Quand deux amoureux du continent africain s’allient pour rendre compte d’une expérience unique, l’ouvrage qui en résulte s’avère brillant, passionnant et émouvant.
Élodie Arrault découvre la Côte-d’Ivoire en suivant son compagnon qui effectue son service militaire. Après des accidents de la vie et un divorce, cette grande sportive consacre son temps à l’agroécologie : « Se dépouiller de soi et se mettre au service des autres et de la Terre ». La sobriété heureuse prônée par Pierre Rabhi l’inspire quand elle prend connaissance du projet de la Grande Muraille verte.
Dadji
De Dakar à Djibouti, la Grande Muraille verte est une initiative panafricaine née en 2002 qui entend lutter contre la désertification et l’érosion des sols.
« Il s’agit de lutter contre l’avancée du désert en plantant des arbres sur une bande de 15 km de large sur 8 000 km de long, du Sénégal à Djibouti », une réponse au changement climatique actuel pour 11 États. Plus que des plantations, le projet inclut des interventions d’initiative locale, productrices et nourricières qui allient la protection de la biodiversité, la séquestration du carbone, la création d’emplois et la sécurité alimentaire. Il entend contrer les migrations climatiques.
Un carnet de voyage intimiste
Élodie Arrault décide de rencontrer les acteurs de cette initiative titanesque et prépare son road trip pendant trois ans. Le but de ce voyage engagé est de promouvoir la mobilité douce, car les déplacements s’opèreront à pied, à vélo ou en caravane de chameaux, de mettre en lumière des solutions écologiques et de faire le lien entre les différentes ONG et les communautés locales. Le fait de partir seule dans cette région du monde relève aussi du combat féministe.
Dès les premières pages du récit, l’autrice n’hésite pas à transmettre ses émotions. Elle valorise les contacts officiels ou plus personnels établis dans chaque pays. Elle dresse les portraits de ses rencontres et leurs contributions : replantation de la mangrove, coopératives féminines, jardins communautaires, exploitations d’agroforesterie et adaptation d’essence particulière comme la culture du typha, plante aquatique utilisée comme combustible, ressource fourragère ou matériau de construction.
Au fil des pages, l’album devient un traité arboricole avec de magnifiques doubles pages consacrées à des arbres singuliers, le baobab appelé l’arbre de la vie, le manguier et le palmier dattier. Le texte associé présente l’intérêt de l’espèce dans un contexte africain et l’importance de sa protection.
Élodie relate les techniques agricoles observées. Par exemple, au Sénégal, les Toulou Keur sont des jardins circulaires dont la forme favorise les pratiques agroécologiques. La rotondité améliore le travail des bactéries dans le sol et la rétention d’eau.
Au Burkina, on végétalise des cordons pierreux à l’aide du fameux vétiver, un clou végétal avec des racines profondes, un dispositif antiérosif disposé sur une ou plusieurs rangées le long des courbes de niveaux. Dans ce pays, la méthode ancestrale du zaï est remise à l’honneur : il s’agit en saison sèche de préparer la terre en creusant des cuvettes sur le champ pour récupérer l’eau et y placer du compost. On plante ensuite dedans.
Des aquarelles aux couleurs de l’Afrique
Rien de plus adapté que le choix des illustrations de Joël Alessandra pour rendre la magie des paysages fréquentés. L’aquarelliste fournit un travail remarquable en symbiose avec ce documentaire. Les couleurs savamment choisies illuminent la pluralité des lieux : le bleu vert des villages forestiers, les nuances de jaune orangé des oasis, des steppes et villages sahéliens, le sépia pour les expériences passées comme de vieilles photos. Elles restituent l’éclat de la lumière sur les vêtements, la poussière du désert et la diversité des visages hâlés.
S’y ajoutent des esquisses prises sur le vif immersives et vibrantes.
Ce roman graphique nous transporte dans une aventure humaine solidaire et militante. Cette muraille verte ne sépare pas les hommes mais les fédère autour de projets communs.
Optimiste et un brin idéaliste, cet ouvrage montre des Africains concernés, acteurs de leur futur, bien loin de l’image fataliste souvent véhiculée. De nombreux exemples peuvent être utilisés par les professeurs de géographie dans le secondaire.
Suivre le périple de cette autrice inspirante renforce la conviction de l’urgence écologique : « ce voyage m’a fait comprendre qu’il faut chercher des solutions ailleurs et agir partout car nous sommes tous concernés ».