diffusent des journaux, organisent des causeries et des conférences. Une exposition intitulée « L’âme des camps » est organisée à Paris, avec pour objectif de montrer aux Français que, durant leur captivité, les prisonniers continuent à être actifs en mettant à profit cette parenthèse dans leur vie pour élever leur esprit.

Une autre exposition est organisée par le Gouvernement provisoire de la République française, intitulée « Le Front des barbelés ». Elle vise à changer l’image que donnait la précédente des prisonniers de guerre, en les montrant comme des hommes ayant cherché à s’évader ou ayant résisté dans les camps. Il s’agit de réintégrer au plus vite les prisonniers de guerre dans une nation qui s’est déjà identifiée à la Résistance. « L’image de prisonniers-résistants n’est qu’une construction. Elle est indispensable pour que le pays puisse laisser la guerre derrière lui et accueillir ce million et demi de Français nécessaire pour la reconstruction. »

Les prisonniers de guerre français instrumentalisés par la propagande allemande

Durant la Première Guerre mondiale, la captivité des Français témoigne de la supériorité de l’armée allemande. Les Allemands découvrent que les Français sont misérables, désarmés et multiraciaux. Des civils viennent voir les prisonniers dans leurs camps, « c’est en quelque sorte la sortie du dimanche ». Cependant, beaucoup de civils allemands nouent de bonnes relations avec les Français captifs, en particulier dans les Kommandos agricoles qui permettent aux captifs français d’entrer en contact avec des jeunes filles et des femmes allemandes, relations qui sont fermement réprimées.

Le même problème se pose durant la Seconde Guerre mondiale, le prisonnier français étant souvent le seul homme présent dans les exploitations agricoles. Les prisonniers français deviennent un danger contre la « préservation de la pureté du sang du peuple allemand ».

L’intérêt économique des prisonniers de guerre

Les prisonniers de guerre français sont des substituts naturels à la main-d’oeuvre allemande mobilisée. Les conventions internationales prévoient que les prisonniers ne peuvent travailler dans l’économie de guerre ou à proximité des lieux de combat. Or, dans les conditions des guerres totales, ces limitations ne sont pas appliquées.

Si les Allemands relâchent environ 600 000 prisonniers français durant la Seconde Guerre mondiale, c’est parce que ces hommes sont utiles à l’économie française, et donc à l’économie allemande, puisqu’une bonne partie de la production française part en Allemagne. Dans la mesure où la France a accepté d’être la puissance protectrice de ses propres prisonniers, il est facile aux Allemands de faire travailler les prisonniers pour leur économie de guerre. En 1943, l’Allemagne propose de transformer de nombreux prisonniers de guerre en travailleurs libres : ils reçoivent un salaire de civil, peuvent venir en permission, et cessent de porter l’uniforme, mais ils perdent la protection que constitue la convention de Genève. Près du quart des prisonniers français ont accepté cette opération.

En 1914-1918, l’essentiel des captifs français est constitué de paysans, mais tous ne sont pas placés dans des fermes. Tous ceux qui sont affectés dans les mines et les usines côtoient des travailleurs allemands, sont peu payés, et sont soumis à d’incessants déplacements dans tout le pays. Les prisonniers des Kommandos sont mieux protégés durant la Seconde Guerre mondiale que durant la première. Ils sont affectés le plus possible à un métier correspondant à leur qualification d’origine parce que l’industrie allemande a besoin de travailleurs qualifiés. Les conditions de travail, souvent difficiles, sont mieux réglementées que pendant la Première Guerre mondiale. Les Allemands se montrent satisfaits du travail des prisonniers de guerre français.

Durant les deux conflits, l’Allemagne connaît des problèmes de ravitaillement sérieux. Durant la Grande Guerre, les prisonniers français mangent mal, mais les Allemands aussi. Durant la Seconde Guerre mondiale, les prisonniers français reçoivent des colis qui permettent aux autorités allemandes d’économiser les rations et de les nourrir avec des ersatz.

Durant les deux guerres, les refus de travail sont sévèrement punis et sont donc rares. Outre le patriotisme, le refus de travailler intervient également pour des raisons de pénibilité du travail et prend la forme de résistance passive, de grève perlée ou de sabotage.

