Ouvrage paru en 2008 à l’occasion des 90 ans de l’Armistice et épuisé depuis, « La guerre est finie » ressort en deux versions, française et allemande à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre.

Philippe Delestre, illustrateur et Philippe Claudel écrivain sont tous les deux « marqués » par la Première Guerre mondiale dans leur histoire familiale respective. Le premier, lorrain, par un grand-père qui l’emmenait au cimetière militaire de Bois-le-Prêtre voir ses camarades de combat ; le second, lorrain lui aussi, par ce qu’il appelle une « enfance de guerre » ponctuée par les visites au cimetière, les sorties chez ses trois grands-tantes aux maisons remplies de souvenirs des morts de la famille….Delestre et Claudel le racontent d’ailleurs très bien en introduction.Leur association a permis la naissance de ce magnifique ouvrage qui n’est ni une bande dessinée ni un documentaire. Ce livre, au format à l’italienne, s’ouvre sur une illustration d’introduction qui donne une idée de la ligne directrice : deux soldats en buste, un Français bleu horizon, un Allemand feldgrau, têtes penchées l’un vers l’autre. Les deux visages sont imberbes, sans âge mais très jeunes en même temps, sans bouche…comme si les mots n’étaient pas nécessaires. D’ailleurs il n’y a aucune bulle dans l’ensemble de l’album, simplement des dessins aquarellés, légendés soit par l’auteur soit par des citations d’écrivains tels Genevoix, Dorgelès, Chevallier…, ou encore par des témoins de la Grande Guerre, comme ce soldat du 106è RI en octobre 1014 qui raconte : « Nous menons une vie de lapin le jour de l’ouverture de la chasse. »…
S’en suivent une succession de dessins ne racontant pas une histoire mais plutôt des instantanés, des moments forts de la Grande Guerre. On commence par la mobilisation annoncée par le garde champêtre, le départ des Français au pantalon garance, visages souriants aux fenêtres du train, le départ du soldat allemand écrivant sa dernière lettre auquel lui répond sur la page d’à côté le soldat français dans la même pose…et puis…les premiers combats, les premiers morts…les premières tranchées….

Ce qui est intéressant et remarquable dans cet ouvrage c’est le procédé souvent utilisé par les auteurs : des dessins en parfaite symétrie sur double page, d’un côté les Français et de l’autre les Allemands dans le même décor, les mêmes positions…comme par exemple ceux des pages 32 et 33 : les tranchées des deux côtés qui se font face, les soldats qui montent à l’assaut et les deux pages suivantes ces mêmes soldats tués, jonchant le sol…ou d’autres illustrations avec à gauche, un soldat bleu montant la garde auprès de corps allongés dont on ne voit que les semelles de chaussures et à droite un soldat vert dans exactement la même attitude.
Les illustrations se succèdent dans une sorte de chronologie des événements, les combats, la fraternisation, l’arrivée des Américains, les blessés et les gueules cassées, l’absence à la maison du mari et du père, le maire qui apporte le triste courrier à la famille, le courrier aussi dans les tranchées, la guerre aérienne et le baron rouge, et la fin, le retour dans les familles mais aussi celui de l’Alsace Lorraine vers la France et l’absence pour les veuves et les orphelins des deux côtés ..
Les derniers dessins montrent des photos de famille d’avant et après guerre (autre procédé utilisé dans l’ouvrage) avec les chaises vides de ceux qui ne sont pas revenus, les blessures visibles et invisibles de cette guerre…et puis l’après l’Allemand assis à côté d’un Français à la terrasse d’un café embarrassés mais respectueux l’un de l’autre, anciens combattants… le tourisme d’après guerre et ce soldat en filigrane marchant vers l’Arc de Triomphe…
Illustration finale et bel hommage: côte à côte, deux soldats dont l’identité est inscrite sur le paquetage : Erich Kaestner et Lazare Ponticelli, regardant ensemble le soleil à l’horizon….

Un excellent ouvrage, de très belles illustrations souvent naïves, touchantes sans être édulcorées et en même temps si justes notamment avec le procédé de symétrie entre les Français et les Allemands.
A utiliser sans modération en classe dès le cycle 3, chaque illustration pouvant être le prétexte à réflexion et à discussion sur la Grande Guerre.