Un ouvrage de « khmer vert » ou « d’urbaphobe » ? Non, juste celui de Guillaume FaburelGuillaume Faburel est professeur à l’université de Lyon 2 et chercheur à l’UMR Triangle, un géographe peu consensuel qui nous livre ici, sans concession ni langue de bois, son analyse sur la métropolisation du monde et la densification urbaine.

Pour lui, « un seul « s » sépare demeure et démesure, celui de notre survie » (p.274). La démesure, c’est, pour l’auteur, celle de la ville moderne et son « aveuglement très urbain, pur produit d’une pensée utilitariste, fonctionnaliste et mécaniste encore largement dominante » (p.157).

Un livre déroutant et ô combien stimulant car, il faut bien le reconnaître, en termes de géographie urbaine, les programmes scolaires ainsi que le discours universitaire « dominant » nous proposent souvent une analyse pouvant ressembler à de la promotion pour la ville dense et ses bienfaits contrastant avec le dédain pour les espaces périurbains et ruraux. Dans le présent ouvrage, Guillaume Faburel critique ces « passions des élites universitaires » ainsi que les « conceptions techno-centrées des économistes du GIEC (p.126) pour nous inviter à repenser nos rapports aux territoires et nous proposer une autre manière d’habiter la Terre. 

Une croissance urbaine qui nous plonge dans un « abîme écologique »

La première partie de l’ouvrage, chiffres et exemples à l’appui, tente de démontrer en quoi les métropoles mondiales sont devenues des « concentrations écocidaires » (p.177) du fait d’une croissance urbaine vertigineuse. En effet, si la population mondiale a été multipliée par 4,6 entre 1900 et 2015, la population urbaine l’a été par … 14 !

Voici quelques exemples des conséquences de la métropolisation :

  • Les concentrations urbaines représentent 2% des terres émergées du globe mais 70% des déchets, 75% des émissions de gaz à effet de serre, 78% de toute l’énergie consommée, et plus de 90% de l’ensemble des polluants émis dans l’air !
  • Pendant les canicules, des différences de 2 à 12 degrés entre les cœurs urbains et les campagnes environnantes sont mesurées.
  • Les villes côtières, soit 20% de la population, sont menacées par l’élévation du niveau des mers et la multiplication des évènements météorologiques extrêmes.
  • On assiste aujourd’hui à l’enfoncement de certaines grandes métropoles comme Djakarta, Téhéran, Mexico ou La Nouvelle Orléans du fait du tassement des sols.

Bref, la densification urbaine est la cause première de « l’abîme écologique » dans lequel nous sommes plongés collectivement, « cet abîme est celui de l’asservissement irrémédiable de la nature par nos manières très urbaines d’habiter la Terre » (p. 14).

Une assignation à l’urbain

Guillaume Faburel dénonce le modèle du tout-urbain qui est à la fois culturel, architectural, économique, ou politique. Il souligne l’uniformisation des paysages urbains et des pratiques avec toujours les mêmes fonctionnalités et esthétiques, les mêmes stimulations et saveurs, les mêmes mises en scène » (p.41) : ce sont les mêmes grands projets urbains surnommés « cœurs de ville » ou « poumons verts » à destination des populations souvent privilégiées, le même mobilier urbain et les mêmes essences de fleurs, la même folie consommatrice dans les city-markets, cette façon de faire du sport dans une salle climatisée avec vitrine en rez-de-chaussée ou encore le déploiement de la vidéo-surveillance, … L’auteur s’en prend à l’injonction d’une société qui nous pousse à toujours bouger, se divertir et être connecté, cette « tyrannie de la bougeotte omniprésente et permanente » liée à des intérêts capitalistiques qui mettent en concurrence les individus et les espaces. Ce sont ces comportements qui sont érigés « en modèle existentiels d’une modernité assumée » (p. 154).