4. Mise en perspective des captivités françaises

7 millions d’hommes furent faits prisonniers durant la Première Guerre mondiale. La captivité des prisonniers de guerre français n’est pas originale par rapport aux autres nationalités, mais les captifs français représentent la communauté nationale la plus nombreuse sur le sol allemand (20 % de l’ensemble). La séparation entre soldats et officiers est effective pour toutes les armées prisonnières, mais les nationalités sont mélangées dans les camps, où les prisonniers vivent ensemble et travaillent ensemble dans les mêmes conditions. Les Allemands, comme les autres acteurs de cette guerre, respectent les accords de la Haye, dans la mesure où ils craignent des représailles pour leurs propres ressortissants. En outre, les prisonniers de guerre sont protégés par la Croix-Rouge, qui transmet des nouvelles aux familles et fait parvenir aux prisonniers des colis. Mais ces aides ne sont pas toujours suffisantes et de grandes disparités se dessinent dans les captivités des différentes nationalités. La captivité reste stratégique après la guerre : Clemenceau veut conserver 350 000 prisonniers allemands, qui devront aider à la reconstruction de la France. Les prisonniers de guerre allemands restent en France jusqu’au début de l’année 1920.

10 millions d’hommes furent faits prisonniers durant la Seconde Guerre mondiale. Les captures furent massives, sur tous les continents, et concernèrent toutes les armées, à l’exception des Japonais qui méprisent les soldats qui se rendent à l’ennemi. La principale différence avec la Première Guerre mondiale tient à la hiérarchie raciale imposée par les nazis à l’égard des captifs. Les plus maltraités furent les soldats soviétiques et polonais (ainsi que les Italiens, mais pour d’autres raisons), et les mieux traités furent les Britanniques et les Américains car leurs gouvernements détenaient des soldats allemands et pouvaient donc exercer des représailles ; la même attitude explique d’ailleurs un relatif adoucissement dans la captivité des prisonniers soviétiques. La convention de Genève n’est donc respectée par les Allemands que dans la mesure où elle leur est utile ; elle n’est pas respectée par les Japonais qui maltraitent les prisonniers.

La grande originalité de la captivité des prisonniers de guerre français durant la Seconde Guerre mondiale tient au fait que Vichy a accepté que les Français soient protégés par leur propre gouvernement, par l’intermédiaire du Service diplomatique des prisonniers de guerre (Mission Scapini). Ils ne relèvent donc plus de la convention de Genève et de son droit international, mais des tractations d’État à État, comme au XIXe siècle. Les prisonniers de guerre français sont donc des otages, à la fois pour les Allemands et pour le gouvernement de Vichy. La politique de collaboration Vichy fut à cet égard un échec dans la mesure où les Allemands n’allégèrent pas la captivité des Français.

En 1945, la France et l’URSS ont besoin de la main-d’oeuvre des prisonniers de guerre allemands et tardent à les libérer. 600 000 prisonniers ont travaillé en France, surtout dans l’agriculture, sur les chantiers de la reconstruction et dans les mines tandis qu’environ 30 000 ont été employés au déminage du territoire. Des prisonniers allemands furent détenus en en France jusqu’en 1948, et en Union soviétique jusqu’en 1956 au moins.

Les conventions internationales n’ont pas toujours été respectées, mais Évelyne Gayme estime que « les textes conventionnels humanitaires, parce qu’ils existent, jouent néanmoins un rôle fondamental (…) Ils servent d’horizon à atteindre, symbolisant la puissance de la civilisation au moment où elle est le plus en danger, c’est-à-dire pendant les conflits. » En 1949, une nouvelle convention de Genève compléta la précédente, et celle de 1977 ajouta une annexe concernant les guerres coloniales au texte de 1949. En effet, durant la guerre d’Indochine, la guerre de Corée et la guerre du Vietnam, les règles internationales à l’égard des prisonniers de guerre ne furent pas respectées. Ce qui conduit Évelyne Gayme à constater, répondant par là à sa problématique globale : « Á la lumière des guerres et conflits qui ont suivi la Seconde Guerre, les deux guerres mondiales apparaissent comme une période exceptionnelle où l’on tenta et globalement où l’on réussit à protéger les prisonniers de guerre par un droit humanitaire international alors même que leurs rôles stratégiques augmentaient et que les violences se déchaînaient autour d’eux. »

© Joël Drogland