L’hypocrise urbaine

L’auteur souligne aussi, ce qui est pour lui, une véritable hypocrisie dans le discours faisant la promotion de la « croyance » et de la « mythologie » du tout-urbain :

  • Les grandes opérations urbaines dépeintes comme des oasis de mixité sociale et de nature en pleine ville renforcent en réalité la ségrégation spatiale avec de nouvelles enclaves et fractures dont l’exclusion des populations intermédiaires et des plus précaires en deuxième ou troisième couronne : « pour accueillir, il faut avoir fait de la place » (p. 150). Les écoquartiers sont, pour Guillaume Faburel, des « fronts pionniers de la gentrification » (p. 84).
  • La ville est systématiquement érigée en lieu de la conscience citoyenne et en symbole de l’émancipation sociale en opposition à des campagnes qui seraient réactionnaires et arriérées. L’auteur, au travers de l’exemple de l’accueil et de l’intégration des migrants, souligne les limites de ce discours.
  • Il est assez drôle de vouloir faire de l’écologie dans ces espaces bétonnés qui ont remplacé les jardins ouvriers et les cultures maraîchères au cœur des métropoles.
  • Cette bonne parole métropolitaine est diffusée par une « élite »  ressent régulièrement le besoin de se ressourcer … à la campagne (résidences secondaires, vacances, …). Cette même bonne parole est transmise, voire imposée, aux petites et moyennes villes au travers de programmes « petites villes de demain » ou « action cœur de ville ». C’est aussi le discours promouvant l’électrification des mobilités sans prendre en compte la production nucléaire d’électricité.

Un autre modèle est possible : désurbaniser et réempaysanner

Pour le géographe, il n’y a pas d’adaptation possible ni de transition à envisager. Il prend pour exemple la consommation de légumes dans la capitale : « à Paris, 85% des légumes parcourent en moyenne 800 km pour arriver sur les étals. Or selon les modèles de l’Inrae, si on y cultivait sur tous ses toits, qui représentent une surface de 80 hectares, Paris pourrait satisfaire tout au plus 7% de ses besoins en légumes » (p.113) ! Il propose donc une rupture brutale avec ce modèle et cette course à la démesure comme le souligne le cas de la nouvelle capitale égyptienne « avec son autoroute à 12 voies, la plus grande tour d’Afrique, avec le plus grand opéra du Moyen-Orient, ses 40 centres commerciaux (…) » (p. 120). Ainsi, il faut arrêter de répondre aux sirènes de la densification urbaine comme seule destinée et prendre aussi en compte les limites de notre planète : « Humanité, humus et humilité partagent la même racine latine » (p.131).

Bien sûr, les actions citoyennes sont indispensables comme celles pour la protection des jardins ouvriers d’Aubervilliers mais elles ne sont malheureusement pas suffisantes. Chacun doit entrer dans un mouvement de décroissance radicale qui vise à désurbaniser et réempaysanner en déconcentrant, en relocalisant et en devenant autonome. Pour Guillaume Faburel les pistes pour y arriver sont nombreuses :

  • l’autonomie alimentaire doit « conditionner la satisfaction de nos besoins premiers à la production directe des biens jugés essentiels, avec réusage et sans gaspillage ». L’auteur estime une surface cultivable nécessaire entre 200 et 1200 mètres carrés pour arriver à cette autonomie et jusqu’à 4000 mètres carrés pour aussi se chauffer, stocker l’eau…
  • le développement d’une agriculture locale et bio.
  • il faut miser sur un habitat léger et basse consommation tout en plafonnant la surface habitable.

L’auteur développe de nombreux exemples et laisse la parole à des « pionniers » de cet autre modèle avec les écolieux (ou écohameaux / écovillages) qui sont développés par une néo-paysannerie autour de trois axes : un modèle économique alternatif, la place prépondérante accordée à l’écologie et une vie communautaire.

Très concrètement, Guillaume Faburel propose aussi une réorganisation en unités géographiques alternatives avec la mise en place des biorégions. La biorégion est un territoire de vie et un espace écologique « dont les limites ne sont pas déterminées par des frontières administratives mais plutôt par des communautés et des sociétés locales, ainsi que par leurs écosystèmes de vie » (p.250). L’auteur développe l’exemple de Cascadia en Amérique du Nord, du sud-ouest de l’Alaska à l’arrière-pays californien, dont l’unité est à la fois géographique avec son réseau hydrographique mais aussi socio-culturelle avec l’influence des cultures amérindiennes.

Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX

 

Présentation de l’ouvrage par son auteur pour la librairie Mollat :